Au demeurant, la réflexion sur cette question ne date pas d’hier, puisque le sujet figurait déjà au cœur des travaux d’une commission réunie, en 1982, par le garde des sceaux de l’époque, M. Robert Badinter, et présidée par le professeur Léauté. Elle a ensuite été reprise dans le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle, présenté par Jacques Toubon en 1996.
La motivation des arrêts d'assises me semble constituer, à plusieurs égards, une avancée importante.
Elle renforcera tout d'abord la confiance dans la justice, en permettant à l'accusé, à la victime, et plus généralement au public de comprendre le pourquoi d’une décision. On nous rappelle à longueur de temps que la convention européenne des droits de l’homme de 1950 garantit le droit à un procès équitable. Mais la première exigence du procès équitable n’est-elle pas qu’une personne comprenne pourquoi elle est condamnée ? Or l’on ne peut comprendre les raisons de sa condamnation que si les décisions sont motivées.
Cette réforme me paraît donc de nature à rationaliser un processus de décision parfois trop empreint d'émotivité, en conduisant jurés et magistrats à s'appuyer sur des motivations concrètes, sans céder aux sentiments d'un instant.
Elle donnera des indications utiles à l'accusé, au parquet et à la victime pour décider ou non de faire appel.
Surtout, elle supprimera une incohérence extrême de notre droit. Aujourd’hui, les condamnations les plus graves ne sont pas motivées, alors que les moins graves le sont ! En effet, les décisions des tribunaux correctionnels sont obligatoirement motivées, tandis que les décisions criminelles des cours d'assises ne le sont pas. Comprenne qui pourra…
En tout état de cause, la réflexion des praticiens et de la doctrine progresse sur ce point. Je vous renvoie ainsi à la lecture d’un article de Michel Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse et président de cour d’assises, paru au recueil Dalloz 2011 et intitulé « Comment motiver les décisions de la cour d’assises ? » Ce magistrat conclut son texte en préconisant « l’adoption d’un mécanisme très simple de motivation succincte de l’arrêt pénal, avec un président de cour d'assises présentant en quelques paragraphes l’essentiel du raisonnement ayant conduit à la décision, le contrôle de la Cour de cassation étant alors un contrôle léger du fait de la particularité de la juridiction criminelle ».
C'est très exactement ce que le Gouvernement propose dans son projet de loi, et ce que la commission a bien voulu reprendre dans son texte.
De surcroît, comme l'observe ce magistrat, je confirme que le contrôle de la Cour de cassation portera exclusivement sur l'existence d’une motivation et sur l'absence de contradiction entre les différents éléments à charge retenus dans la motivation adoptée.
Je précise par ailleurs que le droit comparé justifie cette réforme et montre que c'est évidemment au président, et non aux jurés, de mettre en forme la motivation.
Rares sont les pays européens où la loi impose aux jurés de rédiger eux-mêmes la motivation du jugement : ainsi, au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne et en Italie, pays où les décisions des jurys d’assises sont motivées, ce sont les magistrats professionnels qui rédigent la motivation, car ils ont les capacités juridiques et techniques pour mettre en forme les arguments des uns et des autres.
Bien évidemment, ce texte peut encore être perfectionné, et la commission des lois du Sénat l’a sensiblement amélioré, comme vient de le rappeler M. le rapporteur.
Je crois très honnêtement que la motivation des arrêts d’assises deviendra obligatoire. Cette évolution me semble en effet inéluctable : les justiciables ont envie de savoir pourquoi ils sont condamnés, ce qui est d’ailleurs aisément compréhensible.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de rejeter ces amendements de suppression et d'accepter que, enfin, les arrêts d'assises soient motivés dans notre pays.