Intervention de Serge Andreoni

Réunion du 1er avril 2010 à 14h30
Avenir de l'industrie du raffinage en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Serge AndreoniSerge Andreoni :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de nombreux faisceaux se sont récemment croisés pour mettre en lumière la question cruciale de l’avenir du raffinage, qui est en danger et, avec lui, toute la filière de la pétrochimie.

En Europe, il a clairement été annoncé que 10 % à 15 % des cent quatorze raffineries pourraient fermer pour cause de surcapacité de production.

En France, ne subsisteront bientôt plus que onze raffineries, puisque Total a annoncé la fermeture de celle des Flandres. Certes, le groupe s’est engagé à ne plus fermer aucune raffinerie d’ici à 2015 et il vous appartiendra, monsieur le ministre, de faire respecter cet engagement. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ?

Quelle est la stratégie au regard de la situation de la France, où la consommation d’essence a baissé de moitié en trente ans et alors que, dans un marché majoritairement diesel, importer du gazole s’impose comme une nécessité ?

La consommation de produits pétroliers a reculé de 2, 8 % en 2009 et la production de la chimie de 12, 5 %, entraînant la fermeture d’Azur Chimie à Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône et la suppression de 108 emplois, de même que celle de l’unité de production de polyéthylène et de polypropylène de LyondellBasell à Fos-Feuillane, qui comptait 80 salariés, dont une cinquantaine ont fort heureusement été repris sur le site de Berre-l’Étang.

Les adaptations nécessaires pour répondre à des exigences légitimes du point de vue environnemental sont par ailleurs très coûteuses et les marges très faibles, puisqu’elles étaient de 23 euros par tonne en 1995, et de 15 euros, voire 10 euros, en 2008. De ce fait, on ne peut que craindre certaines fermetures. C’est là une raison de plus, monsieur le ministre, pour tout faire afin de préserver l’existant et pour se fixer comme objectif fort une véritable réindustrialisation du pays.

Dès lors, comment s’adapter à l’évolution du raffinage ? Comment encourager les investissements des opérateurs spécialisés qui tendent à remplacer les groupes pétroliers traditionnels ? Quelle sera votre politique environnementale après l’abandon de la taxe carbone ? Quid de l’application de la directive du Conseil du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution, dite IPPC ?

Il nous faut prendre acte du déplacement du marché mondial du raffinage depuis le bassin de l’Atlantique Nord vers le bassin Asie-Pacifique. Dans ce secteur, les trois quarts des projets concernent désormais l’Inde, le Vietnam ou la Chine. C’est en Asie et au Moyen-Orient que montent en puissance les producteurs de chimie de base, ces zones concentrant 50 % de la production mondiale de polyéthylène.

Pour autant, l’activité de raffinage est-elle définitivement condamnée en France ? Non ! Alors que nous ne maîtrisons pas notre approvisionnement en pétrole, le maintien de cette activité ne représente-t-il pas notre indépendance énergétique ? Il y a là un enjeu économique et politique essentiel, que nous ressentons très fortement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et plus particulièrement dans le département des Bouches-du-Rhône.

Monsieur le ministre, qu’en est-il de la situation dans cette région, à laquelle vous êtes comme moi très attaché –nous avons d’ailleurs siégé ensemble pendant de nombreuses années au conseil régional. Elle compte 140 établissements et 18 000 emplois liés directement au raffinage et à la chimie. La chimie provençale assure 10 % de la production nationale, 44 % de la production d’éthylène et 50 % de celle de chlore. Le complexe industriel de Fos-Berre-Lavéra est le premier pôle d’Europe du Sud et représente 5 % de la chimie européenne. Les Bouches-du-Rhône comptent quatre raffineries : Esso à Fos-sur-Mer, Total à Lavéra, LyondellBasell à Berre-L’Étang et Ineos à Martigues, ces deux dernières ayant un site intégré et assurant donc une activité pétrochimique d’aval. Ces quatre raffineries représentent le tiers des capacités de raffinage de la France, soit 30 millions de tonnes, ainsi que 3 500 emplois directs et 11 000 emplois indirects répartis entre une centaine d’entreprises. Vous aurez compris, monsieur le ministre, que j’entends surtout défendre l’industrie pétrochimique de Fos-sur-Mer et de l’étang de Berre.

Il est en outre à noter que la Société du pipeline sud-européen a expédié, en 2009, 15, 5 millions de tonnes depuis Fos-sur-Mer pour alimenter les raffineries de Feyzin, de Reichstett, de Cressier en Suisse et de Karlsruhe en Allemagne, tandis que le volume import-export de Dépôts pétroliers de Fos a atteint 6, 3 millions de tonnes.

Le poids du secteur de la chimie est capital pour les sites de LyondellBasell et d’Ineos. Il représente 3 000 emplois et justifie à lui seul l’existence de l’activité de raffinage, car la synergie est totale et irremplaçable. La perte d’une raffinerie aurait de lourdes conséquences sur le secteur de la chimie, d’autant que l’aval de l’activité de raffinage dans les Bouches-du-Rhône comprend certes l’approvisionnement local en essence, en diesel et autres carburants, mais également l’alimentation d’autres sites pétrochimiques ne possédant pas de raffinerie, par exemple en Normandie, dans le couloir rhodanien et même dans certains pays européens.

L’activité de raffinage est donc essentielle pour le département des Bouches-du-Rhône et, au-delà, pour toute la région PACA. Les emplois directs représentent une masse salariale de 247 millions d’euros, qui concourt à dynamiser toute l’économie par le biais des dépenses des ménages. En 2009, les investissements ont atteint 180 millions d’euros, dont 101 millions d’euros pour la sécurité et l’environnement, ce qui stimule l’emploi indirect. Pour cette seule activité, la recette de taxe professionnelle et de taxe foncière s’élève à 49 millions d’euros, ce qui permet aux collectivités territoriales de conduire des politiques publiques dignes de ce nom, dans le contexte de terrible crise que nous subissons.

En outre, le simple respect des exigences environnementales, qui sont bien entendu parfaitement légitimes, nécessitera 500 millions d’euros d’investissements sur cinq ans, à partir de 2013. Cet effort important demandé aux entreprises sera, lui aussi, favorable à la création d’emplois indirects.

Je voudrais maintenant aborder un sujet précis, monsieur le ministre. Sur le Grand Port maritime de Marseille, les hydrocarbures représentent les deux tiers du volume global traité – 56 millions de tonnes sur 83. C’est ce trafic qui fait vivre le port et ses salariés. Pour la commune de Berre-l’Étang, le « grand arrêt » en cours entraîne un investissement de 65 millions d’euros, la présence de 2 000 salariés supplémentaires venus de toute la France et une dépense de 35 millions d’euros pour l’amélioration de la qualité de l’air.

Monsieur le ministre, vous comprendrez que, en tant que sénateur des Bouches-du-Rhône, mais aussi et surtout en tant que maire de Berre-l’Étang, où se trouve l’un des deux grands sites intégrés, je suive de très près tout ce qui peut avoir une incidence négative sur l’activité de raffinage. Notre inquiétude est grande !

Cette inquiétude tient d’abord à la crise mondiale, aux surcapacités européennes annoncées et à l’évolution mondiale du raffinage, mais aussi à des considérations locales. En effet, le Grand Port maritime de Marseille va construire une unité de stockage de produits déjà raffinés de 800 000 tonnes, pour un volume annuel importé ou exporté de produits finis de 5 millions à 6 millions de tonnes, voire 8 millions de tonnes : c’est le projet Oiltanking, qui équivaut à la capacité de raffinage d’au moins une de nos quatre raffineries, menacée donc à terme de fermeture, dans un secteur qui connaît une diminution de la demande et se trouve soumis à une réglementation européenne de plus en plus contraignante, la réglementation nationale étant plus sévère encore. Le Grand Port maritime de Marseille a de surcroît le projet d’augmenter ses capacités de stockage jusqu’à 13 millions de tonnes, soit l’équivalent de deux raffineries du pourtour de l’étang de Berre. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu’une telle initiative soit judicieuse dans le contexte difficile que traverse actuellement le raffinage, surtout quand on sait que ce projet ne représente au maximum que 10 % des emplois dont la fermeture de l’une de nos quatre raffineries entraînerait la perte ? Si l’on voulait favoriser la délocalisation, on ne s’y prendrait pas autrement…

Je souligne que le Grand Port maritime de Marseille est un établissement public. De ce fait, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour être vigilant et prendre les mesures nécessaires pour limiter autant que faire se peut l’effet catastrophique que la réalisation de ce projet pourrait avoir sur nos raffineries et les drames humains qui en découleraient.

Devant ce tableau peu réjouissant, que pouvons-nous faire et surtout espérer, voire exiger du Gouvernement ? De manière générale, il faut étudier comment attirer de nouveaux investisseurs, puisque nous constatons que les opérateurs historiques se concentrent sur des activités jugées stratégiques et surtout plus rentables, comme la recherche de nouveaux gisements. C’est ainsi que, dans notre département, Shell et BP ont vendu leurs installations respectivement à LyondellBasell et à Ineos, ne prenant en compte que le profit et se dégageant sans scrupules de leurs obligations sociétales. Le groupe Shell a même préféré construire un « monstre » en Chine plutôt que de rester sur notre sol.

Il faut se donner les moyens d’adapter les installations déjà présentes et les pérenniser si cela s’avère rentable. Cela passera par une fiscalité cohérente, une grande politique portuaire et une meilleure intégration des activités de raffinage et de pétrochimie, qui permettrait de réduire les investissements d’adaptation nécessaires. Cela passera aussi par un message clair aux grands groupes de votre part.

Nous ne lutterons pas contre l’évolution structurelle du secteur, mais il faut anticiper les mutations qu’elle impliquera en termes d’emploi et d’activité, de reconversion des outils et surtout des hommes. Il faut travailler dans la transparence avec les salariés, leurs syndicats et les élus locaux concernés.

L’UFIP, l’Union française des industries pétrolières, a d’ores et déjà indiqué que 2013 serait un tournant, la crise n’ayant fait que précipiter une évolution inéluctable. Les enjeux appellent une réflexion européenne afin de définir une politique concertée. Cependant, il faut déjà qu’en France nous soyons d’accord sur les objectifs et qu’une seule voix, forte, exige le maintien des emplois et de l’activité, sous une forme rénovée et adaptée si cela s’avérait nécessaire.

Ne nous leurrons pas : nous payons aujourd’hui le prix de politiques de l’État contradictoires depuis fort longtemps. L’État, en encourageant l’utilisation du diesel, a fragilisé les raffineries, les rendant dépendantes de leurs exportations aux États-Unis – elles représentent 26 % de la production, mais sont en constante diminution ; en prônant l’instauration du système des quotas d’émission de CO2, il a alourdi les coûts de fonctionnement des raffineries ; en favorisant le développement des substituts aux produits pétroliers, il a réduit la demande.

Ces mesures avaient certes toutes leur logique et étaient nécessaires. Cependant, elles auraient dû être accompagnées d’une réflexion sur l’évolution des outils de raffinage, qui sera, je l’espère, l’un des sujets majeurs de la table ronde du 15 avril prochain.

Il n’est pas concevable, monsieur le ministre, de continuer à laisser les grands groupes pétroliers décider seuls de la politique industrielle, de la politique énergétique et des éventuelles délocalisations, avec toutes les conséquences humaines que cela induit.

Tenant un discours offensif lors des états généraux de l’industrie, le Président de la République a souhaité placer l’État au cœur d’une politique de redressement industriel. Mais, des discours aux actes, il y a un pas, qu’il faudra un jour franchir…

Aussi aimerions-nous savoir quelles sont vos intentions concrètes et celles du Gouvernement pour relancer durablement l’activité de raffinage en France. Comment comptez-vous à la fois poursuivre une politique environnementale tout à fait légitime et souhaitable et maintenir le tissu industriel lié au raffinage, garant de notre indépendance énergétique ? J’ai entendu tout à l’heure un orateur déplorer que les régions ne fassent rien en ce sens. Certes, les régions peuvent s’impliquer, mais cela n’est possible que si l’État s’engage.

Le maintien du tissu industriel lié au raffinage est indispensable à plus d’un titre, monsieur le ministre. Il l’est en particulier au regard des ressources des collectivités territoriales concernées, surtout depuis la suppression de la taxe professionnelle, dont le mode de compensation annoncé n’a pas totalement dissipé nos craintes, ne serait-ce qu’en termes de pérennité. Dans les Bouches-du-Rhône, monsieur le ministre, les dotations de compensation et les compensations représentaient, avant la réforme, 16 % des ressources pour le syndicat d’agglomération nouvelle d’Istres-Fos, 14 % pour la communauté d’agglomération Agglopole Provence ; ces pourcentages s’élèveront respectivement à 70 % et à 52 % après la réforme : cela nous place au nombre des collectivités qui seront lésées par celle-ci. Pour mémoire, je rappelle que la suppression de la taxe professionnelle fera perdre au syndicat d’agglomération nouvelle et à l’ensemble des collectivités qui nous entourent, qu’il s’agisse d’Agglopole Provence ou de la communauté d’agglomération de Martigues, la plus grande part de leurs ressources fiscales.

Il est prévu des clauses de revoyure, monsieur le ministre. Soyez persuadé que nous participerons au débat, en y mettant tout le dynamisme dont la disparition de la taxe professionnelle nous aura privés.

Le maintien du tissu industriel est aussi et surtout indispensable pour la sauvegarde des emplois de milliers de salariés confrontés aux éventuelles fermetures de raffineries, comme c’est le cas à Dunkerque, et qui vivent eux aussi dans l’angoisse. Il faut remettre l’homme et le social au cœur de toutes nos préoccupations.

Vos réponses sont attendues avec impatience, monsieur le ministre. Vous appartenez à un gouvernement qui prône la revitalisation de notre industrie, laquelle vient cependant de perdre 100 000 emplois en quinze mois, et 500 000 entre 2002 et 2008. Il faut mettre un terme à la casse industrielle, ces emplois perdus n’ayant pas été compensés dans les autres secteurs d’activité.

L’heure n’est plus aux paroles, monsieur le ministre, mais à des décisions concrètes et salvatrices, qu’attendent ensemble et de façon solidaire les entreprises, les salariés à titre direct ou indirect, leurs syndicats et les élus des territoires concernés.

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