Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi un préalable. Nous sommes aujourd’hui le 1er avril, jour renommé pour les plaisanteries. Le prix du gaz augmente aujourd’hui de 9, 5 % pour cette année. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous annoncerez en fin d’intervention que cette mesure n’est qu’une blague, certes très mauvaise, mais une blague tout de même. J’ai effectivement une pensée pour les ménages les plus modestes qui subiront cette augmentation. Ils n’ont vraiment pas besoin de cela dans un contexte de crise économique et sociale d’une ampleur inégalée !
L’annonce soudaine par la direction de Total de la fermeture de la raffinerie des Flandres a subitement braqué le projecteur sur le sort de l’ensemble de la filière du raffinage dans notre pays et, à travers elle, des douze raffineries présentes sur le territoire.
Or les menaces qui pèsent sur le raffinage ne sont pas nouvelles. Au début des années quatre-vingt, après les deux chocs pétroliers, nous nous étions déjà posé la question de conserver ou non une indépendance énergétique et une capacité de production dans notre pays. Les derniers chiffres de l’Agence internationale de l’énergie montrent bien une tendance lourde à la baisse de la consommation des produits raffinés, commune à toute l’Europe et accentuée au cours des dernières années.
De la même manière, qui pourrait prétendre que nous venons de découvrir avec stupeur que les énergies fossiles n’auraient plus à l’avenir le même impact sur notre économie qu’auparavant ? De toute manière, comme vient de le souligner mon collègue Jean-Claude Danglot, cela ne peut pas être l’alibi pour des fermetures et des délocalisations.
On ne peut pas non plus ignorer, dans les politiques publiques, qu’il faudra s’orienter vers une diversification énergétique et prendre en compte les légitimes préoccupations environnementales.
Des signaux d’alerte existaient déjà. Il y a un an, le 10 mars 2009, Total annonçait la suppression de 550 emplois dans le raffinage, ce qui avait alors sincèrement ému Laurent Wauquiez, du moins en apparence. Le secrétaire d'État chargé de l'emploi avait indiqué que ce plan lui restait « en travers de la gorge ». Visiblement, il s’en est remis depuis et la lente agonie du raffinage s’est poursuivie, sans d’autres indignations constructives.
J’ai entendu dire dernièrement que le Grenelle de l’environnement serait responsable de la crise du raffinage que nous vivons actuellement.
Si crise il y a, elle est sans doute considérablement renforcée par le défaut d’anticipation, l’absence de régulation et l’absence d’investissement, ce qui a laissé toute la place à Total pour mener ses opérations de recherche du profit, sans contrepartie et, surtout, sans prise en compte de ses responsabilités industrielles, sociales et environnementales.
Car, en fait, qui doit décider des tenants et aboutissants de la politique énergétique ? Ce n’est ni Total ni M. Christophe de Margerie, de même que ce n’est pas Carlos Ghosn qui décide de la stratégie industrielle automobile, s’il convient de délocaliser, à quel rythme il faut le faire, s’il est souhaitable ou non de construire des voitures électriques. C’est à vous, monsieur le ministre, à votre Gouvernement et à la représentation nationale de décider et de dicter la politique à mener à nos entreprises !
Cette question du raffinage recouvre effectivement celle de l’indépendance énergétique du pays. Nous examinerons prochainement un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche : si l’indépendance alimentaire est fondamentale, l’indépendance énergétique l’est tout autant !
Le 15 avril prochain doit se tenir la fameuse table ronde sur l’avenir du raffinage, avec des représentants des salariés de Total et d’Exxon Mobil. Je n’ai absolument rien contre M. Jean-Louis Borloo, rien, surtout, contre ses préoccupations environnementales : j’ai les mêmes, et chevillées au corps !
Pourtant, monsieur le ministre, l’avenir du raffinage et, parlons clairement, la reconversion des bassins industriels potentiellement concernés à moyen terme ne se résument pas à une question environnementale et énergétique. C’est une question industrielle au premier chef, et une question complexe qui demande de prendre en compte la totalité de la filière, sans occulter les sous-traitants et en allant jusqu’à considérer les conséquences sur d’autres sites pétrochimiques, contraints d’évoluer et de s’adapter. Les conséquences portuaires, notamment sur le port de Dunkerque, seront sans doute très importantes.
À ce titre, cette table ronde doit avoir pour objectif principal de clarifier publiquement la stratégie que vous préconisez et de nous permettre de savoir si vous vous donnez les moyens d’atteindre les buts fixés, y compris les moyens financiers.
À ce jour, j’ai pourtant la douloureuse impression – et je ne suis pas le seul – que Total entend déterminer seul l’avenir du raffinage. Monsieur le ministre, je ne crois pas qu’il faille continuer à accepter sans sourciller que le groupe détienne un pouvoir aussi exorbitant sur toute une partie de la politique énergétique française.
En 2008, je le rappelle, car le chiffre est éclairant, Total a réalisé les plus importants bénéfices jamais engrangés par une entreprise française : 13, 9 milliards d’euros ! Total a d’ailleurs réinvesti, selon ses dires, 59 % de ses bénéfices. Elle n’en a pas moins continué à verser à ses actionnaires 4, 9 milliards d’euros en 2008, après leur avoir versé 4, 7 milliards d’euros en 2007. Par ailleurs, Total continuerait de procéder à des rachats d’actions pour un montant, tenez-vous bien, mes chers collègues, de 5, 5 milliards d’euros.
Vous en conviendrez, ce n’est pas du tout le quotidien des petites et moyennes entreprises, qui rencontrent aujourd’hui de nombreux problèmes de trésorerie.
Total dispose actuellement d’une trésorerie très importante, qui devrait lui permettre de voir sereinement l’avenir et, surtout, d’assumer les responsabilités qui sont les siennes. D’autant que, il faut le souligner également, Total continue de conduire des partenariats avec l’État.
Je me permets de rappeler quelques faits.
En 2009, Total est engagé avec l’État et a reçu, à ce titre, 7, 2 millions d’euros via l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, pour des recherches sur des agrocarburants de deuxième génération, dans le cadre d’un financement pluriannuel du projet « BioTfuel ».
En 2010, Total, encore lui, va considérablement bénéficier de la disparition de la taxe professionnelle et de l’enterrement – un enterrement de première classe ! – de la taxe carbone. Je dispose des chiffres pour la région Nord - Pas-de-Calais : la communauté urbaine de Dunkerque perdra 13 millions d’euros. Cette perte sera, certes, compensée cette année, mais aucune information n’est donnée pour les années suivantes. Je crois que de tels allégements fiscaux nécessitaient un minimum de contreparties, notamment sociales et industrielles.
Hier, Total a annoncé avoir obtenu le 1er mars 2010, par arrêté ministériel, le « permis de Montélimar » pour une durée de cinq ans. Ce permis permettra à Total d’explorer une zone de 4 327 kilomètres carrés en vue d’en démontrer le potentiel en shale gas.
Ces investissements sont nécessaires et sont sources de perspectives de développement et d’emplois intéressantes. À ce titre, monsieur le ministre, j’aimerais beaucoup que vous nous en disiez plus sur les retombées économiques et les conséquences en termes d’emploi attendues. Qu’avez-vous négocié ? Qu’avez-vous exigé ?
J’ai interrogé Didier Guillaume, président du conseil général de la Drôme, qui est très concerné par ces concessions. Notre collègue m’a dit ne pas avoir eu connaissance des possibles développements économiques et sociaux pour son département de cette opération. Je crois qu’il serait temps de réunir les élus de la région.
Même si cet investissement gazier me paraît prometteur, il ne doit pas rimer avec l’abandon pur et simple des bassins d’emploi jugés moins directement rentables. Il ne serait pas acceptable de déshabiller Pierre pour habiller Paul, Total ayant tout à fait les moyens de mener les deux de front.
Le risque est effectivement grand qu’il revienne aux pouvoirs publics et aux contribuables d’assumer toutes les conséquences sociales de ce désengagement, y compris le reclassement effectif des salariés et des sous-traitants, à charge pour les collectivités locales d’en assumer également les conséquences humaines.
Monsieur le ministre, il est vraiment temps que l’État français cesse de se faire dicter sa politique industrielle par les grands groupes.
Ces entreprises ont une responsabilité industrielle, sociale, environnementale, et c’est à vous qu’il revient d’en définir les contours comme de les faire respecter.
Monsieur le ministre, j’en viens à mon dernier point.
En avril 2009, vous avez installé dix commissaires à la réindustrialisation…