Cet amendement a pour objet le retrait clair et net, pur et simple, de la totalité de la directive.
Il y a d'abord un problème de sémantique. On a parlé de remise à plat total, de réécriture, mais les choses ne seraient-elles pas plus claires si l'on parlait de retrait pour réécrire complètement la directive ?
Je souhaite dire ensuite à M. le rapporteur, qui a, je le sais, beaucoup travaillé, que la démarche « en biais » adoptée pour parvenir, après déjà tant de moutures - décidément, l'accouchement aura été douloureux -, à une nouvelle proposition de résolution n'a pas abouti à un résultat satisfaisant.
Le nouveau texte ne lèvera pas davantage les ambiguïtés que le texte initial. Certes, il témoigne d'un peu plus de fermeté puisque, maintenant, le Sénat « demande résolument l'abandon de la règle du pays d'origine », mais, est-il aussitôt ajouté, il ne le fait que « dès lors qu'il n'existe pas de socle d'harmonisation ». Or c'est tout l'un ou tout l'autre !
M. Barroso a très bien expliqué qu'une harmonisation dans un ensemble aussi hétéroclite, notamment avec les pays de l'Est, pourrait prendre des dizaines et des dizaines d'années. C'est donc précisément parce qu'il ne peut pas y avoir d'harmonisation que la Commission avait à l'unanimité, toutes sensibilités politiques confondues, proposé d'instaurer le principe du pays d'origine.
Je crois donc que l'ambiguïté est toujours au coeur de la proposition de résolution.
Est-il raisonnable de garder un très mauvais texte sous le seul prétexte de sauver une proposition peut-être bonne, à savoir le guichet unique en vue de limiter la paperasserie administrative ? Je ne le crois pas.
Cela étant, qu'il me soit permis de répondre aux propos de Mme le ministre.
Bien sûr, l'instrumentalisation et les contrevérités sont toujours du côté du « non », jamais de celui du « oui », mais je voudrais tout de même obtenir un mot d'explication sur ce qui s'est passé au cours des deux derniers jours au Conseil européen.
Il faut en effet distinguer entre les déclarations médiatiques et la réalité politique, madame le ministre ! J'ai comme vous lu le communiqué officiel de la présidence du Conseil européen. On a entendu beaucoup de rodomontades, vu beaucoup de coups de menton, mais que trouve-t-on vraiment dans ce communiqué officiel ?
D'abord, reconnaissez-vous oui ou non qu'à aucun moment l'abandon du principe du pays d'origine n'y est proposé ?
Ensuite, on proclame tout et son contraire : gentiment, par angélisme, on veut bien sûr l'« ouverture du marché intérieur des services », mais aussi le « respect du modèle social européen ». Et permettez-moi de lire cette phrase, car elle est superbe : « Par conséquent, le Conseil européen demande que tous les efforts soient entrepris dans le cadre de la procédure législative en cours pour dégager un large consensus qui répondra à l'ensemble des objectifs... » Cela ne veut rien dire : c'est de l'ordre de l'incantation, du souhait.
Pouvez-vous, madame le ministre, puisque vous l'avez vous aussi évoqué, nous dire ce qu'est ce fameux « modèle social européen » ? Le définissez-vous comme une moyenne des réglementations sociales des différents pays, comme le modèle aligné au plus bas, ou comme le modèle aligné au plus haut ?
Après recherche, je suis en mesure de vous dire que cette terminologie de « modèle social européen » n'est pas utilisée une seule fois dans le traité constitutionnel. En revanche, il y est fait vingt-sept mentions du principe de « concurrence libre et non faussée ».
Et, bien entendu, le communiqué de la présidence luxembourgeoise est contraint de revenir à la réalité : « La directive ne sera pas retirée. C'est la seule Commission qui pourrait le faire. Le Conseil européen n'a pas le droit de donner des injonctions de ce type à la Commission européenne. »
Il y a donc une totale impuissance du Conseil, que le Conseil reconnaît d'ailleurs. Vous connaissez aussi bien que moi la procédure, madame le ministre : pour faire adopter « de force », si j'ose dire, un amendement qui ne serait pas voulu ou accepté par la Commission, il faudrait que le Conseil se décide en fonction du principe de l'unanimité.
En réalité, ces tergiversations cachent une absence d'accord politique. Elles cachent aussi un tour de passe-passe : la procédure adoptée conduira au passage du texte devant le Parlement européen à la fin de l'été, c'est-à-dire bien après le 29 mai, bien après le référendum, et nous retrouverons alors le principe du pays d'origine ; nous le retrouverons, car, comme l'ont rappelé certains de nos collègues, les bases en ont été votées par le Parlement européen en février 2003, elles ont été approuvées à l'unanimité par les commissaires et par tous les gouvernements.
Le projet de résolution qui nous est soumis porte en lui l'ensemble de ces contradictions.
En outre, je le répète, il y a bien là un lien avec la Constitution européenne. On ne peut pas affirmer, par exemple, que, s'agissant des services d'intérêt économique général, les SIEG, la Constitution européenne écarte toutes les menaces.
Pour vous en convaincre, madame le ministre, je vous invite à relire deux articles l'un après l'autre : l'article III-122 tend à communautariser les SIEG, alors qu'il n'y avait jamais eu communautarisation auparavant C'est donc un abandon dans les mains de la Commission, dont on connaît les conceptions ultralibérales en la matière. Quant à l'article III-144, il donne une base juridique extrêmement ferme au principe du pays d'origine.
C'est la raison pour laquelle il faut envoyer un message fort. Si vous ne voulez sincèrement pas de la règle du pays d'origine, dites-le solennellement ici et, surtout, demandez le retrait de la directive et ne vous contentez pas de quelques modifications qui ne permettront pas d'améliorer un texte qui est fondamentalement mauvais.