Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 20 mai 2010 à 9h00
Service public de la télévision — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous tous, j’ai écouté attentivement l’exposé de notre collègue Jack Ralite relatif à la proposition de loi visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision, qu’il a déposée le 6 avril dernier. Je crois que nous avons tous à cœur d’assurer la sauvegarde du service public de la télévision ; cet objectif commun avait d’ailleurs mobilisé nombre d’entre nous l’année dernière sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Mais, plutôt que « sauvegarder », je préférerais utiliser les mots « pérenniser et développer ». Telle était, me semble-t-il, notre ambition. Sinon, je vous assure que je ne me serais pas autant battue, aux côtés de Michel Thiollière, pour faire admettre l’indexation et la revalorisation de la redevance. Une fois encore, je vous remercie de nous avoir soutenus dans ce combat, mes chers collègues.

La pérennité et le développement de France Télévisions reposent, bien entendu, sur des financements adéquats – je vous rejoins complètement sur ce point, monsieur Ralite –, mais aussi sur une gestion stratégique de ceux-ci, sur une différentiation accrue de l’offre du service public par rapport à ses concurrents, sur sa capacité à muter rapidement en média global. Dans un paysage audiovisuel qui s’est considérablement diversifié ces dernières années, notamment avec l’arrivée des chaînes de la TNT, face aux nouvelles pratiques générées par le boom de l’internet et les innovations technologiques, la télévision publique doit non seulement se moderniser, mais également se singulariser, en développant une offre éditoriale originale, de qualité et attractive qui lui permettra d’être l’un des grands vecteurs de la « culture pour chacun », comme vous aimez l’affirmer, monsieur le ministre. Là résident avant tout les conditions de sa survie, mon cher collègue, pour reprendre votre expression.

Mais il faut également avoir une vision globale des défis à relever, lesquels ne sont pas exclusivement financiers. C’est pourquoi nous avons adopté la loi du 5 mars 2009, dont certaines dispositions permettent à France Télévisions de réaliser cette adaptation, que le président Patrick de Carolis avait de lui-même sagement engagée.

C’est donc cet ensemble d’objectifs qu’il ne faut pas perdre de vue si l’on souhaite voir aboutir cette réforme qui, si elle est désormais bien engagée, reste encore au milieu du gué. Soucieux de la réussite de la réforme, le groupe centriste a jugé bon qu’un débat sur sa mise en œuvre soit organisé dans le cadre de la semaine réservée au contrôle parlementaire. Nous, centristes, sommes en effet très attachés au rôle du Parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale, rendu possible par la réforme de la Constitution d’août 2008.

Vous reconnaîtrez, monsieur Ralite, que, comme vous, nous jouons pleinement notre rôle, et que nous avons réaffirmé sans complaisance nos exigences quant aux mesures non appliquées et aux promesses non tenues. Je pense notamment au comité de suivi, composé de quatre députés et quatre sénateurs, ainsi qu’au groupe de travail sur la modernisation de la redevance. À ce propos, pourriez-vous nous apporter aujourd’hui la réponse que nous n’avons pu obtenir le 10 mai dernier, monsieur le ministre ?

Nous avons aussi exposé nos préoccupations devant l’incertitude qui pèse sur les taxes que vous avez largement évoquées, même si elles ne sont pas directement affectées. Je vous prends à témoin, monsieur le ministre : mon collègue Hervé Maurey a évoqué la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet ; j’ai quant à moi souligné que l’effet d’aubaine escompté pour les chaînes privées n’avait pas été au rendez-vous ; j’ai tout comme vous, parce que nous sommes des élus responsables, exprimé mes inquiétudes sur les modalités de financement du groupe France Télévisions dans un contexte économique dégradé par la crise.

C’est pourquoi, en tant que rapporteur, j’ai aussi tenu à vous rappeler les précautions que nous avions prises, avec mon collègue Michel Thiollière, au nom de la commission, pour pouvoir ajuster le cas échéant le modèle économique de l’audiovisuel public après observation de la mise en œuvre de la réforme dans sa première phase. Je redis, comme nous l’avions affirmé à l’époque, que la clause de revoyure introduite à l’article 18 par notre collègue Christian Kert constitue un garde-fou.

Conformément à ce que nous écrivions, je me penche aujourd’hui avec mon collègue de la commission des finances Claude Belot sur « les effets culturels et financiers de la diminution de la publicité sur le service public ». Car, si le comité de suivi que nous avions fait inscrire à l’article 75 de la loi n’a, hélas, pas été mis en place, la commission de la culture – j’en profite pour remercier son président Jacques Legendre, qui a fait preuve d’une grande réactivité à cette occasion – a, dès le mois de novembre dernier, décidé de mettre en place une mission de contrôle sur l’adéquation des moyens de France Télévisions à ses missions. Je précise, monsieur Ralite, que cette demande émane exclusivement de la commission de la culture, laquelle ne se trouve aucunement sous la domination de la commission des finances.

Le travail que vous m’avez confié, mes chers collègues, est l’occasion d’un bilan d’étape précis de la réforme. Étant donné le contexte, il ne saurait être bâclé. Alors que vous avez maintes fois dénoncé l’urgence dans laquelle nous légiférons bien souvent, monsieur Ralite, je ne vois pas pourquoi il faudrait tout à coup, sans éléments tangibles d’appréciation, se précipiter pour modifier une loi votée voilà tout juste un an.

Si la situation de France Télévisions reste fragile, comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes, elle n’a pas non plus pris la tournure dramatique que vous lui prédisiez et que vous estimez voir se réaliser aujourd’hui, monsieur Ralite, laquelle pourrait éventuellement justifier votre proposition de rétablir la publicité après vingt heures. Rappelons qu’en 2009 le financement de France Télévisions a été suffisant pour que le groupe soit à l’équilibre et que, pour 2010, la contribution à l’audiovisuel public et la dotation de l’État ont assuré l’augmentation des ressources prévues par le contrat d’objectifs et de moyens. Je veux aussi souligner que le virage éditorial dont chacun se félicite aujourd’hui a été favorisé par la suppression de la publicité après 20 heures.

Pour autant, nous devons rester prudents, ne pas faire d’autosatisfaction et étudier avec davantage de précision la situation financière de France Télévisions, pour accompagner jusqu’au bout deux chantiers majeurs de la réforme qui, en définitive, conditionnent tout le reste : l’entreprise commune et le média global. Il faut aussi, comme le recommande la Cour des comptes, « préserver l’équipe dirigeante des atermoiements et revirements qui ont affecté la stratégie de l’entreprise au cours des dernières années ».

Il n’y a pas lieu de crier au loup aujourd’hui et de remettre en cause le calendrier que nous nous étions fixé pour aborder dans de bonnes conditions l’échéance de la clause de revoyure, prévue en mai 2011. S’il est important, en effet, que les décisions pour l’avenir de la régie publicitaire soient prises – je me suis renseignée, elles devraient l’être au plus tard fin 2010 –, on notera que, dans l’attente, nos deux collègues Michel Thiollière et Christian Kert, administrateurs de France Télévisions, ont pris toutes les garanties pour que la réflexion se poursuive, en ne votant pas sa privatisation.

En tout état de cause, les décisions relatives au financement de l’audiovisuel ne se prendront pas avant la prochaine loi de finances, c’est-à-dire avant la fin de l’année. En conséquence, à moins qu’on ne cherche, ce qui serait fort peu courtois, à court-circuiter sciemment le travail de fond que nous menons, Claude Belot et moi, et qui doit aboutir avant la fin de la session parlementaire, il me paraît raisonnable de différer l’examen de cette proposition de loi, en renvoyant celle-ci en commission. Cela ne remettrait nullement en cause votre propre travail, mes chers collègues, dont nous partageons d’ailleurs certaines des orientations.

Monsieur Ralite, vous reconnaissiez d’ailleurs vous-même en commission, le 4 mai dernier, que le rapport d’information de M. Belot, réalisé en 2000, portait un diagnostic très fin sur l’avenir de l’audiovisuel public. Ne pensez-vous donc pas qu’il serait pertinent d’attendre un peu plus d’un mois pour obtenir un nouveau diagnostic qui, puisqu’il émane du même auteur, ne devrait pas non plus manquer de finesse ?

Au risque de paraître un peu terne, je préfère la rigueur de la démonstration aux effets de manche. J’estime qu’avant de voter de nouvelles dispositions les parlementaires doivent pouvoir prendre connaissance de toutes les informations et de tous les chiffres nécessaires pour prévoir au plus juste les besoins et ressources du groupe public. Je tiens d’ailleurs à votre disposition la liste de la soixantaine de personnes que j’ai d’ores et déjà auditionnées avec mon collègue, ainsi que celle des travaux en cours et à venir. Ne prenons pas le risque de voter aujourd’hui des articles qui, sans plus de précisions, suscitent en moi des interrogations !

Je prendrai quelques exemples.

J’ai déjà eu l’occasion de commenter l’article 2, qui porte sur l’éventuel retour de la publicité après 20 heures.

En ce qui concerne l’article 3, il me semble difficile de statuer définitivement sur la vente de la régie publicitaire tant que nous n’avons ni confirmé ni infirmé la suppression totale de la publicité sur les chaînes de France Télévisions avant 20 heures.

À l’article 5, vous suggérez d’élargir l’assiette de la contribution audiovisuelle aux résidences secondaires, une proposition qui émanait de la commission Copé. Je crois que la contribution à l’audiovisuel public mérite une réflexion plus poussée sur son équité et sa modernisation. Il me semble que nous pouvons être plus ambitieux.

L’article 6 porte sur la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées. Par esprit de justice, nous sommes déjà revenus sur cette taxe il y a peu de temps, en abaissant son taux à 1, 5 %, pour justement éviter aux chaînes privées de payer pour un effet d’aubaine qui n’a pas eu lieu. Nous ne serions pas crédibles en proposant maintenant de le faire passer de 3 % à 5 %.

Vous êtes, comme nous, très attachés à l’indépendance de France Télévisions. Qui dit indépendance du pouvoir politique dit aussi indépendance de l’expertise des besoins de financement. Je regrette par exemple que, pour assurer une meilleure adéquation du financement aux missions du groupe, aucun dispositif d’évaluation indépendant et neutre, comme cela se fait en Allemagne avec la Kommission zur Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten, la KEF, ne soit prévu dans votre proposition.

Nous avions d’ailleurs fait adopter en séance au Sénat un amendement visant à confier au CSA un rapport annuel sur le financement de l’audiovisuel public. Vous avez fait le choix de vous abstenir sur cette proposition. Il me semble pourtant que ce document aurait été précieux.

Autant nous devons nous saisir du débat en amont, comme nous l’avons fait le 10 mai dernier, comme nous le faisons aujourd’hui, autant nous devons attendre avant de décider de revenir ou non sur la loi du 5 mars 2009.

D’ici là, comme vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur l’incidence de la fin de la diffusion de la publicité en soirée, et ce au plus tard le 1er mai 2011.

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