Je commencerai la présentation de cet amendement en donnant lecture d'un extrait de l'excellent article paru dans Le Monde du 27 septembre dernier qui décrit parfaitement l'esprit des nouvelles dispositions introduites dans le projet de loi : « La France a bien du mal à assimiler les règles les plus simples de l'économie de marché. Chaque fois que cela est possible, elle lui préfère la relative opacité de l'économie administrée. Les entreprises, qui pestent en général contre les contraintes et les pesanteurs publiques, ne sont pas les dernières à vouloir à la fois ?le beurre du marché et l'argent du beurre de l'État?. C'est ce qui se passe avec l'affaire du ?droit de retour? des consommateurs d'électricité. »
Dans le cadre de la libéralisation des marchés européens de l'énergie, la France a été amenée à remettre en cause le monopole de distribution de l'électricité dont bénéficiait EDF. Dans un premier temps, les entreprises et les clients industriels ont seuls pu profiter de cette possibilité. Un certain nombre de prestataires se sont alors développés, sociétés indépendantes ou filiales d'autres électriciens européens. N'assurant généralement pas leur propre production, ils s'approvisionnaient sur le marché libre européen, qui était à l'époque en pleine restructuration avec l'apparition des premiers marchés dérivés comme le Nordpool ou Powernext.
Sur ces marchés, souvent résiduels, le prix qui se forme est celui du dernier kilowattheure disponible, et les fluctuations peuvent être importantes. Le prix est en général celui des centrales thermiques mixtes, gaz et fioul, ce qui induit une corrélation entre le prix du kilowattheure et celui du pétrole.
À l'époque de l'ouverture du marché français, les prix européens étaient inférieurs au tarif que pratiquait EDF. Un certain nombre d'entreprises firent alors le choix du marché. Avaient-elles bien compris les nouvelles règles du jeu ? En fait, elles abandonnaient la stabilité du prix géré par un quasi-monopole, lui préférant l'instabilité du marché en spéculant sur une baisse des prix à moyen terme. Le mot « spéculant » est ici utilisé à dessein, car il s'agissait bien d'un choix spéculatif : chaque fois qu'un consommateur fait le choix de l'instabilité, il entre dans la logique du risque, donc de la spéculation.
Voilà donc nos entreprises soucieuses de se libérer du monopole d'EDF, spéculant en fait à la baisse du prix de l'électricité en dessous, au moins, du tarif régulé.
Tout fonctionna très bien au début, jusqu'au troisième choc pétrolier. Lorsque les prix de l'électricité grimpèrent en Europe, les entreprises qui avaient spéculé à la baisse virent au contraire leur facture énergétique augmenter, souvent de manière spectaculaire.
Tant pis pour elles, dirait un libéral. Heureusement, nous sommes en France ! Ces entreprises trouvèrent quelques appuis politiques, quelques oreilles compatissantes et prêtes à ramener les brebis égarées dans le droit chemin des tarifs administrés. La discussion du présent projet de loi à l'Assemblée nationale a été l'occasion pour le Gouvernement d'accepter un des amendements déposés en ce sens, et les malheureuses entreprises pourront bientôt retrouver les joies de la stabilité du prix de leur électricité à un niveau à peine supérieur à celui du tarif d'EDF.
Mais comment faire ? Leurs fournisseurs actuels ne peuvent vendre à perte et, si EDF se substituait à eux, on assisterait à la reconstitution de l'un de ces monopoles honnis par Bruxelles. EDF a en effet, en matière de prix de revient, un avantage sur ses concurrents, lié au nucléaire.
La solution trouvée est admirable et s'inscrit dans la grande tradition taxatrice française : EDF, et indirectement Suez par le biais de la Compagnie nationale du Rhône, qui dispose d'un parc hydroélectrique, vont subventionner leurs concurrents à hauteur de la différence entre le prix de marché et le nouveau tarif.
Selon de premières estimations effectuées sur la base des prix de 2005, cela pourrait représenter un montant annuel de 700 millions d'euros, dont 95 % seront fournis par EDF, entreprise publique. Le coût sera donc à partager entre tous les Français !
À cela s'ajoute ce qui est tout de même un paradoxe : on en vient à taxer l'énergie propre - nucléaire ou hydroélectrique - pour subventionner les centrales les plus marginales et les plus polluantes, ainsi que l'a souligné tout à l'heure M. Marini.
Mais soyons bien clairs : ce qui est critiquable, dans cette manipulation, c'est le double langage tenu par les entreprises, et c'est la faiblesse des politiques. Le droit de retour est une véritable escroquerie, et pas seulement une escroquerie intellectuelle.
Cela ne préjuge en rien du débat qui sera nécessaire en Europe sur le statut exact de l'électricité, bien public ou commodité de marché, à la lumière de quelques libéralisations peu réussies, comme aux États-Unis.
Le monde est plus complexe que ne l'imaginent certains des ayatollahs libéraux qui règnent à Bruxelles !
Mais la capacité du génie français à transcender ces complexités est confondante. Cet admirable droit de retour nous en offre une nouvelle preuve.