Intervention de Marie-Hélène Des Esgaulx

Réunion du 11 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'indemnisation des communes au titre des périmètres de protection de l'eau

Photo de Marie-Hélène Des EsgaulxMarie-Hélène Des Esgaulx, au nom du groupe UMP, auteur de la demande :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le président et l’ensemble des membres du groupe UMP ont souhaité l’inscription de ce débat, en cette première journée de séance de l’année 2011, pour attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de nombreuses petites communes qui se trouvent injustement pénalisées financièrement.

En effet, nous connaissons tous les contraintes pesant sur les communes dans lesquelles a été déclarée d’intérêt public la création de périmètres de protection autour de captages d’eau destinée à la consommation humaine.

La présence de périmètres de captage peut représenter des contraintes importantes pour les communes, notamment en rendant impossibles les implantations industrielles, commerciales, de loisirs ou de tout autre type, sans du reste que leurs habitants bénéficient nécessairement des eaux captées.

C’est notamment le cas lorsque les ressources en eau sont exploitées pour alimenter une agglomération à laquelle n’appartient pas la commune concernée.

Je citerai comme exemple celui du territoire de la commune de Budos, dans mon département de la Gironde, qui accueille une zone de captage d’eau pour le compte de la communauté urbaine de Bordeaux.

La création de périmètres de protection autour des captages d’eau prévue à l’article L. 1321–2 du code de la santé publique permet de s’assurer que cette eau est propre à la consommation humaine et de prévenir les causes de pollution susceptibles d’en altérer la qualité.

En effet, l’article L. 1321–2 du code de la santé publique dispose que l’acte portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines, acte mentionné à l’article L. 215–13 du code de l’environnement, détermine autour du point de prélèvement plusieurs périmètres : un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété ; un périmètre de protection rapprochée « à l’intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d’installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux » ; le cas échéant, un périmètre de protection éloignée « à l’intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés ».

Compte tenu des restrictions qu’ils imposent aux possibilités de construire ou de développer certaines activités, ces différents périmètres ont un impact direct sur le dynamisme économique de ces territoires, notamment en y interdisant, de fait, les implantations industrielles, commerciales ou de loisirs.

Or les articles L. 1321–2 et L. 1321–3 du code de la santé publique ne prévoient aucune indemnisation pour les collectivités publiques concernées alors que les propriétaires privés des terrains inclus dans les périmètres en cause peuvent, eux, bénéficier d’indemnités fixées selon les règles applicables en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Cette situation, mes chers collègues, apparaît particulièrement inéquitable lorsque les habitants d’une commune ne bénéficient même pas des eaux captées, lesquelles sont le plus souvent exploitées pour approvisionner ceux de grandes agglomérations voisines.

La seule solution pour la commune est actuellement de mettre en jeu la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques – voir l’arrêt du Conseil d’État du 15 novembre 2000, chambre de commerce de Colmar –, car l’acte portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau est un acte administratif préfectoral.

Aucun recours direct en responsabilité n’est possible, par exemple à l’encontre de l’établissement public de coopération intercommunale bénéficiaire des eaux captées, comme l’a confirmé encore récemment la jurisprudence administrative. Dans l’arrêt Tribunal administratif de Bordeaux, 12 mars 2009, commune de Budos, le juge a ainsi rappelé que, « conformément aux principes qui régissent la responsabilité sans faute de la puissance publique, quand bien même les servitudes à l’origine du litige sont constituées au bénéfice de la communauté urbaine de Bordeaux, seule la responsabilité de l’État peut être engagée en raison de la rupture d’égalité devant les charges publiques résultant ou à résulter d’un acte émanant du préfet, autorité de l’État ».

Or la reconnaissance de la responsabilité sans faute de l’État est difficilement admise par la jurisprudence pour ce type d’opérations, qui répondent à des préoccupations d’intérêt général.

Les communes sont, à cet égard, moins bien traitées que les sociétés privées, lesquelles peuvent être indemnisées si leurs activités sont perturbées par le captage d’eau. Selon moi, nous sommes là face à un vide juridique.

Ainsi, dans un arrêt rendu le 12 janvier 2009, une société d’exploitation s’est vu reconnaître par le Conseil d’État le droit à une indemnisation pour la raison qu’un captage sur le torrent alimentant sa centrale avait réduit le débit de celui-ci. Le juge a considéré qu’il existait un lien direct de causalité entre le captage opéré et le préjudice dont la société demandait réparation et que ce préjudice présentait un caractère anormal de nature à ouvrir droit à indemnité.

J’ai donc pris l’initiative, en juillet dernier, de déposer une proposition de loi visant à donner une base légale à un dispositif rendant possible l’indemnisation des communes sur les territoires desquelles un captage d’eau potable est opéré sans contrepartie, c’est-à-dire lorsqu’une source d’eau potable est située sur le territoire de la commune, mais exploitée au profit des habitants d’une autre collectivité.

À cet effet, ma proposition de loi tend à insérer un article L. 1321–3–1 nouveau dans le code de la santé publique prévoyant un dispositif d’indemnisation de ladite commune. Cet article s’insère après l’article L. 1321–3 dudit code, lequel article fixe le régime des indemnités dues aux personnes privées.

Il prévoit que les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou aux occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique ; lorsque les indemnités visées au premier alinéa sont dues à raison de l’instauration d’un périmètre de protection rapprochée visé à l’article L. 1321–2–1, celles-ci sont à la charge du propriétaire du captage.

Le dispositif nouveau que nous proposons s’appuie sur l’exemple des servitudes d’urbanisme qui, pareillement, font l’objet d’arrêtés préfectoraux ayant des incidences sur les règles de construction.

Il existe un principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme, qui figure à l’article L. 160–5 du code de l’urbanisme. Il signifie que, à moins de démontrer une faute de l’administration dans l’établissement de la servitude, les administrés ne peuvent demander réparation des préjudices que son institution leur cause.

Ce principe fait cependant l’objet de quelques dérogations législatives. Le même article L. 160–5 prévoit ainsi une réparation en cas d’atteinte à des droits acquis : « Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification de l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d’occupation des sols rendu public ou du plan local d’urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu. »

Le code de l’urbanisme admet également l’indemnisation pour la servitude de passage le long du littoral. Son article L. 160–7 dispose ceci : « La servitude instituée par l’article L. 160–6 n’ouvre un droit à indemnité que s’il en résulte pour le propriétaire un dommage direct, matériel et certain. La demande d’indemnité doit, à peine de forclusion, parvenir à l’autorité compétente dans le délai de six mois à compter de la date où le dommage a été causé. L’indemnité est fixée soit à l’amiable, soit, en cas de désaccord, dans les conditions définies au deuxième alinéa de l’article L. 160–5. Le montant de l’indemnité de privation de jouissance est calculé compte tenu de l’utilisation habituelle antérieure du terrain […]. »

Autre exemple, la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, modifiée par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », a prévu l’indemnisation des servitudes – pouvant comporter des limitations ou interdictions de construire – instituées au voisinage d’une ligne électrique aérienne de tension supérieure ou égale à 130 kilovolts.

L’article 12 bis de cette loi, créé par loi SRU, dispose précisément ce qui suit :

« Après déclaration d’utilité publique précédée d’une enquête publique, des servitudes d’utilité publique concernant l’utilisation du sol, ainsi que l’exécution de travaux soumis au permis de construire, peuvent être instituées au voisinage d’une ligne électrique aérienne de tension supérieure ou égale à 130 kilovolts. Ces servitudes sont instituées par arrêté du préfet du département concerné.

« Ces servitudes comportent, en tant que de besoin, la limitation ou l’interdiction du droit d’implanter des bâtiments à usage d’habitation et des établissements recevant du public. Elles ne peuvent faire obstacle aux travaux d’adaptation, de réfection ou d’extension de constructions existantes édifiées en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur avant l’institution desdites servitudes, à condition que ces travaux n’entraînent pas d’augmentation significative de la capacité d’accueil d’habitants dans les périmètres où les servitudes ont été instituées.

« Lorsque l’institution des servitudes prévues au présent article entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. Le paiement des indemnités est à la charge de l’exploitant de la ligne électrique. À défaut d’accord amiable, l’indemnité est fixée par le juge de l’expropriation et est évaluée dans les conditions prévues par l’article L. 13–15 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis du comité technique de l’électricité, fixe la liste des catégories d’ouvrages concernés, les conditions de délimitation des périmètres dans lesquelles les servitudes peuvent être instituées ainsi que les conditions d’établissement de ces servitudes. »

Ma proposition de loi s’inspire directement de ce dernier exemple.

Elle comporte un article 1er qui ouvre la possibilité d’une indemnisation en cas de « préjudice direct, matériel et certain » résultant de la création de l’un des périmètres de protection visés au premier alinéa de l’article L. 1321–2 du code de la santé publique. Cette indemnisation est distincte de celle qui existe pour les propriétaires des terrains compris dans les périmètres. Mes chers collègues, il est clair que ceux qui prétendent qu’il n’existe pas de préjudice direct, matériel et certain dans ce genre de situation ne sont jamais venus sur le terrain !

Elle prévoit que les indemnités visées sont à la charge de la collectivité publique bénéficiaire du captage.

L’article 2 vise à instaurer une compensation des éventuelles conséquences financières pouvant en résulter pour la collectivité débitrice.

Ma proposition de loi, vous l’avez compris, madame le ministre, n’occasionne aucune charge pour l’État. L’indemnisation doit être faite par la collectivité bénéficiaire. Ainsi, de fait, la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques ne pourra plus être invoquée. C’est également un point important.

Je souhaite donc très vivement que le Gouvernement puisse se pencher avec attention et bienveillance sur cette proposition législative qui ne vise qu’à remédier à une situation inéquitable pour de nombreuses petites communes.

Comme mes collègues du groupe UMP cosignataires de cette proposition de loi, j’aurais bien sûr préféré que l’on débatte aujourd’hui de celle-ci. Je souhaite en tout cas qu’à l’issue de ce débat, auquel chacun apportera sa contribution et ses témoignages, le Gouvernement, dans sa grande sagesse, donne un avis favorable à cette proposition législative et que celle-ci puisse être inscrite rapidement à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Il faut remédier à une situation inéquitable : il y va, je le répète, de l’intérêt des petites collectivités locales.

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