Intervention de Ivan Renar

Réunion du 20 mai 2010 à 9h00
Service public de la télévision — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qui s’est dit ici même voilà dix jours, et encore ce matin, il y a véritablement urgence à adopter de véritables dispositions relatives à la télévision publique.

Comme a pu l’expliquer mon ami Jack Ralite, la télévision est, dans son financement, et donc dans son indépendance, gravement menacée. C’est pourquoi notre proposition de loi ne se contente pas de dresser un bilan de l’application de la loi du 9 mars 2009, qui a bouleversé l’équilibre économique de France Télévisions : elle en tire les conséquences et présente des solutions avant qu’il ne soit trop tard.

Oui, il est indispensable que le groupe France Télévisions possède dès aujourd’hui – et non pas, comme cela est prévu dans la clause de revoyure, en 2011 – les éléments constitutifs et déterminants de l’élaboration de sa stratégie de développement, à savoir le maintien de ses ressources publicitaires.

La télévision publique de demain se construit aujourd’hui, en fonction du projet et de la visibilité que nous lui donnons en déterminant, par les textes que nous votons, les financements nécessaires et adéquats. Il est véritablement de notre devoir et de notre responsabilité de décider sans tarder, pour qu’un véritable service public télévisuel digne de ce nom puisse encore et pour longtemps trouver sa place dans la société française.

Pour cela, afin de sortir France Télévisions des ornières dans lesquelles la loi de mars 2009 l’a embourbé, nous proposons aujourd’hui un plan de sauvetage en six mesures, détaillées dans les six articles de notre proposition de loi, que Jack Ralite a rappelées tout à l’heure.

Une de nos propositions consiste à maintenir la publicité en journée sur France Télévisions, même après 2011 – une publicité, naturellement, sévèrement encadrée. Et vous aurez remarqué comme moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, loin d’être partisane, cette proposition transcende actuellement les appartenances politiques, et pour cause : cette solution, combinée au financement par la redevance télévisuelle et par les dotations de l’État, est la seule qui puisse assurer les moyens nécessaires à la sauvegarde de France Télévisions, et elle permet au débat de sortir de sa béatitude conflictuelle.

J’en profite ici pour affirmer, même si cela va de soi, que nous ne défendons évidemment pas la publicité en tant que telle, les intérêts privés des « marchands du Temple ». Nous défendons une télévision publique indépendante, qui dispose des financements nécessaires à son développement, à l’accomplissement de ses missions propres et au maintien de programmes de qualité. Or cette télévision-là ne saurait actuellement exister sans les revenus liés aux ressources publicitaires, à défaut, on ne le répétera jamais assez, d’une redevance à la hauteur.

Ces revenus sont d’autant plus indispensables que, en période de crise et de déficits étatiques colossaux, le Gouvernement vient d’annoncer un plan d’austérité sans précédent, qui vient s’ajouter à la désormais fameuse et sinistre révision générale des politiques publiques, dont la culture comme d’autres secteurs de la vie sociale font les frais, particulièrement par la suppression de nombreux emplois. Se trouvent ainsi aggravées les inégalités qui marquent une société où le tout des uns est fait du rien des autres.

Dès lors, comment croire que l’État aura les moyens – sans même parler de volonté ! – de compenser cette diminution de ressources qui ne ferait que s’accentuer avec la suppression totale de la publicité en 2011 ?

Il ne s’agit pas ici d’asservir la télévision publique à des intérêts économiques – auxquels, du reste, grâce au panachage des financements, elle n’a jamais été soumise. Il ne s’agit pas non plus de faire dépendre la télévision publique exclusivement des finances de l’État, surtout quand on sait que les taxes destinées à compenser les pertes provoquées par la diminution des recettes publicitaires sont tour à tour remises en cause par le lobbying des chaînes privées ou encore par la Commission européenne, ce qui affecte de manière évidente l’indépendance des chaînes publiques à l’égard du pouvoir politique. Paradoxalement, le cumul de ces mesures et la remise en cause systématique des systèmes de compensation nous font revenir aux débuts de la télévision, à l’ère de l’ORTF et de son financement quasi exclusivement étatique !

En revanche, la nomination du président de France Télévisions par décret présidentiel – question que vous avez abordée, monsieur le ministre – suscite davantage d’interrogations en termes d’indépendance… La nomination doit en effet être validée par un avis conforme des sénateurs et des députés ainsi que du CSA. Malheureusement, les rapports de force politiques dans les assemblées ainsi que les conditions de mise en œuvre de ce mécanisme ne permettent pas l’émergence d’un véritable dialogue ni d’une véritable voie alternative. Dès lors, comment décemment parier qu’il en ira autrement dans le futur ?

À l’heure où est organisée la circulation de rumeurs concernant les noms des futurs prétendants, je crois important et opportun de réaffirmer la nécessité que le président soit choisi pour ses compétences et son expérience du service public, qu’il soit déterminé à affirmer les valeurs d’un véritable service public proposant une télévision de qualité, et non exclusivement préoccupé de la gestion économique et financière, à l’instar d’un dirigeant d’un grand groupe privé.

À titre personnel, je me prononce même pour la reconduction de l’équipe de direction actuelle, qui a jusqu’aujourd’hui, dans un contexte plus que difficile, effectué un travail remarquable et dont l’implication n’a jamais fait défaut.

Avant de conclure, je soulignerai que la publicité, qu’on le veuille ou non, reste un élément déterminant du financement de la télévision publique aussi bien que privée. Il n’est que d’observer la stratégie de TF1 et de M6, qui rachètent les nouvelles chaînes numériques dont les audiences en hausse attirent la publicité ! On assiste d’ailleurs à un inquiétant phénomène de concentration sur la TNT, où le pluralisme est sérieusement menacé.

Qui plus est, comment penser que la suppression de la publicité puisse être un bien, ou un « plus », quand France Télévisions souffre d’un sous-financement chronique, comme l’a souligné la Cour des comptes et comme l’a rappelé Jack Ralite, du fait du refus obstiné d’augmenter la redevance pour la porter au niveau de celle de nos voisins européens ?

Or la bonne santé de la télévision publique conditionne celle de la télévision tout court, car la qualité des programmes de France Télévisions a toujours eu un effet d’émulation sur les chaînes commerciales.

Enfin, parce qu’il n’y a pas de démocratie sans une séparation claire et nette des pouvoirs, nous ne pouvons que nous insurger contre une situation inédite qui place de fait l’exécutif de notre pays en position tout à la fois de directeur du budget, de directeur des programmes et de l’information et de directeur des ressources humaines de France Télévisions. Tout est dans tout, et le reste est dans Télémaque

C’est pourquoi nous pensons qu’il faut maintenir et développer toutes les ressources, y compris la ressource publicitaire, pour que vive l’indépendance de l’audiovisuel public, qui a permis jusqu’à présent à nos concitoyens de bénéficier d’une télévision de qualité. En un mot, le service public de la télévision se portera bien à condition qu’on le sauve.

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