Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 15 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 31

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Monsieur le ministre, si je n'étais pas une femme d'un âge certain - et non pas seulement d'un certain âge ! - et si je n'avais pas l'habitude, depuis plus de soixante ans, que l'on comprenne parfaitement bien, semble-t-il, ce que je dis, je commencerais à m'inquiéter de mon état mental. Cela étant, le phénomène de réfraction qui se manifeste depuis quelques instants dans l'air de notre hémicycle est trop insolite pour que je m'arrête plus longtemps à de telles craintes...

Monsieur le ministre, il n'est pas vrai qu'il s'agit de mieux accueillir des familles étrangères ; il s'agit d'empêcher le plus grand nombre possible d'entre elles de venir en France. En effet, aucune mesure favorable à l'intégration des familles étrangères n'apparaît dans ce texte.

Ainsi, les conditions de ressources prévues, même si elles doivent être modifiées comme l'a indiqué M. Hyest, excèdent les possibilités de la majorité des familles ouvrières françaises. Quelle ouvrière d'une usine d'abattage de volailles de l'Ouest - vous et moi en connaissons un certain nombre, monsieur le président - pourrait satisfaire aux conditions de ressources imposées aux travailleurs étrangers pour pouvoir vivre avec leurs enfants ? Il n'y en a pas !

Dans nos petites villes de l'Ouest - je ne connais pas beaucoup le reste de la France, mais je connais bien cette région -, le SMIC est le salaire plafond, et pas du tout le salaire plancher. C'est d'ailleurs un salaire qui est très rarement atteint, surtout pour les femmes.

Par conséquent, il est faux de prétendre comme vous le faites, monsieur le ministre, que vous entendez tout faire pour mieux accueillir les familles étrangères et mieux intégrer les migrants.

À cet instant, je voudrais revenir sur l'expérience que je n'ai pu évoquer tout à l'heure.

Voilà une dizaine d'années, les entreprises françaises qui délèguent à l'étranger des cadres, des techniciens, des ingénieurs trouvaient qu'il coûtait très cher d'y envoyer également leurs familles. Elles ont alors décidé de n'affecter à l'étranger que des jeunes célibataires, mais, au bout de quelques années, elles se sont aperçu que la productivité de ces derniers était très inférieure à celle des hommes qui s'expatriaient avec femmes et enfants. En effet, en dehors du travail, les jeunes célibataires s'ennuyaient et, entre les distractions et les vagabondages de toute sorte, leur productivité se trouvait sérieusement entamée. Finalement, depuis quelque temps, les entreprises en reviennent les unes après les autres à l'expatriation avec femmes et enfants.

On m'objectera qu'il s'agit là de personnes aisées, mais, que l'on soit riche ou pauvre, la présence d'une famille est de toute manière un facteur considérable d'intégration dans le pays où l'on se trouve. C'est aussi un facteur d'équilibre psychologique, essentiel au maintien de la productivité du travailleur, si l'on veut ne le considérer que sous cet angle.

Or le regroupement familial est organisé comme une course d'obstacles : on allonge le fossé à sauter, en portant à dix-huit mois au lieu de douze le délai nécessaire avant de pouvoir présenter une demande ; on relève la haie, en imposant que le demandeur justifie de revenus de plus en plus élevés. On va ainsi compliquer le plus possible le parcours d'obstacles, pour éviter que les familles ne viennent en France.

Tel est bien, en effet, l'objectif visé. On nous dit d'ailleurs très clairement, dans les postes diplomatiques, que c'est la volonté du Gouvernement.

Pour ma part, j'affirme que les familles des étrangers vivant en France, qu'ils soient Turcs, Tunisiens, Marocains ou Maliens, ne sont pas une nuée de sauterelles s'abattant sur notre pays. Leurs membres sont des travailleurs, actuels ou futurs, qu'ils cueillent des fraises, qu'ils creusent des fossés ou qu'ils gardent nos enfants.

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