Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 20 mai 2010 à 9h00
Service public de la télévision — Discussion d'une proposition de loi

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de l’audiovisuel public, lancée par le Président de la République, est à mes yeux essentielle et son enjeu va bien au-delà de la seule « sauvegarde » de notre audiovisuel public, car la loi du 5 mars 2009 permet non seulement sa pérennisation, mais également son renouveau, et même sa refondation.

Sur l’initiative de la Haute Assemblée, nous avons, voilà dix jours, esquissé ici même un premier bilan de la mise en œuvre de cette loi, et je voudrais, pour commencer, vous restituer les principales conclusions que j’en tire.

Je note, tout d’abord, que la suppression de la publicité en soirée a libéré le service public de la contrainte de l’audience commerciale. Cette suppression était nécessaire à l’approfondissement du virage éditorial – qui était en gésine, comme l’avait rappelé M. Assouline – engagé par les dirigeants de France Télévisions, que je tiens à saluer de nouveau.

La télévision publique renoue ainsi avec une exigence culturelle qui correspond à sa vocation première. Et nous ne pouvons tous que nous féliciter, par exemple, qu’aient été présentées en mars dernier, en première partie de soirée sur France 2, Les Fausses Confidences de Marivaux, dans l’excellente mise en scène du théâtre de la Commune d’Aubervilliers, réunissant près de deux millions de téléspectateurs ! Car, si les perspectives de recettes publicitaires pesaient encore sur leurs choix de programmation, les dirigeants de France Télévisions auraient-ils véritablement la liberté de renouveler ce type d’expérience, sachant que deux millions de téléspectateurs représentent seulement – si j’ose dire ! – 9, 6 % de parts d’audience, contre les 15, 8 % que France 2 a atteints en moyenne ce mois-là ? Ainsi, la notion perverse et la tyrannie de l’audimat ne représentent plus la même contrainte qu’autrefois. J’ajoute que des résultats d’audience similaires ont été obtenus lors de la diffusion de la pièce Colombe, de Jean Anouilh, voilà quelques jours.

Certains considèrent, tout en reconnaissant l’avancée pour la liberté éditoriale que constitue la suppression de la publicité en soirée, que nous pourrions, et même que nous devrions, en rester là. Je pense, au contraire, que l’idée de libérer totalement la télévision publique de la contrainte de l’audience commerciale est toujours la bonne, notamment sur le créneau stratégique du début de soirée, entre 18 et 20 heures.

Par ailleurs, je le rappelle, la suppression de la publicité est largement reconnue par les téléspectateurs. En ce sens, il me semble que France Télévisions a très bien réussi à marquer sa différence par rapport à la télévision privée, et qu’il y a là un encouragement à continuer résolument dans cette direction.

Je tiens également à revenir sur un sujet que je sais un peu sensible, mais qui, à mes yeux, n’a rien de tabou : celui des éditeurs privés de télévision, notamment des nouvelles chaînes de la TNT. Leur développement est essentiel, à la fois parce qu’il contribuera au pluralisme de l’offre et parce qu’il apportera à la création française des ressources financières supplémentaires.

En effet, comme vous le savez, les chaînes de télévision financent massivement notre création dans le cadre d’obligations fixées par la réglementation, sur la base de leur chiffre d’affaires, et il faut à l’évidence maintenir ce dispositif vertueux. Pour cela, il est hautement souhaitable que le financement de l’audiovisuel soit clarifié, c’est-à-dire que la télévision publique soit financée par des fonds publics, et la télévision privée par la publicité.

Voilà les raisons pour lesquelles le Gouvernement estime que la réforme doit être menée jusqu’à son terme et que la publicité commerciale doit disparaître des services nationaux de France Télévisions, y compris en journée.

Cela étant posé, je tiens à répondre point par point aux éléments qui vous inquiètent, monsieur le sénateur, et qui vous ont conduit à déposer cette proposition de loi.

Concernant l’indépendance de France Télévisions, tout d’abord, et plus particulièrement la procédure de nomination de son président, la loi du 5 mars 2009 et la loi organique adoptée le même jour ont modifié la procédure de nomination de ce dernier et, plus largement, celle des présidents des sociétés nationales de programmes. Par ces nominations, il s’agit pour l’État actionnaire d’assumer ses responsabilités, et c’est précisément ce qu’a souhaité le Président de la République.

Cette nouvelle procédure de nomination offre de nombreuses garanties. En particulier, la nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu’après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et après avis des commissions parlementaires chargées des affaires culturelles dans chacune des deux assemblées.

Elle a été une première fois mise en œuvre avec la nomination de M. Jean-Luc HEES à la présidence de Radio France par un décret en conseil des ministres du 7 mai 2009. Vous y avez d’ailleurs été étroitement associés comme le prévoit la loi. Cette nouvelle procédure a fait ses preuves, puisqu’elle a abouti à la nomination d’un professionnel aux compétences incontestées et force est de constater que l’indépendance des sociétés nationales de programmes concernées n’est aucunement entamée, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel.

La même sérénité et le même sérieux entoureront le choix de la personne appelée à assurer la prochaine présidence de France Télévisions. Aussi, lorsque j’entends ou lis ça et là que les jeux seraient faits et que le successeur de M. de Carolis serait connu, je suis étonné. C’est faire peu de cas du Parlement et du Conseil supérieur de l’audiovisuel !

Je souhaite, à ce sujet, souligner deux points tout à fait clairs. En premier lieu, je tiens à vous assurer de mon total accord avec le Président de la République quant à la prochaine présidence de France Télévisions. Notre ambition est la même et nous sommes déterminés à ce qu’un professionnel accompli conduise France Télévisions vers la télévision du XXlème siècle, portant haut les valeurs fondamentales et l’excellence du service public. En second lieu, vous, parlementaires, serez étroitement associés à cette future nomination qui constitue un choix fondamental pour l’avenir de notre audiovisuel public.

J’en viens maintenant à la garantie du financement de France Télévisions, qui suscite également vos inquiétudes.

Vous avez raison d’estimer que l’indépendance de France Télévisions est liée aux garanties et à la visibilité dont disposeront les dirigeants sur le financement.

Ces garanties et cette visibilité sont justement assurées par la loi, puisque, parallèlement à la suppression de la publicité, le mode de financement de France Télévisions a évolué : pour compenser la perte des recettes publicitaires, le législateur a en effet prévu que la dotation issue de la contribution à l’audiovisuel public, c’est-à-dire l’ex-redevance, soit désormais complétée par une dotation issue du budget général de l’Etat.

Cette évolution me semble rationnelle, raisonnable et, pour tout dire vertueuse, d’une part, parce que le remplacement d’une recette publicitaire incertaine par une recette publique assurée constitue un facteur indiscutable de sérénité financière et éditoriale pour France Télévisions, et, d’autre part, parce que le financement de la réforme est bel et bien prévu : le montant de la ressource publique à prévoir pour les années 2009 à 2012 figure noir sur blanc dans le plan d’affaires de l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens conclu entre la société publique et l’État. II tient compte de l’ensemble des paramètres, parmi lesquels la suppression de la publicité en soirée en 2009 ainsi qu’en journée à partir de la fin de l’année 2011.

J’en profite pour rappeler que la loi prévoit la suppression totale de la publicité sur France Télévisions au moment où la France aura entièrement basculé dans la télévision numérique, c’est-à-dire, justement, fin 2011. Cette date n’a pas été choisie au hasard : l’extinction totale de la diffusion analogique permettra de réaliser des économies importantes sur les coûts de diffusion, qui limiteront d’autant le besoin de financement complémentaire apporté par l’État.

Quant à la révision de la dotation budgétaire de France Télévisions en 2009, permettez-moi de vous apporter quelques précisions. France Télévisions, la Commission pour la télévision publique et le Gouvernement ont évalué en 2008 à 450 millions d’euros la dotation budgétaire destinée à compléter le financement de France Télévisions. Le plan d’affaires pour 2009-2012, finalisé en mai 2009, a repris ce montant au regard des estimations de recettes publicitaires.

Or il est apparu, au cours de l’année 2009, que les recettes réellement encaissées dépassaient largement les prévisions. La révision de la dotation budgétaire de France Télévisions est donc tout ce qu’il y a de plus logique et relève d’une gestion saine et responsable des deniers publics, qui sait tenir compte des autres besoins de l’audiovisuel. Cette réduction s’est faite dans le respect de l’indispensable retour à l’équilibre de France Télévisions : la société a ainsi terminé l’année 2009 avec un résultat positif, alors que ce retour à l’équilibre opérationnel n’était initialement prévu que pour 2011.

Le troisième sujet d’inquiétude que vous avez exprimé n’est pas davantage fondé, me semble-t-il. Il concerne le dynamisme de la contribution à l’audiovisuel public.

Bien que la dotation budgétaire complète désormais le financement de France Télévisions, la majeure partie de ce financement continue à provenir du produit de la contribution à l’audiovisuel public. C’est pourquoi je partage pleinement l’attention que vous lui portez et je me félicite d’ailleurs du travail de la mission lancée par le Sénat sur l’adéquation du financement de France Télévisions à ses moyens. Comme vous, je suis extrêmement attentif aux déterminants de l’ex-redevance audiovisuelle : assiette de la contribution à l’audiovisuel public, montant, champ des bénéficiaires, etc. Là encore, les faits sont tout à fait clairs : la contribution à l’audiovisuel public a été rehaussée de deux euros en janvier 2010 et elle est indexée sur l’inflation depuis 2009.

Ces mesures lui assurent une solidité et un dynamisme qui garantissent à notre audiovisuel public un financement fort et pérenne : les recettes globales du compte de concours financiers, alimenté par la contribution à l’audiovisuel public, ont progressé de 3, 7 % entre 2008 et 2009 et devraient connaître une nouvelle progression de 4, 3 % en 2010 et de 3 % les trois années suivantes.

Un philosophe disait que le mouvement se prouve en marchant : je vous ai à la fois montré le mouvement, la progression des ressources de l’audiovisuel public, et vous en ai indiqué les raisons, claires et distinctes : tous ces éléments sont – je crois – de nature à vous rassurer quant au dynamisme, actuel et à venir, de ces ressources.

Vous vous souciez, enfin, des taxes créées par la loi du 5 mars 2009.

Je vous répondrai d’emblée qu’il n’y a pas de lien d’affectation entre le financement budgétaire de France Télévisions et lesdites taxes, puisque le financement de France Télévisions, sur lequel se concentre à juste titre notre attention aujourd’hui, n’est pas soumis à leur évolution.

J’en profiterai néanmoins pour souligner deux points importants concernant ces deux taxes.

La taxe sur la publicité télévisée a vu son taux réduit en 2009 en raison des difficultés économiques du secteur, mais elle demeure, en dépit de cette réduction conjoncturelle.

Quant à la taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de communications électroniques, elle fait l’objet d’une discussion avec la Commission européenne, dont nous contestons les griefs notifiés à ce sujet. En tout état de cause, je le répète, il n’existe pas de lien entre cette taxe et le financement budgétaire de France Télévisions.

Tous ces éléments, je l’espère, sont de nature à vous rassurer quant à l’avenir serein de la télévision publique, auquel je suis, vous le savez, particulièrement attaché. La loi a été votée il y a un an. Nous ne sommes qu’à la moitié du chemin, et nous devons mener cette réforme jusqu’à son terme. Ses conséquences, notamment financières, sont parfaitement prises en compte. Ce dont France Télévisions a besoin aujourd’hui, tout comme l’ensemble du secteur audiovisuel, c’est de stabilité législative et réglementaire : c’est précisément ce que lui garantit la loi.

Alors, dans ce cadre, renoncer à l’ouverture du capital de la régie de France Télévisions serait tout à fait contre-productif et pénaliserait les salariés de la régie.

Ne rien faire pour France Télévisions Publicité, ce serait laisser dépérir un outil industriel performant et mettre dans une situation délicate des équipes solides et compétentes. Seul le développement de l’activité de la régie est à même de limiter les effets d’une douloureuse restructuration.

À cette fin, France Télévisions a fait le choix d’ouvrir le capital de la régie à un partenaire industriel. Le Gouvernement approuve logiquement ce choix responsable.

Outre l’avenir des salariés de France Télévisions Publicité, ce sont les moyens dont pourra disposer France Télévisions qui m’importent. Or, renoncer à l’ouverture du capital de la régie mettrait également en péril les perspectives de ressources commerciales qui subsisteront après la fin de l’année 2011 : la publicité régionale, le parrainage, la publicité sur Internet. Leur développement ne pourra s’appuyer que sur une régie forte et dynamique, c’est-à-dire ouverte à de nouveaux horizons industriels.

Je vous rappelle enfin que la décision d’ouvrir le capital de la régie ne relève aucunement d’une demande de l’État. Elle a été prise par la direction de France Télévisions elle-même et approuvée par son conseil d’administration, où siègent à la fois des représentants de l’État, des parlementaires, des personnalités indépendantes nommés par le CSA et des représentants du personnel, et dont le rôle est de veiller aux intérêts de l’entreprise. Il s’agit là d’un processus parfaitement transparent.

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