Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 11 octobre 2005 à 16h00
Prorogation du mandat des sénateurs des conseillers municipaux et généraux renouvelables en 2007 — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

... revenait à enlever aux citoyens le droit d'influer, par l'élection des nouveaux conseils municipaux, et donc des nouveaux grands électeurs, sur la désignation des sénateurs soumis à renouvellement. En conséquence, il fallait confirmer l'antériorité des élections municipales par rapport aux élections sénatoriales.

Il s'agissait ensuite de modifier le moins possible le calendrier initialement prévu, de manière à ne pas peser sur les dates des consultations électorales ultérieures, ce qui impliquait de conserver au problème posé sa dimension conjoncturelle.

Il s'agissait enfin de limiter au strict nécessaire la prorogation des mandats soumis à renouvellement.

Ces propositions de loi étaient en harmonie avec l'avis rendu le 16 décembre 2004 par le Conseil d'Etat, dont le contenu est résumé dans son rapport annuel de 2005. Elles respectaient également les observations du Conseil constitutionnel parues au Journal officiel du 8 juillet 2005.

Le scénario antérieurement prévu a été abandonné par le gouvernement actuel au profit de deux projets de loi que vous nous avez présentés, monsieur le ministre délégué, et dont notre rapporteur a analysé le contenu.

Je ferai part du jugement que nous portons sur ces projets de loi dans leur rédaction actuelle avant d'en venir aux considérations que nous inspirent les modifications proposées, sur l'initiative de son président, par la commission des lois.

Si, pour des raisons constitutionnelles, nous sommes en présence de deux projets de loi, ceux-ci sont l'expression d'une démarche unique compte tenu de leur interaction.

Le Conseil d'Etat a estimé que le principe du droit de suffrage exprimé à l'article 3 de la Constitution impliquait normalement que le renouvellement des conseils municipaux, qui concerne la plus grande part des électeurs du Sénat, précède le renouvellement partiel de cette assemblée.

Le Conseil constitutionnel a observé que le report des élections locales posait nécessairement la question du report des élections sénatoriales. Il a ainsi confirmé sa jurisprudence antérieure reconnaissant que les élections sénatoriales ne sont pas détachables des élections locales.

Nous nous réjouissons que les projets de loi aient tenu compte des observations et avis émis par ces deux hautes juridictions. Nous sommes satisfaits que le scénario original soit resté sans suite. Les projets de loi confirment et organisent l'antériorité des élections municipales sur les élections sénatoriales. Nous apprécions d'autant plus facilement la justesse de cette position que c'est celle que nous avons défendue dès l'ouverture du débat sur la modification du calendrier électoral, mais nous vous donnons volontiers acte, monsieur le ministre délégué, de ce point positif dans le projet gouvernemental.

Au-delà de la sauvegarde de ce principe essentiel, que nous soutenons, les textes soumis à nos délibérations entraînent des conséquences plus complexes sur l'organisation générale des futures élections. J'en évoquerai quatre.

Première conséquence : le projet de loi ordinaire provoque le découplage des élections cantonales et des élections régionales.

En effet, si le calendrier proposé par le Gouvernement est adopté, la séquence électorale locale se déroulera de la manière suivante : en 2008, élections municipales et cantonales ; en 2010, élections régionales ; en 2011, élections cantonales.

L'identité de la durée des mandats de conseiller régional et de conseiller général entraînera la pérennisation de ce découplage et engendrera un système complexe. Les élections cantonales auront lieu alternativement couplées avec les élections municipales et isolées. Autrement dit, une moitié des conseillers généraux sera élue en même temps que les conseils municipaux, l'autre moitié étant élue de manière isolée.

Le système qui regroupe tous les scrutins locaux nous paraît plus efficace pour tenter de limiter l'abstention. C'est d'ailleurs cet argument qui, partagé par le plus grand nombre, avait conduit les différents gouvernements à maintenir, en dépit de l'alternance, le regroupement des élections locales.

Une adaptation calendaire conjoncturelle doit-elle entraîner un tel changement structurel ?

Deuxième conséquence : le calendrier proposé par le Gouvernement organise une prise en compte excessivement tardive des conséquences des élections municipales sur la composition du Sénat.

Depuis l'origine de la Ve République, les élections sénatoriales interviennent tantôt six mois tantôt trois ans et six mois après l'élection des conseils municipaux.

Si les projets de loi en discussion sont adoptés dans leur rédaction initiale et, excepté la séquence 2008 - 2013, sur laquelle je reviendrai, les renouvellements du Sénat interviendront, à partir des élections municipales prévues en 2014, respectivement deux ans et six mois, puis cinq ans et six mois après l'élection des conseils municipaux.

Or la logique de la réduction de la durée du mandat de sénateur à six ans était de mettre en phase le renouvellement des conseils municipaux et le renouvellement du Sénat. En effet, à partir du moment où celui-ci est renouvelé par moitié, chaque élection municipale a vocation à déterminer la composition intégrale du Sénat, ce qui n'était pas le cas avant la réforme de 2003.

Un aménagement technique du calendrier électoral doit-il entraîner, par rapport à la situation actuelle, un recul de deux ans dans la prise en compte, même indirecte, de l'expression du suffrage universel ? N'est-il pas plus conforme au droit de suffrage de permettre que l'opinion émise par nos concitoyens soit prise en compte le plus tôt possible et qu'elle ne trouve pas son plein effet six mois seulement avant l'achèvement du mandat des conseils municipaux ?

Alors que le Sénat, dans son mode désignation actuel, continue à prêter le flanc aux critiques et à susciter une polémique sur sa légitimité et sa représentativité, est-il indispensable qu'une adaptation calendaire conjoncturelle aggrave la situation ?

Certes, mes remarques ne valent qu'à partir du renouvellement municipal proposé par le Gouvernement en 2014 et ne concernent pas la séquence de 2008-2013. Toutefois, monsieur le ministre délégué, sur cette période, le projet de loi entraîne une curieuse innovation. Si ce texte est en effet adopté en l'état, les grands électeurs issus de l'élection des conseils municipaux de mars 2008 éliront les sénateurs de la série A en septembre 2008, mais ces mêmes grands électeurs auront l'occasion de les réélire en septembre 2013, à l'issue de leur mandat de cinq ans.

Ce serait la première fois que des grands électeurs auraient la possibilité, au titre d'une légitimité tirée d'une unique élection municipale, de désigner ainsi deux fois et à cinq ans d'écart leurs « représentants ».

Est-il logique qu'une adaptation calendaire conjoncturelle entraîne de telles spécificités et dote certains délégués des conseils municipaux élus en 2008 du pouvoir de voter deux fois ?

Troisième conséquence : le projet de loi organise une prorogation des mandats qui nous paraît plus importante que nécessaire.

Si, dans ce projet, la prorogation d'un an du mandat des sénateurs de la série A de 2007 à 2008 est compensée par la réduction d'un an du mandat suivant, il n'en va pas de même pour les conseillers municipaux et les conseillers généraux élus en 2008, puisque vous prévoyez, monsieur le ministre délégué, leur élection pour un mandat de six ans. D'ailleurs, cela vous conduit à proposer également de proroger d'un an le mandat des conseillers généraux élus en 2004.

Au-delà des conséquences évoquées précédemment sur la modification du calendrier des futures élections locales, votre projet nous semble favoriser de manière trop importante la prorogation des mandats, diminuant ainsi de facto le rythme de l'expression du suffrage universel.

Porter à sept ans la durée du mandat des conseillers généraux élus en 2004, afin, selon l'exposé des motifs, de maintenir le renouvellement des conseils généraux par moitié tous les trois ans, ne nous semble pas très opportun. Votre proposition conduit en effet à modifier la durée d'un mandat en cours qui n'arrive pas à échéance en 2007 et qui donc ne devait pas a priori être concerné par l'aménagement du calendrier.

La justification avancée est-elle constitutionnellement suffisante pour différer d'un an le renouvellement de la moitié des conseillers généraux ?

Une adaptation calendaire conjoncturelle doit-elle entraîner une prorogation généralisée des mandats de tous les conseillers généraux, quelle que soit la date de leur élection ?

Quatrième conséquence : le projet de loi apporte deux réponses différentes à la même question, à savoir celle du renouvellement par moitié d'une assemblée.

D'un côté, comme nous venons de le rappeler, le Gouvernement fonde sa proposition de prorogation généralisée des mandats des conseillers généraux sur la particularité du renouvellement triennal et, de l'autre, il ignore ce problème pour le renouvellement du Sénat. Pour ce dernier, le Gouvernement propose de conserver le calendrier ultérieur existant, à savoir 2010-2013, alors qu'il propose 2011-2014 pour le conseil général.

Il existe manifestement un problème de cohérence quand on apporte des réponses différentes à la même interrogation.

Même si votre projet de loi a le mérite de la simplicité, nous pouvons convenir que les quatre conséquences que j'ai évoquées, sauf à démontrer qu'elles sont erronées, en rendent l'application nettement plus complexe.

Nous continuons à penser que les solutions contenues dans les deux propositions de loi du groupe socialiste réglaient le problème de l'encombrement du calendrier, tout en évitant la complexité que je viens de mettre en évidence.

Cette complexité est d'ailleurs implicitement révélée dans le rapport du président de la commission des lois. Sur sa proposition, la commission des lois a d'ailleurs adopté quelques amendements sur lesquels nous sommes curieux de connaître la position du Gouvernement.

Ces amendements règlent une partie des problèmes que j'ai évoqués. La commission des lois prend acte de l'observation du Conseil constitutionnel et approuve le principe de l'antériorité des élections municipales sur les élections sénatoriales. Cela ne peut que nous satisfaire, puisque c'est le coeur de nos propositions de loi.

La commission des lois règle également par un amendement le problème de la prise en compte tardive des conséquences des élections municipales sur la composition du Sénat. De plus, elle évite que les mêmes grands électeurs ne se prononcent deux fois, au cours du même mandat, pour choisir les sénateurs de la série A. Enfin, elle apporte la même réponse au renouvellement triennal par moitié des conseils généraux et du Sénat.

En revanche, la commission des lois laisse subsister le décalage d'un an entre les élections régionales et les élections cantonales, abandonnant ainsi, au moins partiellement, le regroupement des élections locales tel qu'il existe actuellement.

Pour obtenir ce résultat, qui se traduit par un déplacement d'un an des futures élections sénatoriales, municipales et cantonales, la commission des lois propose une prorogation généralisée, même si celle-ci n'est que conjoncturelle, de la totalité des mandats concernés. Cette proposition n'est d'ailleurs pas différente du projet gouvernemental en ce qui concerne les conseillers municipaux et les conseillers généraux, mais elle s'en écarte sensiblement pour ce qui concerne les sénateurs.

Si l'on veut résumer simplement sa position, nous pouvons dire que la commission des lois propose un an de plus pour tout le monde !

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