Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 1er avril 2010 à 14h30
Avenir de l'industrie du raffinage en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenir du raffinage en France et en Europe est une vraie question stratégique.

Comme cela vient d’être souligné, le secteur est dans une mauvaise situation, qui n’est pas simplement liée à la crise actuelle, même si celle-ci l’a amplifiée, mais qui résulte avant tout d’un problème structurel. Mon collègue Aymeri de Montesquiou vient de le rappeler, cette situation ne concerne pas seulement la France, mais également de nombreux pays européens et tous les groupes pétroliers.

Début février, l’Union française des industries pétrolières a évoqué une situation « critique », confirmant des pertes, pour les douze raffineries françaises, de « 150 millions d’euros par mois » depuis mars 2009, un recul de la demande de 2, 8 % en 2009 et de près de 9 % sur dix ans.

Le raffinage fait face, dans son ensemble, à une baisse de la demande résultant des politiques d’incitation à la réduction de la consommation, des progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique et des premiers effets de la lutte contre le changement climatique. Cette baisse, d’ordre structurel et non conjoncturel, est considérée comme durable par tous les acteurs et experts de ce domaine. Il en résulte une situation de surcapacité, antérieure à la crise économique que nous traversons, mais qui s’en est trouvée aggravée.

En Europe, de nombreuses raffineries sont soit à l’arrêt, soit en attente d’adaptation, soit même en vente. On retrouve le problème aux États-Unis. Concrètement, à la fin de l’année 2009, la surcapacité du raffinage dans le monde s’établissait autour de 7 millions de barils par jour, alors que la capacité totale s’élevait, elle, à 87, 2 millions de barils par jour.

Cette surcapacité se concentre essentiellement sur l’Europe et l’Amérique du Nord. À l’inverse, au Moyen-Orient et en Asie, les investissements dans de nouvelles capacités s’enchaînent. D’ici à 2030, ces zones bénéficieront de 70 % des investissements mondiaux du secteur, contre seulement 11 % pour l’Europe et l’Amérique du Nord. Dans le même temps, 15 % des capacités européennes, et jusqu’à 20 % aux États-Unis, devraient fermer.

Le recul du raffinage en Europe est directement lié à la baisse de la consommation de carburants. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les Européens ont diminué de 7, 5 % leur consommation de gazole et d’essence sur la période 2007-2009. Et ces chiffres devraient continuer à évoluer d’une à deux dizaines de points dans la décennie à venir.

Ce déséquilibre entre l’offre et la demande a conduit à un effondrement des marges de raffinage en 2009. De nombreuses raffineries en Europe – et pas seulement chez Total – ont dû procéder a des ajustements de capacités, arrêter temporairement des raffineries ou certaines de leurs unités, voire arrêter leur production, lorsqu’il s’est avéré qu’elles produisaient à perte.

En Europe, vous le savez, les raffineries ont été conçues pour produire davantage d’essence que de gazole. Or, depuis plusieurs années, la demande européenne porte surtout sur le gazole et, en dépit de nombreuses adaptations, ces raffineries produisent toujours trop d’essence.

Nous sommes ainsi confrontés, et de façon durable, à une inadéquation entre les attentes du marché et l’offre des raffineries européennes.

De plus, les États-Unis, vers lesquels sont exportés les excédents d’essence européens, connaissent également une forte baisse de leur consommation de carburants.

Face à cette situation, les grands groupes pétroliers nous disent avoir engagé un important effort d’adaptation de leur outil de raffinage afin de répondre à l’évolution de la demande et aux réglementations européennes, notamment en matière environnementale. Ainsi, entre 2005 et 2009, Total a investi plus de 6 milliards d’euros dans des activités de raffinage.

Il semble que cela ne soit pas suffisant tant les difficultés structurelles sont grandes. Le douloureux exemple de la raffinerie des Flandres l’illustre bien. Située dans une zone où les capacités de raffinage sont particulièrement importantes – je rappelle qu’Anvers est proche –, cette raffinerie n’a aujourd’hui que peu de débouchés. Elle produisait principalement des essences destinées à l’exportation, en particulier vers les États-Unis. C’est parce qu’elle tournait à perte depuis plusieurs mois que la décision d’arrêt de la production a été prise le 12 septembre 2009. L’absence d’évolution du marché a conduit ensuite à prendre une décision d’arrêt définitif. Comment continuer à mettre sur le marché des productions dont celui-ci n’a pas besoin ?

À nos yeux, l’important est que l’avenir du site soit assuré dans le cadre d’une mutation industrielle exemplaire et que Total s’engage à garantir, soit le maintien d’un maximum de postes sur le site, soit un avenir professionnel digne aux personnes qui devront changer d’activité ou de lieu de travail. Le Gouvernement doit contrôler le respect des engagements de Total, monsieur le ministre. C’est très important pour le développement industriel et la vitalité économique du Dunkerquois et, plus généralement, du Nord-Pas-de-Calais. Je pense notamment à l’avenir des sous-traitants, qui doivent pouvoir poursuivre leurs activités.

Au-delà du cas de la raffinerie des Flandres, la question de l’avenir de toutes les raffineries françaises se pose de manière très réelle. Il y a trente ans, notre pays comptait vingt-deux sites de raffinage. Avec la fermeture du site de Dunkerque, ce chiffre va tomber à onze.

Nous l’avons dit, cette situation résulte d’une évolution structurelle du paysage énergétique français, évolution aggravée par la crise. Pendant des années, les pouvoirs publics – droite et gauche confondues – ont cherché, avec raison, à réduire la dépendance de la France vis-à-vis du pétrole, notamment grâce au développement de l’énergie nucléaire. Cela a réduit la demande de fioul lourd, obligeant les raffineries à le transformer en essence. En outre, la politique fiscale a dopé la consommation de gazole. Ce changement a fragilisé les raffineries françaises, parce qu’il les a rendues de plus en plus dépendantes de leurs exportations d’essence vers les États-Unis.

La lutte contre le réchauffement climatique a marqué une nouvelle étape du processus avec le surcoût lié à l’avènement d’un système de quotas de CO2 et la mise sur le marché des biocarburants.

Bien sûr, la situation du raffinage ne résulte pas uniquement des politiques publiques. La crise produit ses effets, notamment sur les marges des raffineurs, qui s’effondrent, mais ces derniers ont une large part de responsabilité.

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