Mais la PAC va bien au-delà de sa dimension financière : déjà, elle impose aux agriculteurs européens le respect de normes environnementales ou concernant le bien-être animal qui sont les plus rigoureuses au monde.
En bref, la PAC structure très fortement l’agriculture européenne. Sa réforme est inscrite dans l’agenda européen de 2011 : tant le cadre financier que le régime d’aides et les règles d’organisation des marchés agricoles doivent être définis pour la période 2014-2020.
Les discussions vont s’engager sur la base de la communication de la Commission européenne de novembre dernier pour aboutir probablement en 2012. Les négociations sur les prochaines perspectives financières et celles qui portent sur les futurs instruments de la PAC seront d’ailleurs menées en parallèle.
La commission de l’économie et la commission des affaires européennes du Sénat ont décidé d’intervenir conjointement très en amont dans le processus, afin de pouvoir peser – c’est ce qu’elles espèrent ! – avant que les décisions définitives ne soient prises.
Le groupe de travail commun sur l’avenir de la politique agricole commune, constitué en mai dernier, a rendu un premier rapport au mois de novembre dernier, avant même la communication de la Commission européenne. Nous avons voulu ainsi mettre en avant des propositions fortes, des priorités, qui devront être défendues dans la négociation à venir.
Laissez-moi, mes chers collègues, vous faire part de quatre points clés de nos propositions, qui s’inscrivent tout à fait dans le souci de conserver une PAC forte après 2013.
Le premier point concerne la régulation.
Les réformes de la PAC qui se sont succédé depuis 1992 ont orienté de plus en plus cette politique vers les marchés. Les aides ont été découplées et les outils d’intervention communautaires ont été réduits, voire supprimés, l’agriculteur devenant dépendant d’un prix de marché qui est de plus en plus un prix mondial. Dans un contexte de volatilité accrue des prix, l’agriculteur voit donc ses revenus varier très fortement d’une année sur l’autre.
Dès lors, comment faire en sorte pour que les marchés soient mieux régulés et que les mouvements observés soient atténués ? La lutte contre la spéculation sur les marchés dérivés de produits agricoles est essentielle, et il en sera d’ailleurs question dans le cadre du G20.
Mais la crise du lait a montré qu’il fallait aussi pouvoir déclencher des mesures de stockage pour stabiliser les cours.
La Commission européenne a proposé, au mois de décembre dernier, un règlement encourageant la contractualisation entre les acteurs de la filière, et je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir participé activement. C’est la voie qui avait d’ailleurs été choisie dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont notre collègue Gérard César était le rapporteur et que nous avons adoptée en juillet2010.
Pour le groupe de travail, la nouvelle PAC ne pourra évidemment pas faire abstraction des marchés, mais elle devra conserver un objectif de régulation, avec des instruments adaptés et réactifs.
Le deuxième point est relatif aux aides directes.
Le régime des aides directes doit évoluer pour être plus juste et plus acceptable par tous. Entre les États, d’abord, le rééquilibrage pourra prendre la forme d’une convergence progressive des niveaux d’aide. Un montant unique européen d’aide à l’hectare est, en effet, inacceptable par ses effets redistributifs trop massifs, au détriment de la France.
Notons au passage que, dans sa communication, la Commission européenne ne propose pas de passer brutalement aux montants uniques à l’hectare.
Au sein des États, ensuite, les modalités de calcul des aides directes devront évoluer. Les références historiques créent entre agriculteurs voisins des inégalités fortes qui ne sont plus explicables. Le groupe de travail a donc proposé une évolution vers la convergence des montants d’aide à l’hectare de base uniques au sein des États membres.
La fin des références historiques devra-t-elle être brutale ? L’aide unique à l’hectare doit-elle être mise en œuvre sur une base nationale ou sur une base régionalisée ? Ces questions restent ouvertes.
Le troisième point porte sur les marges de manœuvre nationales.
Le groupe de travail souhaite que la PAC reste largement une politique communautaire. L’existence de trop fortes marges d’adaptation nationale de la PAC, y compris à travers des cofinancements nationaux, peut créer des distorsions de concurrence ravageuses à l’intérieur de l’Union européenne.
Toutefois, le groupe a estimé que certaines marges de manœuvre devraient être laissées aux États, conformément à ce que permet aujourd’hui le bilan de santé de la PAC dans le cadre dit « de l’article 68 », avec deux objectifs : d’une part, un objectif de soutien spécifique propre à certains secteurs et nécessaire à leur survie ; d’autre part, un objectif de soutien à la souscription d’assurances par les agriculteurs pour leur permettre de faire face aux risques climatiques.
La gestion des risques est devenue un enjeu crucial. Nous avons pu nous en rendre compte lors de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le soutien à la démarche de gestion des risques doit couvrir aussi le secteur animal, en permettant d’alimenter des fonds sanitaires.
Le quatrième et dernier point concerne le « verdissement de la PAC », déjà évoqué par Jean Bizet.
C’est la voie stratégique privilégiée par la Commission européenne, qui, dans son scénario central, propose à la fois le verdissement du premier pilier et le maintien d’objectifs de lutte contre le changement climatique ou de mesures environnementales dans le deuxième pilier.
Le groupe de travail estime qu’il ne faut pas opposer agriculture et environnement. Mais il est nécessaire de clarifier les objectifs des deux piliers et de disposer d’enveloppes claires pour chacun de ces piliers, sans modulation entre eux, laquelle introduit plutôt de la confusion. Un schéma est joint au rapport du groupe de travail pour expliquer l’articulation souhaitée entre les deux piliers.
En effet, la politique agricole commune doit rester une politique économique avant d’être une politique environnementale. Les aides du premier pilier doivent donc regrouper toutes les mesures de soutien économique aux agriculteurs : aides directes, dépenses d’intervention, actions en faveur de la compétitivité des exploitations.
Les mesures en faveur des territoires, comme l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, et les mesures en faveur de l’environnement, comme les actions agro-environnementales, doivent en revanche relever du deuxième pilier.
Ce schéma a l’avantage de la simplicité et de la cohérence. Rendre la PAC plus compréhensible pour les agriculteurs et pour le grand public est, en effet, l’une des conditions de son acceptation.
Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments de réflexion du groupe de travail que je voulais vous livrer. Naturellement, cette réflexion ne demande qu’à être affinée et approfondie.
Le groupe de travail va poursuivre sa mission. De nouvelles rencontres avec nos partenaires européens seront organisées, dans une démarche parallèle à la vôtre, monsieur le ministre. Mais nous avons là une base de travail commune. À charge pour nous, maintenant, de convaincre !