Intervention de Raymond Vall

Réunion du 11 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'avenir de la politique agricole commune

Photo de Raymond VallRaymond Vall :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013 la politique agricole commune devra avoir accompli sa mue. Quelle sera la nouvelle PAC ? C’est là une question angoissante pour de nombreux agriculteurs dont le revenu disponible dépend en grande partie, voire en totalité, des aides directes de l’Union européenne.

Incompréhensible, coûteuse, injuste, nocive… Les griefs adressés à la PAC ne sont pas nouveaux, mais cette litanie de reproches, dont certains sont peut-être fondés, ne doit pas occulter une formidable réussite : la PAC a permis de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe. Atteindre cet objectif était loin d’être évident en 1962, lors de la création de cette politique communautaire. Il reste d’actualité dans un monde où près de 1 milliard de personnes souffrent de sous-alimentation et où il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050, contre 6, 5 milliards aujourd’hui.

La PAC originelle a eu le mérite de limiter la diminution du nombre d’agriculteurs en Europe et d’assurer à ceux-ci un revenu décent. Accusée, sans doute à juste titre, d’avoir favorisé une course à la productivité, contribué à l’érosion des sols, empêché l’essor agricole des pays émergents, elle a changé de cap en 1992. On est passé, en deux décennies, d’une politique interventionniste sur des marchés contrôlés à un processus de libéralisation accélérée, menant à une régulation par le marché, les filières devant s’adapter. On voit aujourd’hui le résultat ! Les deux années passées ont montré que les revenus de complément tirés de la PAC ne permettent guère d’amortir les soubresauts des prix mondiaux et les conséquences des aléas naturels.

On nous a annoncé une augmentation de 66 % des revenus agricoles en 2010. Il n’y a pas là de quoi se réjouir outre mesure : il s’agit d’abord d’un rattrapage après les baisses de 2008 et de 2009, et ce chiffre masque de fortes disparités suivant les exploitations, l’embellie profitant surtout aux grandes cultures, les éleveurs, quant à eux, étant toujours en grande difficulté.

Il serait évidemment absurde de préconiser un retour à l’ancienne PAC, qui a montré ses limites et ses excès. Il serait tout aussi stérile de ne pas entendre les critiques, de ne pas voir les imperfections ou de ne pas répondre aux attentes de réforme.

La France a su faire adopter une politique agricole favorable à ses intérêts, mais elle s’est ensuite crispée pendant des décennies sur ses avantages, sans se préoccuper de leur obsolescence ni des changements de rapports de force intervenus au fil des élargissements successifs.

On le sait, premier poste de dépenses de l’Union européenne avec un budget de 55 milliards d’euros en 2010, la PAC suscite les convoitises : dans le cadre des négociations sur les perspectives financières pour la période 2014-2020, les tentations seront fortes de dégager à ses dépens des marges de manœuvre pour servir d’autres priorités.

La France devra affronter les pays partisans d’une plus grande libéralisation du secteur, tels que le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark ou la République tchèque. Certains se satisferaient pleinement d’une PAC sans argent, qui se bornerait à fixer des règles de régulation, au sens anglais du terme, c’est-à-dire des règles commerciales sur la concurrence et la traçabilité.

Une chose est sûre, l’heure sera en tout cas à un rééquilibrage des aides entre les pays. Si la montée en puissance des aides du premier pilier dans les nouveaux États membres devrait atténuer l’écart constaté aujourd’hui avec les anciens États membres, restent les inégalités criantes et bien connues entre régions, entre secteurs et entre agriculteurs. Voilà de quoi susciter l’incompréhension non seulement des bénéficiaires lésés, mais aussi du grand public, qui a de plus en plus de mal à trouver une légitimité à la PAC, d’autant que, paradoxalement, celle-ci ne permet pas toujours aux agriculteurs de vivre de la vente de leurs produits.

Si l’on ajoute à ces défauts de la PAC réformée un bilan en matière d’environnement et de développement rural à peine satisfaisant, sinon décevant, et des effets pervers, sur le prix du foncier par exemple, qui freine l’installation de nouveaux exploitants, on comprend bien que le statu quo n’est plus possible. Pour autant, quelle direction prendre ?

Dans une communication présentée le 18 novembre dernier, la Commission européenne esquisse les scénarii possibles. Je dois dire que le scénario que semble privilégier le commissaire européen Dacian Ciolos nous rassure quelque peu, tant il rompt avec le point de vue « tout libéral » de son prédécesseur, Mariann Fischer Boel.

Cependant, ce « ouf » de soulagement n’est pas un plébiscite. Nous partageons bien sûr l’idée de mettre en place une PAC plus juste et plus équitable, avec la fin du système des références historiques, la prise en compte de l’emploi et des handicaps naturels dans l’attribution des aides, l’orientation du soutien vers les agriculteurs actifs, l’instauration d’un plafonnement par exploitation et d’un niveau minimal garanti pour les petites exploitations. Cette attention aux petites exploitations, qui a tant manqué jusqu’à présent, est une nécessité, car ce sont elles qui assurent la vitalité économique et humaine de nos zones rurales, comme le grand Sud-Ouest, et en particulier le département du Gers.

Nous saluons aussi une nouvelle étape dans la prise en compte de l’impératif écologique, avec notamment la reconnaissance de l’apport des agriculteurs au regard des objectifs d’intérêt public que sont le maintien des paysages, l’aménagement des territoires, la lutte contre le réchauffement climatique. Cette fonction de l’agriculture justifie amplement, s’il en était besoin, que l’Europe consacre un demi-point de PIB à la PAC.

Cela étant, ces bonnes intentions masquent des lacunes. Alors que l’impérative résolution du problème de la volatilité des prix des matières premières agricoles a été inscrite à l’ordre du jour des discussions du G 20, le texte de la Commission demeure très insuffisant en matière de régulation des marchés agricoles.

Comment les agriculteurs peuvent-ils gérer leur exploitation quand, en l’espace de trois mois, un prix peut passer de 100 à 200 euros, avant de retomber à 100 euros deux mois plus tard ? Sur cette question de la volatilité des cours, la Commission semble en rester à l’idée que la régulation doit se faire par le marché et qu’il revient aux filières de s’adapter. Aucun nouvel instrument n’est envisagé, seul le maintien des outils existants est prévu, alors même qu’aujourd’hui certaines filières, comme celle de la viande, sont en grande difficulté.

Par ailleurs, le texte de la Commission ne dit rien de l’effort financier que devra assumer l’Europe. Or, cette question est cruciale : une « PAC forte », comme l’appelle de ses vœux M. Ciolos, suppose un budget à la hauteur ! Espérons qu’après avoir donné des espoirs aux agriculteurs, la Commission leur apportera une traduction budgétaire…

Enfin, rien non plus n’affirme la « préférence communautaire ». Si ce n’est pas là un « gros mot » pour M. Sarkozy, il semble que cela en reste un pour la Commission !

J’ai bien conscience, monsieur le ministre, que ce document donne le coup d’envoi de discussions âpres. Comment abordez-vous cette période ? Quelles seront vos idées-forces ? Nous savons votre détermination.

L’agriculture et l’alimentation sont parties intégrantes de la société française, comme l’atteste le succès rencontré tous les ans par le salon de la porte de Versailles, où veaux, vaches, cochons font le bonheur de tous les visiteurs. Ce salon est un trait d’union nécessaire entre citadins et ruraux, qui souvent se méconnaissent alors qu’ils ont pourtant besoin les uns des autres.

Il faut sans aucun doute répondre aux critiques et aux attentes, mais personne n’a intérêt à ce que la PAC n’atteigne pas ses trois objectifs essentiels – unité du marché, solidarité financière et préférence communautaire – ni à ce qu’elle soit affaiblie ou démantelée.

Certes, la PAC devra en 2013 être plus juste, plus verte qu’elle ne l’était auparavant. Elle doit gagner en lisibilité et cesser d’apparaître comme un écheveau de dispositifs techniques d’une infinie complexité, ce qui peut donner le sentiment qu’elle avance masquée. Les sigles fleurissent plus vite que les coquelicots dans un champ de blé ! Elle doit enfin aborder la question décisive la part des différents acteurs dans la chaîne de formation de la valeur.

À l’heure actuelle, c’est le marché, et lui seul, qui décide, en parfaite cohérence avec la doctrine économique libérale. Ce n’est plus acceptable. Est-il normal que les ententes entre agriculteurs en vue de fixer les prix soient sanctionnées, tandis que les concentrations excessives dans la distribution et dans certains secteurs de l’industrie alimentaire sont tolérées ? Dans les vingt-sept pays de l’Union, quinze chaînes de distribution contrôlent déjà à elles seules 77 % du marché alimentaire. Le droit de la concurrence ne s’applique pas à tous de manière égale !

Quoi qu’il en soit, la PAC ne doit pas disparaître. N’oublions pas que ce dispositif, mis en place voilà un demi-siècle, est quasiment l’unique politique commune européenne. Est-ce un modèle ? Non, mais c’est du moins un exemple pour quiconque estime que l’avenir de l’Europe ne peut être que collectif.

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