De même, les entreprises qui, en tant qu'employeurs, acquittent des cotisations sociales sans répercuter celles-ci sur le prix des produits et des services qu'elles proposent aux consommateurs sont vouées à disparaître.
La Haute Assemblée est donc dans son rôle d'expertise et de proposition en débattant du poids et de la nature des impôts et des charges sociales payés par nos concitoyens.
Je ne reviendrai pas sur le constat implacable et ô combien juste que vient de dresser M. le rapporteur général. Aujourd'hui, les cotisations sociales représentent la « majorité absolue » des prélèvements obligatoires, au moment même où la sécurité sociale est en passe de connaître une sorte de « crise existentielle ». Près du tiers de ses ressources proviennent désormais des prélèvements fiscaux - je ne rouvrirai pas le débat sur la question de savoir s'il s'agit du quart ou du tiers -, alors que cette part était résiduelle voilà vingt ans et que ses missions ont perdu en clarté et, partant, en légitimité.
À la logique d'assurance reposant sur des cotisations versées par les seuls salariés se mêle et se confond de plus en plus une logique de solidarité qui s'appuie quant à elle sur des prélèvements fiscaux acquittés par tous les contribuables.
Nous sommes nombreux à faire ce constat, pas seulement au sein de la commission des finances. Je me félicite qu'il soit de plus en plus largement partagé sur toutes ces travées, au-delà de la spécificité de chacune de nos commissions et au-delà, sans doute, des clivages partisans. Je me réjouis que les analyses de la commission des affaires sociales et de la commission des finances convergent à ce point.
Ayons donc le courage et la lucidité de voir la réalité en face pour être en mesure de proposer à nos concitoyens une « opération vérité » en vue de refonder, sur des bases claires, notre pacte social, notre pacte républicain. À défaut de lisibilité et de transparence se multiplieront les « usines à gaz », riches en tuyauteries incompréhensibles, conçues sans vision d'ensemble, à la petite semaine, et à ce titre inexplicables à nos concitoyens.
Il faut toute l'habileté du rapporteur général pour présenter de manière aussi évocatrice et parlante le transfert des ressources provenant de l'impôt au profit des différentes caisses de sécurité sociale..)
Cette opération vérité doit également être engagée dans deux autres domaines.
En premier lieu, il ne faut pas oublier que ces prélèvements sont insuffisants pour financer les dépenses d'aujourd'hui et n'ont pas empêché l'explosion du montant de la dette.
En second lieu, nous devons voir comment mettre fin à un système de prélèvements conçu au siècle dernier, à une époque où la globalisation des échanges était non pas une réalité incontournable, mais, au mieux, un objet d'études savantes et parfois désincarnées.
Tout d'abord, les prélèvements obligatoires, malgré leur poids, ne servent que pour partie à régler nos dépenses actuelles. Tels que nous les mesurons aujourd'hui, ils ne nous offrent pas une image fidèle de la réalité de nos comptes publics.
En effet, en dépit d'un niveau déjà trop élevé - ils représentent 44 % du PIB en 2006 -, ces prélèvements ne suffisent pas à financer l'ensemble de nos dépenses publiques puisque le déficit représentera sans doute en 2007, toutes administrations confondues, 2, 5 % du PIB, et ce en dépit des efforts conjugués des ministres délégués au budget et à la sécurité sociale.
Cela signifie que nous devons prendre en compte, à côté du taux actuel de prélèvements obligatoires, un taux futur de prélèvements obligatoires qui correspondra aux impôts et taxes que nos enfants et petits-enfants devront acquitter afin de régler les dépenses que nous n'avons pas le courage de financer, qu'elles soient consacrées à l'investissement - c'est peut-être pardonnable - ou, plus grave, au fonctionnement courant. Nous devons proclamer tous ensemble : « Halte aux impôts à crédit ! »
Notre débat d'aujourd'hui porte sur les prélèvements obligatoires et sur leur évolution. Il doit nous inciter à garder en mémoire cette réalité que je viens de rappeler.
Quel surcroît d'imposition faudra-t-il acquitter d'ici à quelques mois ou à quelques années afin de permettre le retour à l'équilibre de nos finances publiques et ainsi réduire le stock de dette avérée ou latente à laquelle nous faisons face et qu'il nous faudra, dans une Europe vieillissante, tenter de contenir, comme l'ont indiqué MM. les ministres, ainsi que Philippe Marini et Alain Vasselle ?
Là encore, les faits sont têtus. Si l'on en croit la Commission européenne, que citait Philippe Bas, la dette publique représentera 200 % du PIB de l'Union européenne en 2050, contre 63 % aujourd'hui, la dette publique de la France représentant quant à elle 240 % de son PIB à cet horizon, contre 67 % aujourd'hui.
Comme il sera matériellement et arithmétiquement impossible d'augmenter à due proportion les prélèvements pesant sur nos concitoyens, une opération vérité s'impose, sans tabou ni faux-semblant.
S'il est normal que chaque citoyen acquitte sa contribution aux charges communes, il est également indispensable, ainsi que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 l'a proclamé, que tout agent public rende compte de sa gestion. Toute dépense doit trouver sa justification. À défaut, si elle n'est plus utile à la collectivité, elle n'est plus légitime et doit donc être supprimée.
Il est plus que temps de porter un regard lucide sur notre montagne de dépenses, dont une large part n'est jamais soumise à examen critique ni même à audit poussé, et, surtout, d'en tirer les conséquences. C'est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir de voir la situation évoluer à cet égard. Cessons de reporter sans arrêt au lendemain la résolution de problèmes et de difficultés connus de tous, lesquels, pour peu que l'on s'en donne les moyens, ne sont pas insolubles.
Le débat de cet après-midi doit donc contribuer à cette salutaire prise de conscience, afin de nous permettre de préserver les atouts de notre système de sécurité sociale à la française, système dont les fondamentaux ont besoin d'être révisés.
Je me félicite donc tout particulièrement de l'initiative qu'a prise le Premier ministre, sur la recommandation des « pères fondateurs » de la LOLF, nos collègues Didier Migaud et Alain Lambert, initiative consistant à réfléchir à la possibilité d'intégrer plus étroitement projet de loi de finances initiale et projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, notre système de prélèvements ne pourra pas être durablement maintenu en l'état et devra s'adapter pour prendre en compte la réalité d'une économie désormais globalisée.
C'est une autre opération vérité que la commission des finances appelle aujourd'hui de ses voeux, car il convient de repenser les fondements de notre système de prélèvements, qui repose encore sur des concepts d'un autre âge.
Alain Vasselle s'interrogeait tout à l'heure sur la manière de trouver de nouvelles recettes. À cet égard, nous devons veiller à ce que nos prélèvements obligatoires ne nuisent pas à la croissance. Or c'est le cas pour certains d'entre eux, qui constituent de surcroît des handicaps pour le plein-emploi.
Par ailleurs - ce sera le second point de cette intervention -, il nous faut renoncer à taxer la production réalisée en France pour mettre en place une fiscalité moderne consistant à imposer les produits, notamment ceux que nous importons.
Puis-je vous avouer que j'ai cru, au début de cette année, que 2006 serait une année utile pour réformer le financement de la protection sociale ? Nous avons tous en mémoire les propos tenus à ce sujet par M. le Président de la République lorsqu'il a présenté ses voeux à la nation, le soir du 31 décembre 2005 : « Parce que nous voulons renforcer nos atouts pour l'emploi et garantir un haut niveau de protection sociale, nous allons ouvrir le chantier de la réforme de son financement. Aujourd'hui, plus une entreprise licencie, plus elle délocalise et moins elle paye de charges. Il faut que notre système de cotisations patronales favorise les entreprises qui emploient en France. »
Hélas ! depuis lors, une fois de plus, les forces de l'immobilisme, les adeptes du statu quo l'ont emporté. Renoncer à taxer la production réalisée en France est à mon avis une oeuvre de « salut public » pour la croissance et l'emploi.
Ce constat que la commission des finances fait déjà depuis de nombreuses années, nous veillons à le populariser, et je me félicite de l'adhésion chaque jour plus large qu'il suscite. J'ai d'ailleurs cru comprendre que M. le ministre délégué à la sécurité sociale commençait à être sensible à une mélodie autour de la TVA sociale.
Il me paraît en effet indispensable de substituer autant que possible aux impôts de production des impositions aux assiettes moins mobiles. Au premier chef, figurent les impôts pesant sur les produits, c'est-à-dire sur la consommation, qui présentent un certain nombre d'avantages.
En effet, ce sont des prélèvements neutres qui ne pèsent pas directement sur les coûts de production, qui sont levés indistinctement sur les produits et services importés ou produits en France, qui prennent en compte les besoins sociaux élémentaires - alimentation, médicaments, etc. - par le biais des taux réduits et qui sont supportés tant par les actifs que par les inactifs.
Une telle substitution entraînerait une amélioration de la compétitivité relative des biens et services produits sur le territoire national et soumis à la concurrence étrangère sur le marché français. Il serait alors mis fin au système actuel des cotisations sociales destinées à financer la santé, d'une part, et la politique familiale, d'autre part, qui sont, de fait, des « droits de douane à l'envers » payés uniquement par ceux qui produisent en France.
Les produits français ne feraient l'objet d'aucune inflation, contrairement à ce que soulignent un certain nombre d'économistes ou de prévisionnistes : les cotisations sociales disparaissant, le prix hors taxes baisserait corrélativement. Un grand débat national doit précéder une telle réforme afin qu'aucune entreprise ne soit tentée de confisquer une partie de l'équivalent des exonérations.
Les produits importés subiraient incontestablement une augmentation de la TVA, ce qui provoquerait une inflation de leur prix. En revanche, le prix sur le marché, toutes taxes comprises, des produits et services issus d'ateliers, d'usines et de bureaux français serait en baisse.
En parallèle, un tel dispositif devrait accroître la compétitivité des productions destinées à l'exportation, qui bénéficieraient à plein de la réduction du montant des charges sociales pesant sur leur coût de revient. J'ai conscience de l'importance des masses financières à déplacer. C'est pour cette raison que je suggère, messieurs les ministres, de ne pas exonérer les emplois non soumis à la concurrence, notamment ceux de la sphère publique, dont la production n'est pas soumise à la TVA.
Une telle mesure est de nature à enrichir le contenu de la croissance en emplois. On assisterait ainsi à une amélioration de la structure des prélèvements obligatoires de telle sorte qu'ils favoriseraient les modes de production intensifs en travail. Les secteurs placés à l'abri de la concurrence et soumis à une forte intensité en main-d'oeuvre devraient en profiter largement. Les secteurs qui sont exposés à la concurrence et affichent une forte sensibilité à la baisse du coût du travail pourraient gagner des parts de marché, tout en maintenant la localisation de leur production sur le territoire national. Les industries moins exposées à l'international ou relativement moins sensibles à la baisse du coût du travail devraient bénéficier de manière moindre de cette mesure.
Ce projet que nous portons n'a qu'une ambition : que l'innovation fiscale soit pleinement au service de la croissance et du développement de notre pays. À l'heure de la « croissance sociale », osons avancer sur la voie de la TVA sociale ! Sans réforme fondamentale de notre modèle des prélèvements obligatoires, nos discours resteront convenus et suspects ; ils ne seront qu'incantations, et nous constaterons chaque jour un peu plus que notre modèle est : « moins cher pour moins d'emplois ».
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la TVA sociale est maintenant inscrite, à mon avis, dans l'agenda politique. Je souhaite que les candidats à l'élection présidentielle se saisissent de cette question, afin que celle-ci soit au coeur des prochains débats. Veillons-y, afin que ce dernier débat de la législature soit porteur d'espoirs et d'avancées au service de nos concitoyens et de la France.
Monsieur le ministre délégué au budget, c'est sans doute une malice du calendrier, mais, à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 31 décembre prochain, vous allez devoir emprunter quotidiennement l'équivalent des dépenses que vous avez à financer, soit en moyenne 750 millions d'euros.