Intervention de Claudie Haigneré

Réunion du 23 mars 2005 à 21h30
Services dans le marché intérieur — Suite de la discussion et adoption des conclusions modifiées du rapport rectifié d'une commission

Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes :

Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je rentre aujourd'hui de Bruxelles, ou s'est tenu le Conseil européen. Nous y avons discuté longuement de la révision de la stratégie de croissance de l'Union européenne.

Vous avez bien compris qu'à l'occasion de ce Conseil européen il a été pris acte des vives préoccupations exprimées par la France sur le projet de directive sur les services, préoccupations auxquelles se sont associés d'autres Etats membres et de nombreux parlementaires européens, après l'Assemblée nationale et le Sénat français. J'ai notamment entendu, à cet égard, ce qui a été dit mardi dernier, au cours de la discussion générale du présent projet de résolution.

Ces préoccupations, cela vient d'être rappelé, ne remettent pas en cause notre volonté commune d'approfondir le marché intérieur des services, mais elles mettent l'accent sur l'exigence de préserver le modèle social européen lors de la réalisation du marché intérieur des services pour promouvoir la croissance et l'emploi et pour renforcer la compétitivité.

Pour ce faire, nous avons besoin d'un cadre législatif approprié. Vous aurez d'ailleurs noté que, dans ses conclusions, le Conseil européen « considère que le débat en cours montre que la rédaction actuelle de la proposition de directive ne répond pas pleinement aux exigences exprimées » et « demande que tous les efforts soient entrepris dans le cadre du processus législatif pour dégager un large consensus répondant à l'ensemble de ces objectifs ». Il ajoute que « des services d'intérêt économique général efficaces ont un rôle important à jouer dans une économie performante et dynamique ».

Cette formulation correspond pleinement à la position exprimée hier, au cours de ce Conseil, par le Gouvernement et par le Président de la République, ce dernier rappelant que la proposition qui était sur la table était inacceptable en l'état et devait être remise à plat pour éviter toute atteinte au modèle social européen et aux services publics.

Ce message politique fort met un terme à l'impression de confusion qu'une série de déclarations récentes de commissaires ou du président de la Commission avaient pu engendrer dans nos médias et nos assemblées.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, nous prenons également acte de la volonté du président Barroso, manifestée à plusieurs reprises, d'aller à la rencontre des préoccupations exprimées, s'agissant particulièrement du dumping social.

Il appartient maintenant aux co-législateurs que sont le Parlement européen et le Conseil européen de procéder à la réécriture du texte.

Comme l'a souligné tout à l'heure le Président de la République lors de la conférence de presse qu'il a tenue à l'issue du Conseil européen, le développement du marché intérieur des services « doit se faire sur de nouvelles bases, de façon ordonnée, en s'appuyant sur une démarche d'harmonisation vers le haut, comme cela a toujours été le cas dans la construction de l'Europe, dans le respect des droits sociaux, des services publics et de la diversité culturelle ».

J'aborderai maintenant trois points de fond qui ont été évoqués lors du débat de mardi dernier sur la proposition de résolution.

S'agissant tout d'abord du principe du pays d'origine, il est indispensable de privilégier la poursuite du processus d'harmonisation. M. Mercier et Mme Hermange l'ont dit très clairement, le principe du pays d'origine, tel qu'il était proposé dans cette directive, ne doit pas pouvoir s'appliquer, dans un secteur donné, en l'absence d'un socle d'harmonisation.

A ce sujet, les conclusions des études d'impact sectorielles lancées par le Gouvernement contribueront à valider cette analyse et permettront d'affiner notre position.

Au niveau du Conseil, je note que, après le temps des grandes déclarations de principe, plusieurs Etats membres ont avancé dans leurs réflexions à mesure que les expertises progressaient sur le texte et que les difficultés concrètes se manifestaient. Et je pense aussi aux études d'impact que nous sommes en train de mener.

Ainsi, c'est maintenant l'Allemagne, la Belgique, la Suède, le Danemark, le Luxembourg et le Portugal, voire l'Espagne, qui se rapprochent de notre position, alors qu'il y a une semaine encore seules quelques voix s'exprimaient.

C'est ce qui explique la dynamique qui se met en place et qui s'est manifestée hier au Conseil européen pour aboutir à la feuille de route que vous connaissez.

Bien sûr, nous attendons les recommandations du Parlement européen sur ces préoccupations et ces évolutions, mais le sentiment qui est en train de se dégager est qu'au niveau du Conseil des ministres et du Conseil européen nous sommes dans une position différente de celle qui était la nôtre, par exemple, lors du conseil « compétitivité » de novembre 2004, où, si quelques réserves avaient été exprimées par certains, tout particulièrement par la France, elles n'avaient pas été reprises par la plupart de nos partenaires. Cela provient du fait que dans nos relations bilatérales aussi, nous travaillons à faire progresser notre vision.

Je profite par ailleurs de l'occasion qui m'est donnée ce soir pour démentir certains propos lus trop souvent dans la presse ou entendus dans la bouche de certains tenants du « non » à la Constitution, et qui sont des contrevérités flagrantes.

Certains ont prétendu que la proposition de directive sur les services pouvait poser des problèmes aux travailleurs originaires d'un autre Etat membre pour ce qui est de leurs conditions de travail et d'emploi en France. En fait, la directive 96/71/CE, qui concerne le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, rappelle bien que ces travailleurs sont soumis aux conditions de travail et d'emploi du pays d'accueil.

M. Grignon l'avait signalé mardi dernier, précisant que, pour pouvoir aller jusqu'au bout de l'application de cette directive relative au détachement, encore fallait-il que les Etats membres gardent le contrôle de l'application effective de leur droit social national par les entreprises qui détachent des travailleurs sur leur territoire.

C'est pourquoi le Gouvernement demande le maintien de la déclaration préalable au détachement, élément fondamental pour conserver le contrôle dudit détachement.

Le deuxième point que je voulais évoquer concerne l'articulation de la directive « services » avec les directives sectorielles, point sur lequel s'est interrogé M. Hyest.

Le Gouvernement a demandé que soit très clairement affirmée la primauté du droit sectoriel et du droit spécialisé sur le droit général que mettrait en place une telle directive « horizontale ». Cette conception permet, à titre d'illustration, d'apporter des éléments de réponse à certaines préoccupations sectorielles.

Ainsi, M. Hyest a rappelé que la profession d'avocat est aujourd'hui soumise à deux directives sectorielles qui régissent la libre prestation et le libre établissement des avocats : la directive 77/249/CEE du 22 mars 1977, qui facilite l'exercice des prestations occasionnelles effectuées par un avocat d'un Etat membre dans un autre Etat membre, et la directive 98/5/CE du 16 février 1998, qui permet aux avocats ressortissants de la Communauté européenne de s'établir dans un autre Etat membre sans que leurs compétences professionnelles soient au préalable soumises à vérification.

Ces directives donnent toute satisfaction, à ma connaissance, aux intéressés, et continueront de s'appliquer. Dans ces conditions, l'apport de la « directive services » aurait été très marginal pour les avocats. Il aurait concerné essentiellement la simplification des procédures administratives, sans remettre en cause le fonctionnement actuel des barreaux et du Conseil de l'ordre.

Je terminerai en liant ce dossier au débat sur le traité constitutionnel.

Je rappellerai, compte tenu de ce qui a été dit - et que je pourrais qualifier parfois d'instrumentalisation -, que cette proposition de directive sur les services n'est en rien liée à la Constitution européenne. M. Le Cam et M. Retailleau le savent bien ! Cette proposition de directive a été formulée sur la base des traités existants et elle n'aurait pu être approuvée qu'avec une majorité au Parlement européen et au Conseil des ministres de l'Union européenne.

Prétendre, comme certains le font en dehors de cette enceinte, qu'un « non » au référendum du 29 mai aurait tué dans l'oeuf cette proposition de directive sur les services, c'est tout simplement mentir aux Français ! §

Je vois au contraire dans le débat concernant la directive sur les services un bel exemple de la vitalité démocratique de l'Union européenne et du fonctionnement des institutions européennes, celles-la mêmes qui seront renforcées par le traité constitutionnel. On peut en effet affirmer que jamais un projet de législation communautaire tel que celui dont nous discutons ce soir n'aura été examiné et discuté de manière aussi approfondie, avec la participation non seulement des responsables politiques et des élus nationaux et européens, mais aussi de la société civile et des partenaires sociaux.

La mobilisation a porté ses fruits. En effet, l'action conjuguée du Président de la République, du Gouvernement, du Parlement européen - où le texte sera examiné dans les prochains mois -, mais aussi de l'Assemblée nationale et du Sénat ont fait prendre conscience à la Commission des difficultés soulevées par cette proposition de directive et de la nécessité de suivre avec attention vos recommandations, mesdames, messieurs les sénateurs, pour faire évoluer le texte.

S'agissant, enfin, des services publics, je souhaite dire à Mme Tasca que le traité constitutionnel nous permettra effectivement de mieux les protéger, et nous avons besoin pour cela de mettre en oeuvre l'article III-122 de la Constitution européenne, grâce à un instrument juridique horizontal qui sécurisera le rôle, le fonctionnement et le financement des services publics.

Le Gouvernement réaffirme devant vous aujourd'hui sa détermination à obtenir satisfaction à cet égard.

Voilà quelques éléments de la feuille de route qui a été présentée au cours de ce Conseil européen par le Président de la République. Grâce à votre réflexion, à votre mobilisation, nous sentons évoluer les positions et nous avons maintenant la possibilité de réécrire ce texte pour qu'il corresponde aux ambitions d'une Europe qui se veut compétitive, d'une France qui se veut présente dans ce marché intérieur tout en faisant respecter ses exigences essentielles, et tout particulièrement son modèle social pour l'Europe.

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