Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser Christine Lagarde, retenue, qui m’a chargé de la représenter dans le cadre de la discussion de cette question orale avec débat sur la réforme de la taxe professionnelle.
Nous avons passé tout à l’heure deux heures à évoquer la situation de notre industrie, notamment sa perte de compétitivité. Comment reconstituer, dans notre pays, un territoire sur lequel il fait bon investir, travailler, innover et produire ? La suppression de la taxe professionnelle constitue une réponse précise à cette situation.
Depuis 1975 – date de sa création, monsieur Fourcade –, la taxe professionnelle a été modifiée par soixante-huit textes de loi.
Ce seul chiffre suffit, me semble-t-il, à nous convaincre de la nécessité de rebattre complètement les cartes. C’est un prélèvement dont les effets pervers ont justifié des modifications législatives permanentes et ont conduit tous les gouvernements, de gauche comme de droite, à s’emparer de la question, mais sans jamais vraiment y apporter de réponse définitive.
Le temps des atermoiements est révolu. Aujourd’hui, le Gouvernement est décidé à franchir un pas historique. L’époque n’est plus aux rafistolages permanents. Il s’agit désormais d’affirmer haut et fort que la taxe professionnelle ne doit plus peser sur les épaules de nos entreprises industrielles et pénaliser directement leur compétitivité.
Nous l’avons vu dans la mise en place du pacte pour l’automobile, quand on compare la chaîne de valeur d’une automobile produite en France avec celle d’une automobile construite, par exemple, en Europe de l’Est, on s’aperçoit combien la taxe professionnelle est un poids pour la production française. La taxe professionnelle représente, à elle seule, un tiers du différentiel de coût de production existant entre des usines françaises et des usines d’Europe de l’Est.
En outre, il faut bien avoir en tête que la taxe professionnelle ne pèse pas seulement sur les producteurs finals que sont les constructeurs automobiles. En effet, plus de la moitié de la taxe est à la charge des équipementiers, des sous-traitants, qui sont aujourd’hui dans la situation difficile que l’on connaît.
Avec le recul de plus de trente années dont nous disposons aujourd'hui, nous constatons que, en maintenant la taxe professionnelle, nous avons pénalisé non pas les grands actionnaires ni les grands patrons, mais les salariés, les ouvriers et nos territoires.
Il s’agit désormais d’achever définitivement la réforme de la taxe professionnelle.
Comme vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2004 et 2005, Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, avait mis en place deux dispositifs importants : un plafond à 3, 5 % de la valeur ajoutée et le ticket modérateur, puisque les collectivités ne perçoivent désormais le produit des hausses de taxe professionnelle que pour la part correspondant aux entreprises non plafonnées.
Pour soutenir l’activité en cette période de crise, le Président de la République a d’abord décidé, en octobre dernier, que les investissements productifs effectués avant le 31 décembre 2009 seraient entièrement exonérés de la taxe professionnelle.
Nous travaillons désormais à la suppression de cette taxe pour l’année 2010.
Cette suppression concernera tous les investissements productifs, appelés « équipements et bien mobiliers », qui représentent 80 % du produit actuel de la taxe. Cette imposition des facteurs de production pénalise gravement notre économie et, naturellement, d’abord notre industrie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme se fera avec le souci de préserver résolument les finances locales.
Je suis moi-même maire d’une commune et, à ce titre, je mesure bien l’importance de la taxe professionnelle pour les collectivités locales. Je connais les questions et les angoisses que ce sujet peut faire naître.
Ce n’est d’ailleurs pas la taxe professionnelle en tant que telle qui peut faire débat. Chacun est conscient, je crois, – et vous l’avez évoqué – de ses limites. La vraie question pour les élus est surtout d’obtenir la garantie que des ressources de substitution seront trouvées. Cette garantie, je la confirme aujourd’hui. Le Premier ministre en a donné l’assurance de longue date : chaque euro de recette sera compensé dans le cadre de cette réforme.
La réforme de la taxe professionnelle nécessitera de trouver pour les collectivités un montant total de 23 milliards d’euros : 22 milliards d’euros pour les collectivités locales et 1 milliard d’euros pour les chambres consulaires.
Aujourd’hui, la recette de la taxe professionnelle s’élève à près de 30 milliards d’euros au profit des collectivités et des chambres consulaires. Le poids de la taxe professionnelle pesant sur les entreprises est d’environ 25 milliards d’euros. L’État finance le solde : prise en charge des exonérations, dégrèvements successifs, plafonnement à la valeur ajoutée.
Il est donc souhaitable que nous sortions de l’ambiguïté actuelle où, à force de dégrèvements, l’État se retrouve de facto le premier contributeur local de la taxe professionnelle. En effet, l’État a contribué, au titre des dégrèvements, à plus de 9 milliards d’euros en 2007.
Cependant, cette prise en charge va mécaniquement diminuer, car moins d’entreprises atteindront le plafond. Dans le même temps, la cotisation minimale, correspondant à 1, 5 % de la valeur ajoutée et que l’État perçoit au titre des frais de recouvrement, est amenée, par un jeu de vases communicants, à augmenter sensiblement.
Demain, avec la suppression de la taxe sur la totalité des investissements productifs, et une fois pris en compte l’impôt sur les sociétés, 8 milliards d’euros de moins pèseront sur les investissements productifs des entreprises. C’est cet allégement qui a été évoqué par le Président de la République en février dernier. Naturellement, il faudra faire en sorte de trouver le moyen de gérer ce manque à gagner pour les finances publiques de notre pays.
Si l’on taxe l’investissement et le travail, le travail et l’investissement iront ailleurs. C’est alors la taxe professionnelle qui disparaîtra : il n’y aura plus d’assiette, plus de base et, donc, plus de matière à taxer. Telle est la raison pour laquelle nous devons, mesdames, messieurs les sénateurs, être très attentifs au choix que nous ferons de l’assiette pour un nouvel impôt économique local.
Ce qui vient tout de suite à l’esprit – et vous l’avez évoqué –, c’est l’existant : l’assiette foncière ou la valeur ajoutée. On peut aussi imaginer de taxer spécifiquement certaines assiettes, comme les pylônes, qui ont été évoqués par certains – mais la taxe existe déjà –, ou les éoliennes.
Quatre principes devront guider la réforme des finances locales et de la taxe professionnelle.
Le premier, c’est le maintien du niveau de ressources pour chaque collectivité. C’est un engagement du Premier ministre, comme je viens de l’indiquer.
Le deuxième principe, c’est le maintien d’un lien fiscal entre les activités économiques et leur territoire. Ce point est essentiel.
Le troisième principe, c’est le maintien d’un équilibre entre entreprises et ménages.
Enfin, le quatrième et dernier principe, c’est le respect du principe d’autonomie financière des collectivités territoriales.
Le principe de la compensation intégrale a été garanti, lui, par la règle constitutionnelle de 2003, qui dispose que l’autonomie fiscale des collectivités ne peut pas descendre en dessous d’un certain seuil.
S’agissant des ressources qui pourront être données aux collectivités en compensation, je ne peux vous préciser aujourd’hui leur nature exacte, compte tenu de l’état d’avancement du dossier. La concertation est totalement ouverte, et je vous remercie les uns et les autres pour vos contributions. Je peux néanmoins vous affirmer que le montant total sera le même avant et après la réforme. C’est bien là l’essentiel !
Les pistes de compensation sont multiples : un transfert de ressources fiscales alimentant aujourd’hui le budget de l’État, l’utilisation de dotations budgétaires ou bien l’augmentation ou la création de taxes locales. D’autres pistes de compensation des collectivités concernent le transfert de ressources fiscales actuelles d’État : la taxe sur les conventions d’assurance, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou encore le relèvement des bases foncières et l’affectation de la cotisation minimale sur la valeur ajoutée aujourd’hui perçue par l’État.
L’objectif est de mettre en place des taxes locales sectorielles, qui bénéficient aux collectivités et permettent d’éviter les effets d’aubaine dont certaines entreprises pourraient profiter. Les travaux sont en cours sur ce sujet ; les hypothèses de compensation des collectivités ne sont pas figées. Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes les hypothèses sont actuellement à l’étude.
Mais l’une des propositions du Gouvernement consiste à dire que, quel que soit le rythme de suppression des investissements productifs de l’assiette de la taxe professionnelle – en un an, en trois ans, voire davantage –, les collectivités voient leurs ressources financières mises en place dès 2011. L’État jouerait alors le rôle de chambre de compensation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme continuera à se faire en concertation avec le Parlement.
Après la remise du rapport Balladur au Président de la République le 5 mars dernier, la Conférence nationale des exécutifs, réunie le 26 mars 2009, a permis de lancer la seconde étape de la concertation. Celle-ci conduira à l’élaboration d’un schéma de compensation des collectivités dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle et nous permettra de mener à bien une réforme globale de la fiscalité locale.
Le Premier ministre a également demandé au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Christine Lagarde, d’engager une nouvelle phase de concertation avec les élus et les entreprises, afin de les associer pleinement, en amont, à l’ensemble des travaux préparatoires à cette réforme.
Christine Lagarde et Michèle Alliot-Marie ont rencontré les représentants des associations d’élus, une première fois, le 10 avril dernier, puis le 27 mai à Bercy, et les organisations représentant les entreprises, le 22 avril dernier, pour leur présenter des pistes possibles de compensation.
D’autres réunions sont prévues à la fin du mois. Le 29 juin, les ministres concernés rencontreront, une nouvelle fois, les organisations représentant les entreprises et les associations d’élus, afin de leur préciser davantage l’architecture de cette réforme et les propositions du Gouvernement.
Cette concertation, le Gouvernement la mène également en liaison étroite avec le Parlement. Je tiens à vous en remercier, mesdames et messieurs les sénateurs. Je remercie les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je remercie surtout le groupe de six parlementaires de la majorité et de l’opposition qui sont impliqués sur ce dossier. Il s’agit de M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, des députés Marc Laffineur et Jean-Pierre Balligand, ainsi que des sénateurs Charles Guené, Edmond Hervé et Albéric de Montgolfier.
Le Premier ministre a, enfin, rappelé que l’objectif du Gouvernement, après avoir engagé la concertation la plus large possible, est la mise au point d’un projet de loi d’ici à l’été sur le volet institutionnel afin qu’il soit examiné par le Parlement à l’automne.
La partie financière sera, quant à elle, présentée au Parlement lors du prochain projet de loi de finances. Cela suppose aussi qu’un projet soit prêt avant l’été. Comme vous pouvez le constater, nous travaillons dans un délai contraint. Nous avons l’intention de présenter le projet du Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous saisissons de cette crise pour en faire une opportunité de modernisation et de changement.
Nous avons débattu tout à l’heure de la situation de l’industrie dans notre pays. La suppression de la taxe professionnelle sera indiscutablement un gage de compétitivité et d’attractivité pour notre territoire en matière industrielle.
Avec cette réforme, nous voulons donner aux collectivités les moyens de leurs politiques et rendre la fiscalité de notre pays plus simple et, surtout, plus favorable à l’investissement, donc à l’emploi.