Intervention de Jean-Pierre Fourcade

Réunion du 10 juin 2009 à 14h30
Réforme de la taxe professionnelle — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Pierre FourcadeJean-Pierre Fourcade :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi d’un sujet très important pour l’ensemble de nos collectivités. À ce stade du débat, je me bornerai donc à faire trois constats et une proposition précise.

Premièrement, lors de sa création, la taxe professionnelle reposait sur trois piliers et un petit strapontin. Les piliers étaient la valeur foncière, les salaires, l’équipement et les biens mobiliers ; le strapontin était les cotisations versées par les professions libérales, les agents commerciaux et un certain nombre de petites entreprises.

La part « salaires » représentait un peu plus du tiers de l’assiette de la taxe professionnelle et les équipements et les biens mobiliers de 42 % à 43 %. En 1998, au moment où a été supprimée la part salaires, tout le poids de la taxe professionnelle s’est donc reporté sur l’équipement et les biens mobiliers. J’ai écrit à cette époque que nous assistions à la fin de la taxe professionnelle, car il était impossible de conserver dans le cadre d’une mondialisation qui se développait un mécanisme fondé essentiellement sur ces éléments.

Deuxièmement, l’imbrication de nos collectivités et la nécessité d’apporter de la transparence nous poussent à la spécialisation des impôts. La logique voudrait donc que l’on aboutisse à une fiscalité pour les collectivités de proximité que sont les communes et les groupements de communes, à une autre pour les départements et à une troisième pour les régions et les chambres de commerce et d’industrie, que j’assimile aux régions, puisque, ne l’oublions pas, elles prélèvent à peu près 1, 5 milliard d’euros de ressources sur la taxe professionnelle.

Enfin, troisièmement, je ne crois pas que l’on puisse expliquer aux entreprises françaises qu’on supprime la taxe professionnelle et qu’on instaure une cotisation minimale sur la valeur ajoutée reconstituant les bases de l’ancienne taxe professionnelle, à savoir les valeurs locatives, les salaires, les équipements et les biens mobiliers. Je ne suis donc pas favorable à cette fameuse théorie développée par beaucoup selon laquelle le taux minimal de taxation de la valeur ajoutée pourrait rapporter plusieurs milliards d’euros. En effet, les investisseurs, qu’ils soient Français ou étrangers, auront toujours la crainte que ce taux minimal ne cesse d’augmenter. Il suffit de penser à l’impôt sur le revenu de M. Caillaux, dont on a parlé tout à l’heure. On risque donc de reconstituer un système dangereux pour nos entreprises.

Voilà pourquoi je propose la spécialisation.

La nouvelle taxe perçue par les communes et les intercommunalités, que l’on n’appellera plus « taxe professionnelle » – trouver un nouveau nom sera également l’objet de la concertation – devra continuer à comporter trois éléments : la taxe sur le foncier des entreprises installées sur leur territoire, qui est localisable et qui crée un lien direct entre les besoins de la collectivité et l’entreprise ; la cotisation nationale de péréquation que prélève l’État, qui représente 1 milliard d’euros ; les recettes prélevées sur les cotisations des agents commerciaux et des professions libérales.

La dizaine de milliards d’euros que cela représente ne suffirait pas à compenser la suppression de la taxe professionnelle. C’est pourquoi il faudrait ajouter d’autres recettes en reversant intégralement la taxe d’habitation et la taxe foncière, par exemple, mais bien sûr en actualisant la valeur locative afin que les impôts locaux soient établis sur les bases d’aujourd’hui et non sur celles de 1970. Ce serait ainsi une manière de rétablir un peu plus de justice entre les différentes collectivités.

Au niveau des départements, que faire ? Je constate que l’État prélève une ressource fiscale, à savoir la taxe sur les salaires, dont le volume est à peu près comparable à ce que les départements reçoivent en matière de taxe professionnelle, soit à peu près 9 milliards d’euros. Cette taxe sur les salaires pourrait être affectée aux départements, car son élasticité est beaucoup plus grande que celle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou de la taxe sur les conventions d’assurance. Les départements ayant une activité sociale très importante, il est logique qu’ils reçoivent le produit d’une taxe dont l’ordre de grandeur est comparable à la perte qu’ils subiront.

En outre, le moment est, me semble-t-il, venu d’affecter le produit d’un panier de ressources fiscales prélevées sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu aux régions et aux chambres de commerce et d’industrie. En effet, la réforme des chambres consulaires à venir concernera les chambres régionales et il y a vingt-six régions. Concrètement, il pourrait s’agir d’un pacte triennal. En nous inspirant des pratiques en vigueur en Allemagne ou dans certains pays scandinaves, comme le Danemark ou la Finlande, nous pourrions trouver un système de partage permettant aux grandes collectivités locales de disposer d’un certain nombre de ressources.

Néanmoins, cela supposerait que deux conditions soient remplies. D’une part, il faut un pacte entre l’État et les collectivités concernées, afin de déterminer les modalités de la répartition. D’autre part, les produits qui seront versés aux régions et aux chambres consulaires devront être indexés sur l’évolution des recettes fiscales de l’État.

Je souhaite formuler deux observations complémentaires.

La première concerne la péréquation. À mon sens, le fait de n’avoir pas limité, au moment de l’institution de la taxe professionnelle, les gains d’un certain nombre d’entreprises qui ont bénéficié de la réforme a été une erreur.

Parmi les 2, 6 millions d’assujettis à la patente passés à la taxe professionnelle, 2 millions ont bénéficié de très fortes baisses – nous n’en avons jamais entendu parler ! –, 300 000 ont dû payer autant qu’avant l’entrée en vigueur de la réforme et 300 000 ont été assez lourdement surtaxés !

Si un mécanisme d’écrêtement avait été mis en place à ce moment-là, nous aurions pu établir une véritable péréquation et faire jouer un certain nombre de dispositifs de stabilisation. Cela nous aurait permis d’éviter les inconvénients que nous avons connus et qui ont conduit à des réformes successives sur les bases, les taux, les plafonds ou les verrouillages divers.

Je pense donc qu’il faut une péréquation entre les collectivités locales de proximité. Elle pourrait être assurée par un fonds national de péréquation chargé de s’assurer qu’aucune collectivité ne reçoive plus que son dû et que la répartition s’effectue sous l’égide du Comité des finances locales. Celui-ci s’occupe déjà de l’ensemble des dotations de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement.

Deuxième observation, nos entreprises, notamment les entreprises industrielles, que nous avons évoquées juste avant ce débat, doivent affronter une compétition économique mondiale, ainsi qu’une compétition fiscale au sein de l’Union européenne.

Il me semblerait donc dangereux, au moment où nous commençons à discuter des perspectives de reprise, de nous lancer dans des augmentations d’impôts, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés ou d’autres prélèvements obligatoires. La seule exception concerne la taxe carbone, mais il nous faudra au moins deux ou trois ans pour la mettre en place et pour trouver une assiette indiscutable.

En résumé, il faut diminuer au moins de moitié le poids de la taxe professionnelle sur les entreprises, supprimer toute taxation sur les investissements, instituer un mécanisme de spécialisation qui conserverait une taxe liée à l’activité économique dans les collectivités de proximité, enfin garantir le financement des départements, des régions et des chambres consulaires. Ainsi, nous aurions un système simple, lisible et susceptible d’améliorer la compétitivité de nos entreprises – c’est bien l’objectif –, sans remettre en cause l’ensemble des regroupements intercommunaux mis en œuvre depuis quelques années et sans traumatiser l’ensemble de nos collectivités locales.

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