Le constat historique démontre l'étonnante stabilité de l'oligopole de l'eau. Depuis plusieurs décennies, trois entreprises - la Compagnie générale des eaux, la Lyonnaise des eaux et la Société d'aménagement urbain et rural, la Saur, - se partagent l'essentiel du marché de l'eau. Leur part de marché respective reste figée à des niveaux constants.
Plus encore, le marché des villes de plus de 100 000 habitants, où se concentrent les marges excessives, restent chasses gardées de la Compagnie générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux.
La concurrence de la Saur se limite aux villes de moins de 100 000 habitants, les petites entreprises intervenant sur le marché des villes de moins de 50 000 habitants.
Ce phénomène a été amplifié par la constitution de sociétés mixtes entre les deux grandes entreprises pour l'exploitation des grands contrats comme ceux concernant les villes de Marseille et de Lille, ou par le partage du marché de la ville de Paris, la rive droite de la Seine étant dévolue à la Compagnie générale des eaux et la rive gauche à la Lyonnaise des eaux.
En France, aucune entreprise extérieure au secteur de l'eau ne s'est sérieusement intéressée à une entrée dans ce domaine.
La concurrence étrangère s'est aussi peu manifestée : une société américaine de distribution d'eau, US Filter, avait souhaité s'implanter en France, avant d'être rachetée par Vivendi - Générale des eaux. La société britannique Thames Water avait également émis le souhait de répondre à des appels d'offres, mais cette volonté ne s'est jamais concrétisée.
Face à ce duopole de fait, comment agir pour éviter la captation d'une véritable rente de situation par le secteur privé ?
Dans le secteur de l'eau, le renouvellement du contrat de délégation est un moment crucial pour faire vivre la concurrence et assurer un bon rapport qualité - prix du service de l'eau.
Veolia, l'ancienne Compagnie générale des eaux, Suez, l'ancienne Lyonnaise des eaux, et la Saur se partagent la quasi- totalité du marché.
Passée la signature du contrat, les collectivités disposent de peu de moyens pour modifier l'équilibre économique de la délégation de service.
Devant le très faible niveau de concurrence lors des appels d'offres, il paraît essentiel de renforcer le contrôle juridique de ces renouvellements de contrat qui vont structurer la tarification des vingt prochaines années.
Ce contrôle se justifie notamment pour les collectivités de plus de 100 000 habitants. Celles-ci font, en effet, face à une concentration extrême de l'offre privée et les renouvellements de leurs contrats engagent des volumes très importants.
La particularité spécifique du secteur de l'eau réside dans le fait que le jeu concurrentiel a lieu dans une fenêtre de temps très courte : le renouvellement du contrat, tous les quinze ou vingt ans. Dès lors, la structure du marché est peu réversible, car on doit attendre un nombre suffisant de renégociations de contrats pour connaître un changement significatif.
Cet état de fait entraîne deux conséquences.
Tout d'abord, la plupart des contrats des grandes villes seront renégociés dans les prochaines années : 2009 pour Paris, 2011 pour le SEDIF, 2012 pour Lille, 2016 pour Lyon. L'issue de ce renouvellement de contrats va donc déterminer une large part de la tarification de l'eau pour les vingt ans à venir.
Ces renouvellements étant préparés sur plusieurs années, il est fondamental de réformer dans les deux ou trois prochaines années la régulation de ce secteur.
Ensuite, il est nécessaire de concentrer le contrôle sur ce moment clef qu'est la renégociation. Si le renouvellement a été utilement encadré par la loi Sapin, il faut renforcer ce contrôle par une autorité extérieure.
Cette régulation nationale représentera un premier pas vers une régulation communautaire de ce service essentiel.
Nous, parlementaires nationaux, avons là une responsabilité importante, notamment à l'heure où Véolia et Suez s'implantent fortement dans des pays auparavant orientés vers une gestion publique, tels l'Allemagne et les pays de l'Est.
Les autorités régulatrices de la concurrence doivent vérifier que l'oligopole de l'eau ne génère pas de système d'entente, préjudiciable aux consommateurs européens.