La montée en puissance du « non » dans la campagne référendaire française et la polémique sur la proposition de directive Bolkestein ont pesé lourdement, hier, sur le sommet européen de Bruxelles.
A l'heure où plus de la moitié de l'opinion française s'insurge contre l'« Europe libérale » et rejette d'un même revers de main la directive Bolkestein et le traité constitutionnel, les dirigeants européens, pris de panique, madame la ministre, ont décidé, hier soir, d'adopter la stratégie du double langage.
Le président en exercice du Conseil de l'Union européenne, Jean-Claude Junker, alors qu'il déclarait, d'un côté, que les dirigeants européens étaient tombés d'accord pour que des modifications soient apportées à la proposition de directive sur la libéralisation des services, laquelle ne répond pas actuellement aux exigences du modèle social européen, réaffirmait, d'un autre côté : « La directive ne sera pas retirée. [Si tel était le cas...] nous donnerions l'impression que l'ouverture des services aurait disparu de l'agenda européen. Elle doit rester sur l'agenda européen puisque la stratégie de Lisbonne [...] implique que nous ouvrions le marché des services. »
Bien entendu, nous savons, comme l'a rappelé mon collègue et ami Guy Fischer, que ladite directive s'inscrit pleinement dans la stratégie de Lisbonne, qui hisse la compétition au rang des valeurs de l'Union européenne. A ce titre, cette proposition de directive préfigure l'Europe telle qu'elle est conçue par le traité constitutionnel européen.
Si les Françaises et les Français comprennent que la dévotion aux règles du marché règne en maître dans la lettre et l'esprit de ces deux textes, les dirigeants européens usent, quant à eux, d'un double langage pour casser l'élan du « non » au traité constitutionnel européen.
Le groupe communiste républicain et citoyen demande le retrait pur et simple de cette proposition de directive marquée par une logique de soumission des services aux règles de marché et de mise en concurrence entre les peuples.
Nous sommes, tout d'abord, fermement opposés au principe du pays d'origine. Nous considérons qu'en l'absence d'un niveau d'harmonisation suffisant des secteurs concernés, et compte tenu des disparités de l'Europe élargie, il présente un réel danger de dumping social et juridique. Dans la mesure où il conduirait à une application simultanée de plusieurs droits nationaux, placés en concurrence sur un même territoire, le principe du pays d'origine pourrait soulever le problème de l'égalité des citoyens devant la loi, madame la ministre, et notamment devant la loi pénale. Ce principe s'étend en effet à tous les domaines du droit, donc, en l'absence d'indication contraire, à la loi pénale. Aussi, nous demandons que le droit pénal soit explicitement exclu du champ du principe du pays d'origine.
Par ailleurs, nous déplorons le manque de clarté de la proposition de directive concernant la délimitation, dans les domaines de l'économie sociale, des services d'intérêt général et des domaines déjà couverts par d'autres directives spécifiques. Pour des raisons d'intérêt général, et parce qu'on ne peut pas les assimiler à des services marchands, de nombreux secteurs devraient être exclus du champ d'application du texte, qu'il s'agisse de la santé, de la culture et de l'audiovisuel, des professions juridiques réglementées ou des jeux d'argent.
Nous regrettons que les missions d'intérêt général ne soient pas explicitement exclues du champ d'application du principe du pays d'origine. Nous soulignons, à cet égard, que la confusion terminologique qui règne en la matière est largement entretenue par les tenants de la directive. Ainsi, la Commission européenne ne cesse d'affirmer que la directive ne viserait en aucun cas les services d'intérêt général, ce que d'aucuns définissent par la catégorie des services publics. Or nulle disposition ne reprend explicitement cette clause d'exclusion dans la proposition de directive. Nous demandons, par conséquent, que les services d'intérêt général soient explicitement exclus du champ d'application de la proposition de directive et que la Commission s'engage à proposer une directive sur les services d'intérêt général.
Par ailleurs, dans la mesure où la proposition de directive Bolkestein s'ajoute aux directives sectorielles, elle pourrait remettre en cause des textes existants ou en préparation, notamment les dispositions relatives à la reconnaissance des qualifications professionnelles et au détachement des travailleurs.
Nous requérons, à cet égard, d'une part, le respect de la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs, afin de conserver le contrôle par l'Etat d'accueil, des conditions de détachement et de réalisation de l'activité, d'autre part, une définition précise de l'articulation entre la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur et la directive concernant la reconnaissance des qualifications professionnelles.
Pour toutes ces raisons, nous demandons le retrait de cette proposition de directive.
La dynamique du « non » ouvre de nouveaux espoirs à celles et ceux qui aspirent, madame la ministre, à une Europe sociale, démocratique et de paix. Choisissons, le 29 mai prochain, de mettre à l'ordre du jour cette question et de demander pour l'Union européenne d'autres fondements que ceux qui sont proposés par la directive Bolkestein et le traité établissant une constitution pour l'Europe.