Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 11 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'avenir de la politique agricole commune

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 novembre dernier, les ministres européens de l’agriculture se sont réunis pour donner le coup d’envoi des négociations sur la future PAC à vingt-sept pour la période 2014-2020.

Nous savons tous le caractère stratégique de l’agriculture, à l’heure où près de 1 milliard de personnes souffrent de sous-alimentation, tandis qu’il faudra en nourrir 9 milliards en 2050.

D’autres sénateurs l’ont rappelé avant moi, la PAC a justement permis de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe. Alors qu’elle représentait quasiment 90 % du budget de l’Union européenne en 1970, sa part s’élève aujourd’hui à 42 % de celui-ci, soit 55 milliards d’euros, montant à mettre en regard des 87 milliards d’euros que les États-Unis consacrent au soutien à leur agriculture. Il faut remettre le coût de la PAC en perspective.

N’oublions pas que la France est le premier bénéficiaire des aides accordées au titre de la PAC et le deuxième contributeur, après l’Allemagne. En outre, la valeur de la production agricole française s’élevait à 62 milliards d’euros en 2009, ce qui fait de notre agriculture la première de l’Union européenne.

La PAC a atteint les objectifs qui lui avaient été assignés en matière de sécurité alimentaire et sanitaire, mais aussi de préservation de l’équilibre des territoires ruraux, qui constitue parfois la seule activité économique viable dans certaines zones reculées. En soutenant l’innovation technique agricole et la préservation de la biodiversité, elle a permis à l’agriculture de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de plus de 20 % depuis 1990.

Cependant, les tensions n’ont jamais été aussi fortes au sein des filières, en particulier celle de l’élevage, et nombre d’agriculteurs souffrent, au point que certains d’entre eux en sont réduits à s’adresser aux Restos du cœur… Quel paradoxe, quand on exerce le plus beau métier du monde, consistant à nourrir ses semblables !

En effet, force est de constater que l’on assiste à une paupérisation grandissante de certains agriculteurs. La PAC n’a pas réduit toutes les inégalités, ni entre exploitants ni entre pays membres. C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas trouvé sa légitimité aux yeux de l’opinion publique européenne.

Par ailleurs, sa trop grande complexité la rend incompréhensible, même pour les habitués : un grand nombre de directives, de règlements en matière d’environnement, de santé publique, de sécurité alimentaire, etc., conditionnent l’attribution des aides directes au respect de « bonnes pratiques ».

Enfin, la volatilité extrême des coûts de production ou de vente fragilise les filières, alors que les financiers internationaux se servent, en outre, des produits agricoles comme de matières premières soumises à la spéculation.

Des outils de régulation innovants doivent être définis, afin de prévenir les crises ou de pouvoir y répondre rapidement. Ils permettront aux agriculteurs de lisser leurs résultats. Un premier pas dans cette direction vient d’être franchi pour le marché du lait avec le projet de règlement présenté le 9 décembre dernier sous votre pugnace impulsion, monsieur le ministre. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir lancé, voilà un an, ce fameux « appel de Paris » à une nouvelle régulation des marchés agricoles ; vingt-deux des États membres de l’Union vous avaient alors suivi.

Nous avons besoin d’une réforme forte et ambitieuse, d’une nouvelle PAC permettant de conjuguer performances économiques et environnementales, équilibre des territoires et indépendance énergétique, mais aussi et surtout de rendre nos exploitations plus compétitives et autonomes. Ces objectifs peuvent paraître difficilement conciliables, mais ils ne sont pas contradictoires.

Les négociations sont menées sur la base des propositions faites par le commissaire européen Dacian Ciolos, auxquelles vient s’ajouter l’excellent travail présenté tout à l’heure par MM. Bizet et Emorine et par Mme Bourzai.

Le Parlement européen, au travers de la codécision, sera par ailleurs partie prenante à la réforme, et a d’ores et déjà émis des avis favorables sur cette grande mutation, notamment sur les aides directes, étant donné les coûts de production élevés, essentiellement en raison des normes sociales ou environnementales auxquelles sont soumis nos agriculteurs.

En effet, ces normes, pour vertueuses qu’elles se doivent d’être, sont difficiles à respecter pour les agriculteurs installés dans une zone de montagne, périurbaine, défavorisée, vulnérable ou sur le territoire d’un nouvel État membre.

Une harmonisation sans faille des normes à l’échelon européen est essentielle. Nos exploitants ne sont pas opposés au « verdissement » de la PAC, dans la mesure où cela peut permettre d’appliquer les mêmes règles dans tous les États membres, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Enfin, beaucoup souhaitent le développement du stockage public et privé, ainsi que des moyens légaux et juridiques permettant la contractualisation dans les filières et entre les filières.

La décision d’inscrire l’agriculture dans le système libéral doit s’accompagner de la possibilité, pour les agriculteurs, de s’organiser en vue d’essayer d’assurer une certaine équité dans les rapports commerciaux avec les industriels et les grandes surfaces. Il n’y aura pas de contractualisation efficace sans rapport de force équilibré. Privilégions le regroupement des professionnels, l’organisation de filières fortes, le maintien d’une agriculture diversifiée dans toutes nos régions, les circuits de distribution courts, une agriculture biologique de proximité.

Les DPU alloués aux exploitations du département de l’Aisne, dont l’activité va de la viticulture sur les coteaux de la Marne aux grandes cultures, en passant par la production laitière en Thiérache au sein de structures plus petites, sont très divers, mais représentent parfois le revenu des agriculteurs. Toute évolution devra donc se faire sur plusieurs années, sauf à mettre en grande difficulté certains d’entre eux. Les agriculteurs de mon département sont preneurs d’un développement grâce au deuxième pilier, ayant remarqué que les industriels sont systématiquement demandeurs des aides spécifiques destinées à telle ou telle filière, comme on a pu le voir pour celles des protéagineux et des légumes en 2010, par exemple.

Les mesures du deuxième pilier doivent pouvoir concerner toutes les régions et toutes les formes d’agriculture. Dans notre région, le grand succès du « plan sucre » est en effet la démonstration que les agriculteurs sont prêts à investir pour améliorer leur compétitivité et créer de la valeur ajoutée. Ces mesures devraient aussi permettre, en matière de développement durable, de protéger certaines productions, par exemple l’élevage dans les régions de grandes cultures, ce qui permettrait de maintenir la culture de la luzerne, la production de fécule, de légumes, etc. En effet, une spécialisation des régions serait extrêmement dommageable sur les plans économique et environnemental.

Plus largement, l’Europe devrait pouvoir résoudre les problèmes de concurrence sur les plans social et financier.

Nous devons sauver la PAC, qu’il faut appréhender sous un angle novateur, d’autant qu’elle représente quasiment l’unique politique commune européenne ! Elle mérite donc toute notre attention en tant qu’exemple pour l’avenir de l’Europe, avenir qui ne peut être, nous en sommes tous conscients, que collectif.

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