Monsieur Danglot, vous avez accusé le Gouvernement de malhonnêteté. De tels propos ne me semblent pas dignes de la Haute Assemblée, et je ne me hasarderai pas à vous répondre sur ce registre, même si vous avez essayé de falsifier la réalité.
La réalité est que, depuis vingt ou trente ans, les gouvernements, de gauche comme de droite, n’ont pas défendu la dimension industrielle de notre pays avec suffisamment de force et de conviction. Aujourd’hui, pour la première fois, aux termes des états généraux de l’industrie et conformément à la volonté du Président de la République, la décision a été prise d’engager la France dans une véritable stratégie industrielle, afin de lui permettre, à la sortie de la crise, de relever les défis qui l’attendent dans la compétition avec les autres grandes nations industrielles.
Orienter notre jeunesse vers les métiers des services, de la finance et de l’économie virtuelle, comme les gouvernements successifs, tant de gauche que de droite, l’ont fait au cours de ces dernières décennies, n’est pas la meilleure voie. Sans doute les responsabilités sont-elles partagées, mais, en tout cas, c’est l’actuel Président de la République et le gouvernement auquel j’appartiens qui ont eu le courage, depuis 2007, d’engager notre pays dans une véritable révolution industrielle.
Vous dites, monsieur le sénateur, que les propositions issues des états généraux de l’industrie ne sont que des mots.
La réalité, c’est que vingt-trois décisions concrètes ont été prises par le Président de la République. J’ai aujourd'hui la charge de les mettre en œuvre, non pas dans six mois ou dans un an, mais tout de suite, avant l’été. La première d’entre elles le sera d’ailleurs dès la semaine prochaine, avec la nomination d’un médiateur de la sous-traitance.
J’ajoute que la loi de finances rectificative que le Sénat a récemment votée a déjà commencé à prévoir l’exécution de ces décisions. Ainsi, sur les 6, 5 milliards d’euros issus du grand emprunt national affectés à la nouvelle stratégie industrielle et aux enjeux stratégiques de demain, 500 millions d’euros serviront à financer des « prêts verts » destinés à permettre aux industries françaises de réduire leur facture énergétique pour gagner des marges de compétitivité, ce qui permettra de soutenir l’activité et l’emploi. En outre, près de 200 millions d’euros financeront des aides à la relocalisation. D’ores et déjà, nous constatons qu’un nombre croissant de grandes entreprises et de PME françaises reviennent sur les décisions de délocalisation qu’elles avaient prises au cours des dix à quinze dernières années et rapatrient leur production. Il ne s’agit pas là de simples mots, monsieur le sénateur : ce sont des réalités !
Avant de répondre point par point aux différentes interrogations soulevées, je ferai un bref rappel sur la situation du raffinage en France, même si l’état des lieux a déjà été brillamment dressé par M. Jacques Gautier. Ce sujet sera d’ailleurs à l’ordre du jour de la table ronde sur le raffinage que M. Borloo et moi-même coprésiderons le 15 avril prochain. L’organisation de cette table ronde, qui avait été réclamée par les partenaires sociaux, a été décidée par le Président de la République. Le Gouvernement a fixé une date rapprochée, alors qu’elle devait se tenir dans les six mois.
J’ai pris bonne note des remarques de M. de Montesquiou sur la nécessité d’une mutualisation et d’une stratégie de long terme autour de clusters.
S’agissant de la situation de l’industrie du raffinage en France, j’avoue avoir été quelque peu surpris par les propos tenus tant sur les travées du groupe socialiste que sur celles du groupe CRC-SPG. Les orateurs de l’opposition font mine de penser que le Grenelle de l’environnement, qui a pourtant donné lieu à un débat large et constructif, serait sans conséquences sur les comportements et les modes de consommation. En tout cas, si vous êtes aujourd'hui contre les véhicules hybrides ou électriques, sachez que, pour ma part, je suis favorable à leur développement ! Certaines choses doivent être dites très clairement, car de telles évolutions auront forcément des conséquences sur l’industrie du raffinage dans les années à venir. Le nier, c’est nier une évidence et adopter une vision de l’écologie et du développement durable que nous ne partageons pas. Les débats du Grenelle de l’environnement m’avaient pourtant donné l’impression qu’un consensus s’était dégagé, au sein de la Haute Assemblée, en faveur d’une limitation des émissions de CO2 à l’avenir.
Je voudrais maintenant évoquer les activités de raffinage de Total à l’étranger, pour souligner qu’il s’agit d’abord de se rapprocher des lieux de production. Il en est notamment ainsi pour la raffinerie en cours de construction à Jubail, en Arabie saoudite. M. de Montesquiou a évoqué, quant à lui, l’exemple d’Abu Dhabi.
En définitive, si la situation du raffinage en France est réellement difficile, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de solution ni d’avenir pour les sites concernés. Le groupe Total continue d’ailleurs d’investir en France. Ainsi, M. Bourquin a évoqué le projet de Montélimar, où 40 millions d’euros seront affectés à l’étude de nouvelles technologies d’exploitation gazière.
Comme je l’ai déjà dit, il existe dans notre pays un véritable problème de surcapacité des raffineries. Dans cette situation difficile, que fait le groupe Total ? Il s’engage à maintenir l’emploi pendant cinq ans, dans cinq de ses six raffineries situées en France. Contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur Billout, cette durée correspond à une demande non pas du Président de la République, mais des salariés eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une concession de la part de la direction de Total. Les partenaires sociaux, avec qui j’entretiens un dialogue permanent, sont particulièrement responsables. Contrairement à certains orateurs siégeant à gauche de cet hémicycle, ils savent bien, eux, que des mutations et des évolutions sont inéluctables et qu’il convient de les anticiper. C’est pourquoi ils ont souhaité un débat sur l’avenir du raffinage, afin que nous nous donnions les moyens de procéder à une telle anticipation et de garantir l’évolution de l’emploi salarié, par requalification ou reclassement à compétences équivalentes.
Je le répète, c’est sur l’initiative des partenaires sociaux, formulée dans un esprit de responsabilité, que le Gouvernement a demandé à Total de prendre un engagement sur cinq ans. Ils ne souhaitaient pas obtenir des garanties à dix ou quinze ans, car ils savent pertinemment que des évolutions interviendront avant cette échéance. Ce qu’ils demandaient, c’était un engagement sur cinq ans, en vue de mettre en place une nouvelle stratégie industrielle pour l’ensemble du secteur du raffinage. Il s’agit d’anticiper, afin de préserver l’emploi salarié. Cela signifie que les salariés des raffineries de Donges, de Feyzin, de Gonfreville-l’Orcher, de La Mède et de Grandpuits ont une garantie quant à l’avenir de leur site. Une telle perspective devrait être de nature à lever beaucoup d’inquiétudes.
En ce qui concerne la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, monsieur Andreoni, la raffinerie de La Mède ne sera pas touchée. L’enjeu, dans cette région, est de développer toutes les formes d’énergie, notamment les énergies renouvelables, en particulier d’origine solaire. J’inaugurerai d’ailleurs demain, à Mouans-Sartoux, la plus grande centrale solaire régionale.
Si les gouvernements que vous avez soutenus dans le passé ne s’étaient pas opposés, notamment par la voix de Mme Voynet, à l’aménagement du canal Rhin-Rhône, l’avenir du port de Marseille, qui serait relié directement à la mer du Nord, serait peut-être mieux garanti que ce n’est le cas actuellement, alors qu’il occupe pourtant une position stratégique en Méditerranée occidentale, entre Gênes et Barcelone. De plus, la mise en œuvre de ce projet aurait répondu aux exigences d’une véritable politique environnementale en matière de transports. Malheureusement, c’est de votre côté que certains ont pris position contre la réalisation de ce lien entre le nord et le sud du pays, stratégique en termes d’aménagement du territoire. C’est pour moi l’occasion de le rappeler !
Ce que l’État peut et doit exiger de Total, c’est qu’il n’y ait pas de fermeture de la raffinerie des Flandres. Le groupe Total se fonde sur une perte de 130 millions d’euros en 2009 pour justifier la décision d’arrêt de production prise en septembre dernier, puis celle de ne pas procéder à l’opération de « grand arrêt ».
Vous avez raison, monsieur Bourquin, d’affirmer que l’État doit imposer ses règles. Nous ne sommes plus à l’époque de la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde, quand M. Jospin disait : « L’État ne peut pas tout faire. » Aujourd’hui, l’État impose au contraire une véritable stratégie industrielle. §L’État sait dire à M. Carlos Ghosn, président de Renault, que c’est non pas en Turquie, mais en France que la Clio IV sera produite pour le marché français et une grande part du marché européen. L’État, aujourd’hui, a le courage de dire au directeur général de Total qu’il ne laissera pas fermer la raffinerie des Flandres sans que des contreparties garantissent un avenir à l’ensemble du bassin industriel des Flandres, qu’il s’agisse du site de Total, des sous-traitants ou de l’activité portuaire elle-même. Les temps ont changé ! Vous prétendez nous donner des leçons, mais nous, nous faisons ce que nous disons : c’est ce qui nous distingue. Nous voulons un vrai projet industriel pour le site de Dunkerque, un emploi pour chacun des 370 salariés de la raffinerie, un avenir pour chacun des sous-traitants, une compensation de la perte d’activité pour le port de Dunkerque.
Face aux exigences formulées par le Gouvernement, quelle est la réponse du groupe Total ?
Le projet présenté par Total consiste à maintenir l’emploi sur le site même de Dunkerque, avec la création de trois nouvelles activités, ainsi qu’une participation au projet de terminal méthanier de Dunkerque et à la revitalisation du Dunkerquois.
Total s’engage donc tout d’abord à créer à Dunkerque un centre d’assistance technique aux opérations de raffinage, employant 180 personnes, un centre de formation aux métiers du raffinage, comptant 25 salariés, et un dépôt logistique, employant environ 15 personnes. En outre, 20 salariés pourront occuper des fonctions administratives, ce qui porte à 240 le nombre total d’emplois sauvegardés sur le site de Dunkerque. Les autres salariés de la raffinerie se verront proposer un poste dans les autres établissements du groupe Total situés en France ou le bénéfice d’une fin de carrière anticipée. Il n’y aura aucun licenciement.
En outre, a été signé un accord qui prévoit la participation de Total au projet de construction d’un terminal méthanier par EDF. Le projet, qui mobiliserait 1 200 personnes pendant la phase de construction du terminal, permettrait de créer ensuite environ 50 emplois directs, attribués en priorité au personnel de la raffinerie des Flandres, auxquels s’ajouteraient quelque 150 emplois indirects.
Sur ce dossier, le Gouvernement a pris ses responsabilités depuis le début. Il s’est mobilisé pour l’avenir du Dunkerquois, et il est hors de question qu’un groupe comme Total, qui réalise des bénéfices record – 8 milliards d’euros l’an dernier –, ferme la raffinerie des Flandres sans prendre des engagements clairs et précis.
À ce stade, le Gouvernement constate que Total consent des efforts indéniables, avec la création de nouvelles activités sur le site de Dunkerque et une participation au projet de terminal méthanier, encore insuffisants cependant.
Le projet du groupe Total n’est pas validé par le Gouvernement. Il ne pourra l’être que lorsque Total présentera des solutions concrètes et précises, concernant notamment l’avenir des sous-traitants et le port de Dunkerque. Tant que cela n’aura pas été fait, le Gouvernement considérera que les principales exigences conditionnant la fermeture de la raffinerie des Flandres ne sont pas satisfaites.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter, au terme de ces échanges qui ont été particulièrement riches. Bien évidemment, la discussion se prolongera au-delà de ce débat, notamment lors de la table ronde qui sera organisée le 15 avril prochain et qui réunira l’ensemble des partenaires sociaux. C’est entre les parlementaires, le Gouvernement, les acteurs locaux et les partenaires sociaux que doit se décider l’avenir de notre indépendance énergétique et du raffinage dans notre pays.