Intervention de Jean-Paul Amoudry

Réunion du 15 juin 2006 à 15h00
Politique énergétique de la france — Suite du débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean-Paul AmoudryJean-Paul Amoudry :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir sur les évolutions législatives qu'appelle la directive européenne du 26 juin 2003, s'agissant notamment du service public local de l'énergie.

Cette directive rend obligatoires au 1er juillet 2007 la séparation juridique entre gestionnaires de réseaux de distribution et opérateurs de la commercialisation, ainsi que l'ouverture du marché à l'ensemble des consommateurs résidentiels.

La mise en conformité de notre législation avec cette directive exige une évaluation préalable de l'incidence de ces importantes réformes sur le service public de la distribution et de la fourniture d'électricité. Celui-ci a été créé voilà précisément cent ans aujourd'hui et placé par le législateur de l'époque sous la responsabilité de nos communes.

Afin de mener à bien l'évaluation suggérée, trois questions, parmi de nombreuses autres, doivent notamment être posées.

La première question concerne les modalités et les conséquences de la séparation juridique des gestionnaires des réseaux de distribution EDF et GDF.

Nous le savons, une telle séparation est obligatoire dans toutes les entreprises qui desservent au moins 100 000 clients. Elle implique la création d'un régime définissant cette nouvelle « indépendance ».

Affirmons-le d'emblée, ce régime ne devrait pas être cantonné aux seules règles d'organisation et de fonctionnement du gestionnaire. Il doit également prévoir les ressources financières nécessaires pour que le gestionnaire du réseau de distribution s'acquitte de manière satisfaisante de ses responsabilités en matière de développement et d'exploitation du réseau.

Il est donc essentiel que la rémunération de l'activité du gestionnaire, arrêtée dans le cadre des tarifs d'utilisation des réseaux, et la recherche de gains de productivité n'entraînent pas de diminution des investissements sur les infrastructures, ce qui conduirait par voie de conséquence à une baisse de la qualité et à des problèmes de sécurité des approvisionnements.

Monsieur le ministre, nous devons donc prévenir tout risque de rupture entre les secteurs du territoire par sous-investissement tant dans les réseaux que dans les moyens humains des opérateurs.

Le renforcement des prérogatives des autorités organisatrices à l'échelle départementale est sans doute l'une des voies à privilégier, en se fondant sur l'expérience acquise par nos collectivités concédantes en matière d'équipement des territoires et d'aménagement de ceux-ci dans un esprit de solidarité avec les populations qui y habitent.

La deuxième question porte sur le nouveau périmètre du service public.

La fourniture d'électricité et de gaz n'est plus a priori une mission de service public. Elle est devenue une activité qui s'exerce dans le champ concurrentiel. Dès lors, le service public local de l'énergie tend à se réduire à la seule mission de distribution.

Or qu'advient-il de la fourniture de « dernier recours » en cas de défaillance d'un fournisseur et de la fourniture facturée selon le tarif de première nécessité ?

Confiées jusque-là au distributeur par les contrats de concession, de telles missions pourront-elles continuer à relever du service public de la distribution ? Ou bien peut-on concevoir qu'elles soient à l'avenir dévolues par l'État aux fournisseurs qui le souhaiteraient ou à des fournisseurs désignés après appel public à candidatures ? Dans cette hypothèse, comment le contrôle de terrain, qui était jusqu'à présent assuré par les collectivités concédantes, sera-t-il relayé ?

À cet égard, la situation des distributeurs non nationalisés - je pense notamment aux régies, aux sociétés d'économie mixte et aux sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité, les SICAE -, qui ne sont pas soumis à l'obligation de séparation juridique dès lors qu'ils comptent moins de 100 000 abonnés, doit également être prise en compte. Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer que leur situation actuelle, où seules les comptabilités sont séparées, sera pérennisée ? Pouvez-vous également confirmer devant la Haute Assemblée les missions des distributeurs non nationalisés au regard de leurs responsabilités tant de service public que commerciales ?

La troisième et dernière question que je souhaite évoquer concerne la protection des consommateurs les plus vulnérables. Plusieurs orateurs se sont d'ailleurs déjà exprimés sur ce sujet.

Le succès de l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz ne pourra pas être assuré si les consommateurs ne se sentent pas en confiance.

Or la suppression des tarifs réglementés risquerait fort de se traduire par une hausse de prix excessive et gravement pénalisante pour les ménages et entreprises en situation de précarité.

Monsieur le ministre, vous nous avez donné ce matin des assurances en affirmant que le Gouvernement proposerait de pérenniser les tarifs administrés.

Mais, au-delà de cette affirmation de principe, pourriez-vous apporter des précisions sur le dispositif envisagé ? Celui-ci pourrait-il notamment s'inspirer des directives européennes de juin 2003, qui autorisent les États membres à imposer des obligations de service public aux entreprises, en particulier pour garantir aux consommateurs domestiques le bénéfice du service universel, c'est-à-dire un droit à approvisionnement en électricité à prix raisonnable ?

Au-delà de ces trois interrogations, et des réponses qu'elles appellent, je forme le voeu que les adaptations législatives à venir soient animées par les acquis de notre administration territoriale décentralisée.

Fortes d'une expérience centenaire dans la distribution d'électricité et de gaz, nos communes et structures intercommunales demeurent les garants d'un service de distribution et de fourniture d'énergie de qualité sur l'ensemble du territoire.

À la veille de la séparation des missions entre distributeurs et commercialisateurs, il serait toutefois nécessaire de renforcer les grandes intercommunalités départementales, afin notamment d'éviter tout risque de rupture territoriale dans la qualité de gestion des réseaux, et de faire appel aux collectivités concédantes pour faciliter les évolutions vers le futur paysage institutionnel de l'énergie. Je veux parler du développement du rôle de ces collectivités dans le domaine de l'information, voire de la défense du consommateur.

Enfin, à l'heure où l'ouverture des marchés coïncide avec des hausses tarifaires quasiment inéluctables, notre société est confrontée au redoutable défi de la maîtrise de l'énergie. Dès lors, ce sont encore ces mêmes collectivités qui seront les relais et les acteurs indispensables de toute politique significative en ce domaine.

Mais, monsieur le ministre, encore faut-il que l'État puisse mettre dans la balance des moyens financiers et fiscaux plus fortement incitatifs qu'aujourd'hui et véritablement à la hauteur de ce formidable enjeu qu'est la maîtrise de notre consommation énergétique.

Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de bien vouloir éclairer la Haute Assemblée sur les perspectives de transposition de la directive du 26 juin 2003, s'agissant à la fois du calendrier prévu par le Gouvernement et des orientations de fond qu'il envisage de proposer au Parlement.

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