Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat riche et important est organisé à la demande du groupe UMP, et plus particulièrement de Marie-Hélène Des Esgaulx, qui a déposé une proposition de loi sur le sujet et que je tiens à remercier.
Cette discussion nous donne l’occasion d’examiner plus généralement l’indemnisation des communes en cas de servitude partagée, un sujet qui ne concerne pas uniquement l’eau.
En fait, il existe un débat général sur les relations entre petites et grandes collectivités territoriales, entre milieu urbain et milieu rural, et sur les communes servant les autres et notamment les communes rendant un service à la nature du fait de la qualité de leur environnement.
Je le rappelle d’emblée, certains de ces services sont rendus sans rémunération. Ce n’est pas seulement le cas en matière environnementale. Telle commune, par exemple, investit dans un équipement sportif qui profite aux habitants des communes rurales périphériques ou telle commune rurale entretient un réseau de sentiers dans sa forêt communale au bénéfice des promeneurs urbains.
Dans le domaine de l’eau, les différentes positions qui viennent d’être exprimées m’amènent à rappeler quelques principes essentiels et liminaires.
L’article L. 210–1 du code de l’environnement établit que « l’usage de l’eau appartient à tous ». Chacun doit être conscient qu’une ressource en eau encore non captée ne constitue pas un élément du domaine public de la commune, comme l’ont rappelé la cour administrative d’appel de Lyon le 24 octobre 1995 sur un jugement concernant la commune de Saint-Ours-les-Roches – M. Raoult y a fait référence – et le Conseil d’État le 16 novembre 1962 sur un jugement ayant trait à la ville de Grenoble. En d’autres termes, une commune ne peut se déclarer propriétaire de ressources en eau au seul motif que ces dernières se trouvent sous ou sur son territoire ; chacun, ici, en conviendra.
Pour autant, des servitudes pèsent sur les communes où se trouve un lieu de captage. Mme Des Esgaulx l’a souligné, le code de la santé publique définit plusieurs périmètres autour du point de prélèvement d’eau : un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété ; un périmètre de protection rapprochée à l’intérieur duquel peuvent être interdites ou réglementées toutes sortes d’installations, d’activités, d’ouvrages, d’aménagement des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux ; un périmètre de protection éloignée à l’intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, occupations des sols et dépôts, quoique de manière plus légère.
La procédure existante organise déjà un système indemnitaire au profit de la personne propriétaire du sol sur lequel sont instaurés les différents périmètres de protection, à condition qu’un préjudice matériel, certain et direct soit constaté. Ce préjudice, dans le cas du propriétaire ou de l’exploitant des terrains, est quantifiable. Il s’agit, la plupart du temps, d’une expropriation obligatoire des terrains situés dans le périmètre de protection immédiate ou de restrictions concernant l’usage des sols dans le périmètre de protection rapprochée.
Dans le cas des communes, vous reconnaîtrez que l’instauration de périmètres de protection n’induit pas de gel systématique des terrains au regard de leur constructibilité ou d’activités diverses. Cette décision doit être prise au cas par cas. La plupart du temps, le préjudice n’est que potentiel et il n’existe pas de préjudice direct, matériel et certain subi pour la commune au sens du droit. Il faut donc se demander s’il est nécessaire d’adopter une disposition ne concernant que les cas isolés où le préjudice pourrait réellement être démontré. J’insiste sur ce point : le préjudice doit absolument être démontré et quantifié.
Vous faisiez référence, madame Des Esgaulx, aux indemnisations pour servitude de passage le long du littoral ou au voisinage d’une ligne électrique aérienne. Il faut rappeler que dans ces cas, également, seule est prévue l’indemnisation des propriétaires des terrains sur lesquels portent les servitudes. Aucune indemnisation des collectivités n’est prévue lorsque ces dernières ne sont pas propriétaires des terrains directement concernés.
J’ai bien relevé à ce propos, madame Didier, que vous vous êtes exprimée en défaveur d’une mesure qui consisterait à faire payer les communes bénéficiaires d’un captage, et que vous appelez à maintenir une distinction forte entre les servitudes liées à des équipements créés par l’homme, qui auraient pu être positionnés ailleurs, et des servitudes liées à la présence d’une ressource naturelle particulière. Des problèmes très concrets resteraient néanmoins à régler.
M. Doublet soulève un certain nombre de questions importantes sur les modalités de versement des indemnités par les collectivités territoriales bénéficiaires du prélèvement d’eau potable. Il faut s’interroger sur l’applicabilité d’un tel dispositif dans la mesure où les captages appartiennent souvent à des syndicats intercommunaux et non directement aux communes, et que les conditions de desserte peuvent être spécifiques à chaque commune tout en variant dans le temps.
Ces considérations m’amènent à souligner que le dispositif aura in fine des répercussions sur le prix de l’eau, lequel augmentera forcément avec l’internalisation du coût des indemnités. Cette augmentation du prix de l’eau sera difficile à justifier auprès des usagers concernés.
Nous avons des objectifs très forts en matière de protection des captages d’eau. Bernard Saugey et François Fortassin l’ont rappelé, selon le plan national santé-environnement, 100 % des points de captage d’eau potable auraient dû bénéficier, à la fin de l’année 2010, d’un périmètre de protection assorti de prescriptions. À l’heure actuelle, cet objectif n’est pas atteint. Monsieur Fortassin, pour répondre à votre sollicitation, je serai plus précise : deux tiers, environ, des volumes d’eau prélevés, soit 60 % des captages sont protégés ; mais 40 % des captages ne le sont pas et ne disposent pas encore de déclaration d’utilité publique instaurant les périmètres de protection. Au total, 34 000 points de captage sont répertoriés en France et 14 000 d’entre eux restent à protéger. Les conditions pour ce faire sont pourtant assez avantageuses. En tout cas, un certain nombre d’aides sont prévues. Des agences de l’eau subventionnent les études préalables à hauteur de 80 % et les indemnités peuvent s’élever, dans plusieurs bassins, jusqu’à 50 %. Je précise également que la charge de l’établissement des périmètres incombe non pas à la commune d’implantation, mais à la collectivité maître d’ouvrage du captage, ce qui est bien le minimum…
Dans ce contexte, ne faut-il pas craindre que le dispositif tel qu’il est envisagé dans la proposition de loi ne freine davantage la dynamique engagée par les collectivités retardataires, du fait de l’augmentation des indemnisations à financer ?
Le projet qui vient de nous être présenté suscite donc de vraies questions auxquelles je ne me soustrairai pas malgré toutes les difficultés que je viens de recenser. Il faut pouvoir y répondre, mais il faut surtout préalablement définir l’échelle territoriale la plus pertinente pour y répondre. À titre d’exemple, la superficie des aires d’alimentation de certains captages dits « Grenelle » avoisine les 6 600 hectares, soit cinq fois la superficie moyenne d’une commune française.
Par ailleurs, très souvent, même si le point de captage est localisé sur une seule commune, les trois périmètres de protection peuvent être à cheval sur plusieurs communes voisines. La protection de la ressource en eau est donc souvent de facto intercommunale, et il serait réducteur d’aborder le sujet en opposant simplement communes de petite et de grande taille. Il existe des exemples qui montrent qu’un dispositif gagnant-gagnant entre la collectivité bénéficiaire du captage et la collectivité propriétaire peut être inventé. Ce dispositif, de nature contractuelle, permet alors à la collectivité propriétaire de bénéficier de contreparties en échange des services rendus à la collectivité bénéficiaire.
Pour ma part, je crois à la capacité des collectivités à trouver un terrain d’entente et à formaliser leurs engagements sous forme de convention de gestion contractuelle. Nous pouvons naturellement réfléchir à la meilleure façon de les accompagner dans la mise en place de telles conventions.
En outre, n’oublions pas que le problème exposé par Marie-Hélène Des Esgaulx ne trouvera de solution pérenne qu’avec l’optimisation de nos services d’alimentation en eau potable. En Grande-Bretagne, il existe 23 compagnies pour l’alimentation en eau potable et l’assainissement. En Allemagne, on dénombre 5 260 entités, qui gèrent 14 500 réseaux d’adduction d’eau. En France, nous avons 16 000 services pour l’alimentation en eau potable. À l’évidence, nous devons poursuivre nos efforts pour regrouper ces services – ce pourrait être un élément de réponse aux questions posées ici – et cela doit être une priorité pour les toutes prochaines années.
Je tiens également à rappeler que la loi de réforme des collectivités territoriales prévoit une couverture du territoire par des EPCI à fiscalité propre. Les communautés de communes ou les communautés d’agglomération pourront répondre aux difficultés rencontrées, en mettant en œuvre un développement équilibré de la communauté et la péréquation des moyens financiers nécessaires. Là aussi, une part de la solution pourrait être trouvée dans la montée en puissance des EPCI au cours des prochaines années.
En conclusion, les conditions de mise en place d’une solidarité financière à l’échelle intercommunale doivent être approfondies et nécessitent une expertise plus poussée, et conjointe du ministère de l’écologie, du ministère de la santé et du ministère de l’intérieur. Tout comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai beaucoup évoqué les intercommunalités. Le ministère de l’intérieur doit être totalement associé à ce débat. Dans son intervention, François Fortassin a réclamé à raison des données plus précises. Nous devons pouvoir produire des chiffres plus détaillés sur les coûts et sur le nombre de cas où le problème soulevé par Marie-Hélène Des Esgaulx se pose précisément.
Je m’engage, par conséquent, à me rapprocher dès maintenant du ministre de l’intérieur et du ministre de la santé pour lancer ces travaux et mener un travail conjoint avec Marie-Hélène Des Esgaulx afin d’approfondir les questions clés qu’elle a permis d’identifier, sans masquer les réelles difficultés que j’ai soulevées aujourd'hui, à l’instar de certains d’entre vous.