Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole commune appartient à l’histoire de la construction européenne. Elle tient une place comparable à celle des premiers accords sur le charbon et l’acier dans le panthéon européen des accords politiques.
Toutefois, après toutes les étapes que nous avons connues avec l’élargissement de l’Union européenne et les négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce, la politique agricole commune est aujourd’hui remise en cause, du fait de la marchandisation des productions agroalimentaires et de ses propres errements, qui ont engendré parfois des effets pervers, telle la surproduction, accompagnée de difficultés de financement et d’une mauvaise répartition des revenus.
Cependant, de nombreux succès peuvent être mis à l’actif de la politique agricole commune. Ainsi, depuis 1962, année du premier règlement européen, la part des dépenses alimentaires dans les revenus disponibles des ménages est passée de 42 % à 15 %. Par ailleurs, en dépit des procès qui sont régulièrement instruits contre la « malbouffe », on ne peut que constater que l’espérance de vie des Français est parmi les plus élevées du monde et qu’elle continue à croître. C’est le signe que le productivisme – souvent confondu avec la productivité –, indispensable pour répondre au défi posé par la croissance de la demande en matière d’alimentation, a su concilier l’accroissement des volumes et le respect des exigences institutionnelles, alors que les enjeux nutritionnels sont souvent devenus des débats de société.
On constate en outre que l’Europe est devenue le deuxième exportateur mondial dans le secteur agricole, en une période où l’environnement international s’est modifié. Nous sommes en train de passer rapidement d’un monde dominé par l’Occident à un monde de partenariats multipolaires, avec l’émergence de préoccupations environnementales et de pénuries de matières premières.
Dans ce contexte, je souhaite que l’on révise, en fonction des rapports de force et de nos propres contraintes, les trois concepts fondateurs de la PAC, à savoir l’unité de marché, la solidarité financière et la préférence communautaire.
En matière de préférence communautaire, il serait bon que la réflexion soit menée à l’aune de notre sécurité alimentaire et de notre dépendance en matière de protéines végétales. On peut envisager de remettre en cause les accords de Blair House, mais, à l’échelle de la planète, les choses se présentent différemment : l’agriculture est confrontée aux défis de la croissance démographique mondiale. Pour l’heure, la réponse n’est pas satisfaisante, ce qui ne laisse pas d’être inquiétant pour l’avenir.
L’agriculture française a devant elle des perspectives très ouvertes, à condition qu’elle soit forte. Ces dernières années, nous avons voté deux textes, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche et la loi de modernisation de l’économie, qui intéressent l’agriculture et mettent l’accent sur l’organisation des filières, tant il est vrai que celles-ci ont parfois autant besoin d’organisation que de subventions…
Je constate que ces textes tendent à rétablir un pouvoir compensateur, au sens que donnait à cette expression l’économiste américain Galbraith, au profit des producteurs. La contractualisation, qui est devenue l’idée centrale, n’est pas une découverte, mais elle est apparue comme une réponse adaptée et s’est épanouie, avec les coopératives, dans la majeure partie des grandes filières agricoles françaises qui ont réussi.
Les coopératives constituent une forme originale et efficiente du capitalisme moderne, la forme la plus aboutie de l’organisation professionnelle. Elles sont des entreprises de marché ne pouvant faire l’objet d’une OPA ou d’une délocalisation. Leur structure financière comporte une part de capital impartageable, c’est-à-dire liée sans défaillance à l’outil de travail. Leurs actionnaires sont des coopérateurs et des fournisseurs, souvent peu soucieux de rendement élevé du capital à court terme, mais attachés à la réalisation des investissements.
La coopérative est une arme de guerre économique redoutable sur les marchés. Elle peut offrir au monde paysan toutes les options adéquates en matière d’organisation et de rémunération du travail de chacun, aussi bien pour le marché intérieur que pour l’export.
Ainsi, que peut-on faire pour aider les coopératives à se développer davantage ? Il faut d’abord reconnaître leur importance et s’intéresser à leur avenir. Lors du dernier remaniement ministériel, il y a eu un cafouillage sur les attributions des différents ministères en matière d’autorité sur la DGCS. Cela a été ressenti comme un désaveu par les coopérateurs, malgré les préconisations réconfortantes du récent rapport Vercamer. La situation n’est pas satisfaisante.
Pour conforter la place de l’agriculture française au sein de l’Europe, il faut travailler à accroître la taille des entreprises agroalimentaires tout en réfléchissant aux méthodes de gouvernance, afin de privilégier celles qui n’éloignent pas trop les hommes du centre de commandement ; autrement dit, les unions sont préférables aux fusions, l’essentiel étant d’atteindre le seuil critique nécessaire pour couvrir le marché. Il faudra en parler avec la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et son ministre de tutelle.
Enfin, pour les détenteurs des capitaux nomades qui circulent dans le monde financier, il est aujourd’hui plus rentable d’investir sur les marchés à terme du sucre ou du blé qu’en bourse. Tant que cette situation perdurera, je ne pourrai guère faire confiance aux marchés à terme pour améliorer le revenu des producteurs. Il conviendra de transmettre ce message au G 20, monsieur le ministre !
Le deuxième pilier aidant, je souhaite que l’extension du périmètre de vos attributions à l’aménagement du territoire et au développement rural vous permette d’être davantage encore le ministre des agriculteurs.