Monsieur le garde des sceaux, vous voulez introduire des citoyens assesseurs non seulement dans les tribunaux correctionnels, en première instance, mais également dans les cours d’appel. Nous savons tous quelle situation connaissent, aujourd’hui, les cours d’appel : les délais d’audiencement y sont généralement longs, en raison de l’accumulation des dossiers que les moyens humains et matériels ne permettent pas de résorber comme il le faudrait.
L’introduction des citoyens assesseurs au sein des chambres des appels correctionnels allongera le délai de traitement des dossiers et la durée des audiences. Et nul n’ignore comment se déroulent les audiences devant une cour d’appel !
J’ai bien peur que cette nouvelle procédure ne soit difficile à mettre en œuvre. Là encore, les présidents des chambres des appels correctionnels devront se livrer à un exercice pédagogique particulièrement difficile, long et délicat.
Nous ne cessons de vous répéter la même chose depuis deux jours. Certains ont parlé de dialogue de sourds. Je ne vous fais pas un procès d’intention, monsieur le garde des sceaux, mais vous nous avez vous-même déclaré que les problèmes auxquels la justice est confrontée ne datent ni de cette année ni de l’année dernière, ajoutant que, en la matière, la responsabilité était collective – même si nous pensons, pour notre part, que la situation s’est aggravée, à bien des égards, ces derniers temps. Or le seul traitement que vous nous proposez est cette innovation législative qui laisse tout le monde dubitatif, y compris dans les rangs de votre majorité, où elle ne suscite pas un enthousiasme débordant.
Vous introduisez les citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels ; je ne pense pas, tout de même, que vous fassiez de même pour la Cour de cassation ! Tout le monde vous dit que cette mesure est négative, et même nocive, pour le fonctionnement de notre justice.
Tous les arguments sont respectables et recevables, monsieur le garde des sceaux, mais prétendre que l’opposition contesterait la création des citoyens assesseurs au motif que nous les considérerions comme insuffisamment formés et intelligents pour siéger dans les juridictions relève de la pure démagogie. Le problème n’est pas là ! Les citoyens assesseurs ne seront pas meilleurs que les étudiants en droit ou que les professionnels de la justice et il n’est pas sérieux d’attendre d’eux qu’ils en sachent autant, en vingt-quatre heures, sur un certain nombre de questions judiciaires et juridiques, que ceux qui y ont consacré plusieurs années.
Nous vous l’avons dit parfois avec humour, parfois avec gravité, Robert Badinter vous l’a dit avec toute la conviction et l’expérience qui sont les siennes. Pour ma part, mes trente-sept années de pratique m’autorisent, en toute humilité, à vous dire que vous faites fausse route, que vous n’allez pas dans le bon sens. La présence des citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels introduira une complexité supplémentaire et allongera les délais, elle sera extrêmement nocive. Vous rendriez service à la justice en y renonçant.