Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Louis Borloo déclarait le mois dernier en annonçant l’organisation d’une table ronde sur l’avenir de l’industrie du raffinage : « Il y a en matière de raffinage […] un certain nombre d’interrogations, […] les salariés […], l’ensemble des producteurs, distributeurs et raffineurs veulent y voir clair sur l’avenir de cet outil industriel ».
Depuis les années quatre-vingt, l’industrie de notre pays ne cesse de se dégrader en termes d’emplois et d’activités. La crise actuelle frappe tous les secteurs, en particulier la chimie, l’aéronautique et l’automobile, durement touchées par un ralentissement de leur activité dû à la baisse des commandes.
La France doit se battre sur tous les fronts pour sauver ses fleurons industriels.
Aujourd’hui, l’industrie chimique française est, après l’automobile et la métallurgie, le troisième poste d’activité. Elle génère plus de 180 000 emplois directs. Son rôle stratégique est lié à tous les autres secteurs de l’industrie manufacturière. Depuis quelques années, cette industrie est confrontée à des difficultés de plus en plus pénalisantes en raison du retard accumulé dans ses efforts de recherche et de développement, de l’insuffisance des investissements nécessaires à la modernisation de ses sites et de l’image dégradée par des catastrophes écologiques récurrentes, notamment des marées noires à répétition.
Les produits issus du raffinage et de la pétrochimie constituent une catégorie bien particulière, car ils assurent à eux seuls la quasi-intégralité du transport routier. Lorsque, pour des raisons sociales, les sites sont bloqués, c’est toute notre économie qui en pâtit.
Au-delà de l’indépendance énergétique et du coût du transport international des produits raffinés, qui est beaucoup plus élevé que celui du pétrole brut, il est nécessaire de s’attacher à maintenir nos sites afin de ne pas dépendre d’aléas extérieurs dans un monde de plus en plus marqué par l’instabilité et par les menaces pesant sur les voies d’approvisionnement.
Les nouveaux acteurs qui émergent, tels que la Chine ou l’Inde, contestent directement la position de notre pays dans l’économie mondiale. Ainsi, la Chine est aujourd’hui le deuxième producteur mondial de produits chimiques, après avoir ravi la quatrième place à la France il y a déjà dix ans.
L’état et la compétitivité de l’industrie française sont directement liés aux variations des prix des matières premières et énergétiques : l’instabilité des cours pétroliers ne facilite pas la pérennité d’activités totalement liées aux hydrocarbures.
Néanmoins, en dépit des nombreux efforts réalisés par le Gouvernement ces derniers mois, notamment pour relancer la compétitivité, la recherche et l’innovation, le premier groupe pétrolier français a mis en place une politique de désengagement du marché du raffinage en France, faute de débouchés nationaux et de marges suffisantes.
On peut comprendre que le directeur général de Total défende le bon fonctionnement de son entreprise, mais l’avenir de ses salariés constitue bien évidemment une préoccupation majeure. Le PDG souligne la nécessité d’une mutualisation avec les autres groupes pétroliers plutôt que de perdre de l’argent dans ce secteur, nonobstant les bénéfices considérables dégagés par les autres activités.
C’est à cette mutualisation qu’il faut s’attacher. Je remarque qu’il ne peut être reproché à Total de s’implanter à Abu Dhabi, car les produits manufacturés sont destinés non au marché français, mais à celui de l’Extrême-Orient : la société pourra ainsi créer des emplois directs et indirects en France pour concevoir et faire fonctionner cette raffinerie et les bénéfices seront réinvestis en majeure partie dans l’entreprise.
Aujourd'hui, un élément est devenu fondamental, l’environnement, et il ne peut plus être ignoré. Il devient très difficile de maintenir de vieilles raffineries et quasi irréalisable d’implanter en France une nouvelle raffinerie. Quelle que soit l’amélioration de la technologie, l’image reste celle d’une activité très polluante. Diverses associations et ONG arrivent à agréger des oppositions fortes au point de rendre extrêmement difficile, sinon impossible, la concrétisation de tels projets.
Pour réduire l’impact de l’activité sur l’environnement, le raffinage propre, l’efficacité énergétique et les catalyseurs innovants sont des pistes de recherche qui devraient permettre de répondre aux exigences de plus en plus fortes du développement durable.
L’hebdomadaire Paris Match titrait le mois dernier : « Le raffinage occidental au bord de l’overdose ». Au-delà des mots, la problématique du raffinage est générale en Europe : la « diésélisation » du parc automobile, qui a fait chuter la demande d’essence, et la baisse de consommation des produits pétroliers ont contribué à une surcapacité en matière d’essence de l’ordre de 10 % à 15 %.
Nos raffineries ne sont plus adaptées à la demande européenne : nous importons du gazole et nous exportons vers les États-Unis de l’essence dont ils ne voudront bientôt plus, car leur marché arrive à saturation. C’est la « pire crise » depuis vingt-cinq ans pour cette activité, constatait récemment le directeur général de Shell, Peter Voser, qui, en prenant ses fonctions, avait promis à ses salariés « de la sueur et des larmes ». Notre collègue Jean-Claude Danglot pose donc une question cruciale.
Dans quinze jours, se tiendra la table ronde sur l’avenir du raffinage, notamment pour répondre à la demande expresse de syndicats de salariés. Je souhaite, monsieur le ministre, vous proposer quelques pistes de réflexion.
Par sa position géographique privilégiée, avec ses trois façades maritimes, la France traite le pétrole dans ses ports. Cet atout doit être optimisé par une concertation avec nos voisins européens afin de répondre à leurs besoins tout en créant chez nous les emplois induits par cette activité.
Jusqu’à présent, chaque raffinerie traitait un seul type de pétrole pour un produit raffiné déterminé. Il faudrait établir une stratégie de long terme pour prévoir au mieux l’évolution de nos approvisionnements pétroliers et des nouvelles énergies qui remplaceront le pétrole, afin d’adapter nos volumes de raffinage et les structures nécessaires.
Les raffineries ayant, dans notre pays, un avenir incertain, on pourrait imaginer la reconversion en clusters, technopoles ou pôles de compétitivité pétrochimiques, de sites industriels qui, autrement, fermeront dans les années à venir. L’enseignement, la recherche, la formation draineraient ainsi nombre d’emplois. C’est un secteur à forte capacité d’innovation dans lequel les partenariats public-privé ne cessent de se développer.
Enfin, la géopolitique du raffinage devient un enjeu énergétique mondial, que nous ne pouvons ignorer dans notre réflexion.
Le Général de Gaulle, en son temps, s’était efforcé d’assurer l’indépendance énergétique de la France. Soyons créatifs, imaginons de nouvelles technologies, de nouveaux procédés pour rester fidèles à cette volonté d’indépendance. Cette créativité renforcera notre position dans une économie mondialisée.
Mes chers collègues, gardons-le à l’esprit, qui contrôle l’énergie détient le pouvoir !