Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 15 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 30

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Ce ne sont pas des agrumes, et cela se cultive notamment en Sologne. Savez-vous que, dans le bassin de Romorantin, 80 % des cueilleurs de fraises, qui saisissent délicatement chaque fruit par sa tige afin qu'aucune écorchure ne l'altère, sont des familles d'ouvriers agricoles turcs sédentarisés ? S'il n'y avait pas eu en Loir-et-Cher des travailleurs turcs venus travailler comme bûcherons, si leur famille ne les avait pas rejoints par la suite, on n'aurait pas, en effet, dans ce département que je connais bien puisqu'il n'est pas loin de ma région d'origine, des familles de Turcs pour cueillir les fraises dont nous nous régalons. Voilà pourquoi je commence par les fraises.

Je l'avais déjà souligné dans la discussion générale, l'immigration familiale ne doit pas être opposée à l'immigration de travail : l'une devient l'autre, et je viens de vous en donner un nouvel exemple, après celui des nounous africaines de nos blondinets parisiens que j'avais évoquées voilà quelques jours.

Nous sommes là devant un cas où ce gouvernement décrète qu'un type d'immigration, en l'occurrence le regroupement familial, est une immigration subie, une immigration qu'il faut limiter autant que possible. Comment procéder ? En appliquant l'arsenal habituel auquel recourt ce projet de loi, c'est-à-dire tout d'abord, comme à l'article 30, en allongeant les délais.

Dès son arrivée au ministère de l'intérieur, Nicolas Sarkozy avait annoncé son intention de réformer le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour s'attaquer à cette « immigration subie ». C'est donc ancien, et les premières restrictions avaient été apportées avec la loi du 26 novembre 2003.

Ainsi, les familles des travailleurs qui sont en France relèvent de l'immigration subie ! Pour autant, affirmer aujourd'hui que l'immigration familiale est la responsable des difficultés que nous rencontrons dans les banlieues, c'est peut-être oublier nos responsabilités dans ces difficultés ! Et il est vrai que l'immigration familiale, si elle n'est pas accompagnée d'une politique volontariste d'intégration - politique d'intégration organisée, et non d'intégration contrainte -, a parfois du mal à fonctionner. Alors, que fait-on ? On allonge le délai exigé pour pouvoir déposer une demande de regroupement familial, c'est-à-dire que l'on sépare le plus longtemps possible l'un des membres de la famille des autres membres.

Sur ce point, je me permettrai de vous exposer ce qui se passe actuellement en Roumanie.

En Roumanie, parce que la vie est difficile, de plus en plus de personnes partent travailler en Europe et laissent leurs enfants aux grands-parents. Dans la seule ville d'Iasi, dans la région de Moldavie, 10 000 enfants sont concernés, selon l'inspection de l'éducation locale. « Ils manifestent un grand besoin d'affection, présentent des troubles du sommeil et développent un comportement agressif », affirme Camelia Gravila, directrice de l'inspection de la ville. Un enfant de dix ans, Razvan Suculiuc, s'est pendu le 27 mars parce que sa mère, partie travailler en Italie, lui manquait trop. Ce suicide a bouleversé le pays.

Je voudrais dire, sans faire dans le trémolo ni dans le pathos, qu'un enfant malien, un enfant tunisien, un enfant marocain a autant besoin de son père que l'un de nos enfants.

Dire que l'immigration familiale est une immigration subie qui désorganise notre pays et tenter de la reporter le plus tard possible, c'est oublier ce que les entreprises françaises qui expatrient des cadres ont découvert ces dernières années...

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