Intervention de Yannick Botrel

Réunion du 11 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'avenir de la politique agricole commune

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus que jamais, la place de l’agriculture est essentielle et stratégique : cette analyse est partagée par tous, même s’il existe des divergences d’appréciation sur le rôle que doit jouer l’agriculture. S’agit-il seulement d’assurer un volume global de production, ou de prendre en compte ses différentes fonctions alimentaires, environnementales, de gestion des espaces, d’aménagement des territoires ? Disons-le nettement, les socialistes optent pour ce second aspect.

C’est dans un contexte mondialisé, avec en corollaire des négociations internationales, que va intervenir la réforme de la politique agricole commune. Celle-ci devra apporter des réponses aux nouvelles attentes sociétales.

Dans cette perspective, il faut, pour l’après-2013, défendre l’idée forte d’une politique agricole ambitieuse, novatrice. Cette priorité devra être affirmée par l’Union européenne et trouver une traduction politique et budgétaire.

À la suite de la réforme de 2003 et du bilan de santé de la PAC, une orientation de nature très libérale a été prise, puisqu’il s’est agi d’accorder la primauté à la loi du marché, au détriment d’une régulation plus ou moins assumée jusqu’alors.

Les limites de cette vision libérale à outrance sont apparues rapidement à la lumière des crises qui ont frappé la plupart des productions. Sans qu’il soit question d’administrer l’agriculture, du moins faut-il poser à nouveau des règles suffisamment fortes d’organisation et de gestion collective qui assureront l’avenir des agriculteurs.

La révision de la PAC est l’occasion unique d’apporter, au regard du constat qui vient d’être dressé, les inflexions attendues par beaucoup d’agriculteurs et par la société européenne. Elle doit avoir pour ambition de permettre le maintien d’une agriculture diverse et de qualité et de contribuer à la préparer aux défis de demain.

Dans la perspective de la réforme, trois scénarii sont en présence. Nous avons bien compris que le scénario médian est privilégié par le commissaire européen et que, au-delà, plusieurs des objectifs énoncés dans ce scénario sont assez largement partagés, des nuances se faisant cependant jour.

Au nombre de ces objectifs figure à l’évidence la redistribution des aides. Le maintien de nombreux agriculteurs passe par la garantie d’un revenu stable et équitable. Chacun le sait, disposer d’une visibilité financière est primordial pour réaliser des investissements de long terme ; à défaut, de nombreuses installations s’avèrent fragiles. Dans ces conditions, il n’est pas concevable que perdure le déséquilibre que l’on a pu constater dans l’attribution des aides européennes, dont 80 % du montant est accaparé par 20 % des bénéficiaires.

L’introduction de plafonds et de planchers d’aide par exploitation va donc dans la bonne direction. La PAC doit être orientée vers un paiement direct minimal pour l’ensemble des agriculteurs, afin de préserver les petites et moyennes exploitations ; c’est une question d’équité. Cependant, il convient aussi, dans la même perspective, de plafonner les versements. Une redistribution plus pertinente et plus juste des aides entre les filières, et entre les agriculteurs, est en effet vitale pour assurer l’avenir du plus grand nombre. Sans garantie de revenu, les nouvelles installations seront compromises, ce qui relativiserait, et même contredirait, le discours officiel en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs.

Quelle aberration encore que l’on puisse aujourd’hui percevoir des aides sans pratiquement produire, du simple fait d’une situation acquise ! Il faut y mettre un terme : les aides doivent être réservées aux agriculteurs ayant une fonction réelle de production.

Il faut donc aller au-delà de la logique des primes à l’exploitation, vers l’instauration de primes liées à la production et au renforcement de la qualité de celle-ci. Les aides doivent ainsi être modulées en fonction de la main-d’œuvre employée sur les exploitations, des efforts d’adaptation environnementale qu’elles fournissent et des handicaps naturels auxquels elles sont confrontées.

Si la production de masse a longtemps été privilégiée, la fourniture d’une alimentation de qualité doit désormais être l’objectif visé. Ce principe a été longuement discuté lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au nom des attentes des consommateurs, mais aussi dans un souci de santé publique. La future PAC devrait prendre en compte la promotion des productions locales et des marchés de proximité. Rétablir le lien entre production et territoire, développer les circuits courts quand cela est possible mérite un accompagnement financier significatif, alors que les aides aujourd’hui accordées pour la diversification et la reconversion tiennent parfois du saupoudrage. Cela permettra aussi, dans l’esprit du Grenelle 2, d’améliorer le bilan carbone, ainsi que de favoriser une activité économique porteuse d’avenir et de créer des emplois au plus près des territoires, tout en répondant à une attente sociétale forte. La cohérence globale du projet agricole communautaire appelle la prise d’initiatives dans ce domaine.

L’un des aspects fondamentaux de la PAC devra porter sur les moyens accordés à la régulation et à la gestion des marchés. Un constat s’impose presque de lui-même : le marché mondial des produits agricoles est soumis à de fortes tensions, qu’elles résultent d’événements climatiques, de crises frumentaires ou tout simplement de la spéculation ou de la financiarisation des marchés des matières premières. Les conséquences qui en découlent sont, d’une part, la spéculation et la volatilité des cours, et, d’autre part, la difficulté d’anticiper ces mouvements erratiques.

Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le débat a porté sur l’usage d’outils de régulation pour la prévention et la gestion des crises. Or l’orientation libérale donnée à la PAC en 2003 a mis à mal la notion même de régulation et de moyens d’intervention en ce domaine. L’année 2015 verra la disparition des quotas laitiers, évolution à laquelle vous avez répondu par une contractualisation portant sur les volumes. Monsieur le ministre, vous avez admis la nécessité de disposer de moyens rénovés de régulation, singulièrement par l’application, sur le plan national, de la contractualisation et la mise en place des interprofessions. Ces mesures devraient, selon vous, redonner aux agriculteurs une position moins marginale dans les discussions au sein de chaque filière. Cela ne suffira pas : les interprofessions peinent à entrer en action ; quant aux contrats, ils ne sont pas du tout prévus pour réguler le volume global de la production, en particulier dans le domaine laitier.

Ces dispositions ne remplacent donc pas une politique commune de régulation européenne des marchés. De même, la future PAC, se bornant à un simple « filet de sécurité », ne va pas suffisamment loin, comme le constate un ancien secrétaire général de la FNSEA, qui déclare que « la Commission n’a pas tiré les leçons de la crise de 2009 ». C’est juste, et c’est bien vu. Dans la confrontation mondiale, peu de protagonistes font montre d’angélisme, et les États défendent leur agriculture. L’Europe doit se protéger, y compris contre les distorsions de coûts de production résultant des différences d’exigence de qualité dans les domaines sanitaire ou environnemental. J’ajouterai que, en Europe même, au sein du marché unique, pèse la suspicion de dumping social. Quelle position la France défendra-t-elle sur ces points lors des futures discussions ?

Se pose aussi la question de la sécurité alimentaire, facteur indéniable d’indépendance, dont on voit se dessiner les enjeux sur le plan planétaire. Les terres des pays en voie de développement ne deviennent-elles pas l’objet de la convoitise des multinationales et de certains pays émergents, qui procèdent à des acquisitions considérables de foncier agricole ?

La future PAC devra s’accompagner des financements nécessaires pour répondre aux défis et aux enjeux et pouvoir adapter notre agriculture au nouveau contexte mondial. Il est évident qu’une telle politique ne peut se conduire au rabais, sans moyens budgétaires adéquats, mais qu’elle doit au contraire demeurer l’une des priorités européennes. C’est d’ailleurs l’opinion du commissaire européen à l’agriculture, reprise par M. Jean-Michel Lemétayer, qui estime que la future PAC ne sera confortée que si son budget est « au moins équivalent à celui d’aujourd’hui ». On ne peut donc que s’inquiéter des menaces d’une diminution des crédits, qui pourrait amener une réduction de l’engagement européen en faveur de l’agriculture à 32 % du budget communautaire en 2013 ; pour mémoire, il atteignait 61 % de celui-ci voilà vingt ans.

Les enjeux de la nouvelle PAC sont considérables pour l’Europe, pour nombre de régions et pour les agriculteurs qui y vivent de leur travail, pour l’emploi induit dans l’agroalimentaire, l’artisanat et les services, en somme pour l’ensemble du tissu économique et social des territoires ruraux. Nous pouvons nous rejoindre sur l’analyse et la détermination de certains d’entre eux, mais les propositions et les moyens ne vont selon nous pas assez loin, et nous serons donc très vigilants.

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