Intervention de Michel Billout

Réunion du 11 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'avenir de la politique agricole commune

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la politique agricole commune, sujet lourd de conséquences sociales, environnementales et économiques, fait suite au rapport d’information intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Il s’inscrit également dans le processus de réforme de la politique agricole commune, qui a donné lieu à une résolution du Parlement européen et, dernièrement, à une communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Comité des régions. Cet été, des propositions législatives devraient être présentées par la Commission européenne ; s’ensuivra alors la procédure de codécision, appliquée pour la première fois dans le cadre d’une réforme de la PAC.

Le présent débat est donc l’occasion de faire entendre la voix des parlementaires nationaux et de montrer que l’on peut construire une PAC qui garantisse la sécurité alimentaire, valorise les territoires, préserve les ressources naturelles et réponde au problème majeur et récurrent de la faiblesse des revenus agricoles.

Le texte d’orientation présenté par le commissaire européen comporte sans aucun doute des points positifs : la mise en place d’un mécanisme d’aides incitatives dès lors que l’environnement est valorisé, la volonté de mieux aider les petites exploitations, avec un ciblage au plus près des territoires, ainsi que la prise en compte de la notion d’agriculteur actif.

Cela étant, il est important de ne pas faire preuve d’angélisme et de bien comprendre que, pendant que nous discutons de l’avenir de l’agriculture, d’autres sont sur le point de le sceller. En effet, M. David Walker, président des négociations sur l’agriculture dans le cadre de l’OMC, a confirmé que celles-ci entreront dans leur phase finale à partir du 17 janvier prochain, en vue de l’élaboration d’un projet révisé de « modalités » quasiment définitif d’ici à la fin du mois de mars et de la conclusion complète du Cycle de Doha avant la fin de l’année.

Or, à la lecture de la partie consacrée à l’agriculture de ce projet révisé de modalités – il date du 6 décembre 2008, mais reste le document de travail principal –, on s’aperçoit qu’un certain nombre de questions seront réglées dans ce cadre-là. Cela donne un avant-goût amer de ce que pourrait être la nouvelle PAC : une politique fidèle au dogme ultralibéral, sous couvert de restrictions budgétaires.

Ainsi, dans le cadre des négociations actuelles, certains pays, les États-Unis et le Brésil notamment, souhaiteraient empêcher l’Union européenne de conserver des outils de régulation ou de gestion de crise. D’ores et déjà, il a été convenu de supprimer les subventions à l’exportation dès 2013 en cas d’accord. Une telle mesure concernerait également les subventions déguisées en crédit ou en aide alimentaire autre que d’urgence et celles qui sont relatives aux activités d’exportation des entreprises commerciales. Pour le soutien interne, le plafond de la boîte orange devrait être réduit, tandis que la boîte bleue serait plafonnée. Pour l’accès au marché, il semblerait qu’il soit convenu d’une modalité de réduction par bande tarifaire, les droits de douane les plus élevés devant être revus à la baisse.

Dans ce contexte, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que, « aujourd’hui […], le budget de la PAC est sécurisé […], la régulation des marchés a pris la place de l’idée folle de libéralisation des marchés agricoles et ça, on le doit à l’action volontariste de la France ». Permettez-moi d’être moins optimiste que vous, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme vous le savez, l’agriculture est un secteur particulier, caractérisé par un cycle de production à long terme et exposé à la volatilité extrême du marché ainsi qu’aux catastrophes naturelles.

Le manque d’élasticité de la demande et la grande dépendance des agriculteurs par rapport aux acheteurs, qui décident des prix, imposent une réforme en profondeur de la gestion de l’offre et un contrôle des prix aux niveaux européen et mondial.

Cette question fut également abordée avec vous lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au travers de notre demande de généralisation du coefficient multiplicateur.

La volatilité néfaste des prix agricoles a été renforcée par les phénomènes de spéculation sur les matières premières agricoles. Ainsi, M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, a largement décrit et dénoncé « le processus d’acquisition et de location de terres à grande échelle [qui] s’est accéléré après la crise mondiale des prix alimentaires de 2008. […] Les investisseurs privés, y compris les fonds d’investissement, sont de plus en plus attirés par le secteur agricole et spéculent de plus en plus sur les terres arables. »

La spéculation sur les matières premières agricoles a bien entendu des conséquences sur le cours des prix des produits agricoles. Pourtant, cette question n’apparaît pas dans les négociations internationales et européennes.

Les mesures annoncées pour lutter contre les dérives de la spéculation financière dans le cadre du G 20 sont en effet bien dérisoires au regard de l’ampleur du phénomène. Le Président de la République a ainsi déclaré que, « sur la volatilité du prix des matières premières, nous avons obtenu de mandater les organisations internationales dans le domaine de l’énergie comme dans celui de l’agriculture pour produire expertises et recommandations en vue de décisions sous notre présidence ». Vous l’avouerez, la situation mériterait des engagements plus forts !

En effet, sans un encadrement des prix et une interdiction de toute spéculation sur les denrées et les terres agricoles, l’Union européenne ne pourra garantir des prix rémunérateurs aux agriculteurs, sans compter que la spéculation multiplie les échanges, et donc les transports, au mépris des objectifs environnementaux que s’est fixés la communauté internationale.

Ensuite, pour ce qui concerne le maintien des aides, la PAC a perdu beaucoup de sa légitimité dans la mesure où 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des aides et que les plus gros bénéficiaires ont pu être le prince de Monaco ou la reine d’Angleterre !

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