Intervention de Éric Woerth

Réunion du 23 février 2010 à 14h30
Jeux d'argent et de hasard en ligne — Discussion d'un projet de loi

Éric Woerth, ministre :

… ni à tel ou tel opérateur comme j’ai pu le lire ou l’entendre – j’imagine que je l’entendrai encore pendant des années –, ni à la Commission européenne, ni à je ne sais quelle administration.

Nous l’ouvrons pour réguler un marché qui n’est plus régulé ; nous l’ouvrons, car la tradition française en la matière est d’encadrer ce secteur, pas de le regarder se développer sans rien faire, pas de le laisser prospérer sans agir. Nous nous inscrivons donc dans une continuité historique qui vise à adapter notre modèle de régulation des jeux à l’évolution sociologique de ce phénomène.

Je suis convaincu que la réponse la plus adaptée est d’assécher progressivement le marché noir des jeux en ligne en créant une offre légale qui obéira aux règles que vous aurez édictées, et en y associant en complément des outils de lutte contre les sites illégaux, contre l’addiction et pour la protection des mineurs. C’est bien l’addition de tous ces outils qui créera un système de maîtrise puissant. C’est le pari qu’a fait l’Italie, et cela commence à marcher.

Il y a urgence à réinstaurer l’État de droit en la matière. Il y a urgence à fixer les nouvelles règles du jeu pour les opérateurs qui souhaiteront accéder au marché français. Il y a urgence à constituer des mécanismes de contrôle qui trouvent leur origine dans la loi. Chaque jour, de nombreux Français, notamment des mineurs, accèdent à ce marché, à ce type de jeux, sans aucun contrôle.

Toutefois, pour que ces règles s’appliquent, il faut que l’ouverture du marché réussisse, qu’elle soit suffisamment attractive pour les opérateurs souhaitant entrer dans le champ de la légalité, sans pour autant que nos valeurs, les principes de protection de l’ordre public et de l’ordre social soient remis en cause. L’ouverture maîtrisée sera donc une véritable ouverture du marché des jeux en France, mais pas à n’importe quelle condition. Nous ne transigerons pas sur le risque d’addiction des joueurs, le risque pour les mineurs, les risques de fraude et de blanchiment.

C’est la raison pour laquelle le texte dont vous allez débattre repose sur deux piliers indissociables : une offre de jeu sécurisée, contrôlée et régulée ; la mise en œuvre d’un cumul d’obstacles conduisant à assécher le marché illégal.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands principes de ce texte. Permettez-moi, avant d’insister sur quelques points saillants du texte, de remercier les rapporteurs de ce texte avec lesquels nous avons travaillé assidûment, opérant un véritable travail de fond, et tout particulièrement MM. François Trucy et Ambroise Dupont, ainsi que l’ensemble de la commission des finances et son président, M. Jean Arthuis.

Tout d’abord, le champ de l’ouverture sera limité à certains types de paris et jeux : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker.

Pourquoi ceux-là ? Parce qu’il s’agit des jeux et paris qui à la fois présentent les risques d’addiction les moins importants et constituent l’essentiel de la demande sur internet. Par exemple, les machines à sous, qui font courir un risque de dépendance très élevé, ne seront pas autorisées sur internet et demeureront sous le monopole des casinos.

Sous quelle forme peut-on parier ? Cette question a été souvent évoquée.

Les paris sportifs seront autorisés sous la forme mutuelle – les joueurs parient les uns contre les autres –, mais aussi sous la forme du pari à cote, l’opérateur pariant alors contre les joueurs.

Certains amendements visent à supprimer le pari à cote. Mais ce mode de pari représente la quasi-totalité de l’offre, aujourd’hui illégale, en matière de paris sportifs. Si nous ouvrons ce marché sans permettre ce type de pari, cela revient à ne pas ouvrir le marché des paris sportifs. Cela revient à dire aux opérateurs illégaux : puisque nous n’ouvrons pas le marché sur les produits qui sont demandés, continuez à agir dans l’illégalité.

Certains disent que ce type de pari présente des risques importants de tricherie et de fraude. C’est précisément pour prévenir ces risques que le projet de loi prévoit des mesures permettant de prévenir tout excès et tout conflit d’intérêt. Ainsi, les sportifs et les dirigeants de clubs ne pourront pas parier sur les événements auxquels ils participent, et les paris sur des résultats d’épreuves virtuelles seront interdits.

Surtout, ces paris seront autorisés après avoir recueilli l’avis des fédérations sportives concernées sur les catégories d’épreuves à retenir et les types de résultats pertinents, c’est-à-dire non manipulables. Les fédérations sportives connaissent cela et détermineront quels supports de jeu doivent être retenus, en liaison avec l’État.

Les paris hippiques constituent le deuxième ensemble de paris autorisé par le projet de loi, monsieur Ambroise Dupont. Vous savez comme moi que la France, comme de nombreux pays, vit dans la tradition du pari hippique organisé sous la forme mutuelle. L’offre illégale ne concerne d’ailleurs que ce type de paris. En conséquence, le projet de loi n’autorise pas le pari à cote pour les paris hippiques.

Enfin, le troisième ensemble de jeux autorisé concerne le poker. Ce jeu connait un succès absolument phénoménal et représente les trois quarts des sommes misées aujourd’hui sur internet. Le poker fait courir moins de risques d’addiction que les autres jeux de casinos. Il était donc nécessaire de retenir ce jeu, très prisé par les jeunes, si nous voulons que les joueurs choisissent de jouer dans un cadre légal au détriment d’autres jeux que nous poussons dans l’illégalité.

Au-delà du champ de l’ouverture, ce projet de loi permet de réinstaurer un État de droit sur le marché des jeux en ligne : il définit les obligations que les opérateurs légaux devront respecter et il met en place les outils indispensables pour lutter contre ceux qui choisiront de rester dans l’illégalité.

Les opérateurs qui souhaitent accéder au marché français des jeux en ligne devront obtenir un agrément qui leur sera accordé pour une durée de cinq ans renouvelable. Nous ne mettrons pas en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle, en vertu duquel l’opérateur reconnu ou agréé dans un État de l’Union est agréé partout, car la France souhaite pouvoir décider elle-même sur quels critères un opérateur sera autorisé à jouer en France. C’est là un point important. Nous refusons de mettre en œuvre ce principe car nous entendons rester maîtres du jeu chez nous, si vous me permettez l’expression.

Il n’y aura pas, parallèlement, de numerus clausus, l’objectif du projet de loi étant de permettre à tous ceux qui veulent rentrer dans la légalité de le faire, à partir du moment où ils respectent les conditions pour cela. Plus nous aurons d’opérateurs légaux, plus il sera difficile pour les opérateurs illégaux de continuer à proposer une offre sur internet en France.

L’octroi de l’agrément puis le suivi du respect de cet agrément nous ont conduits à proposer la création d’une autorité indépendante, l’autorité de régulation des jeux en ligne, ou ARJEL, qui sera chargée d’attribuer les licences aux opérateurs, de contrôler leurs obligations et de lutter contre l’offre de jeux illégale.

Les licences seront attribuées par l’ARJEL sur la base d’un cahier des charges extrêmement strict, qui reprendra les règles et principes fixés dans la loi, mais aussi dans les décrets que nous prendrons immédiatement après la loi. Ce cahier des charges fixera notamment des règles précises en matière de solidité financière, de moralité des opérateurs, de contrôle de l’identité des joueurs, de protection des mineurs, de promotion d’un jeu responsable, de traçabilité des informations de jeu et des informations financières, de lutte contre le blanchiment d’argent et les paradis fiscaux et de préservation de l’intégrité des compétitions sportives et hippiques. Vous conviendrez avec moi qu’il s’agit là d’obligations lourdes, à même de réguler cette ouverture.

J’ajoute que ces opérateurs feront l’objet d’un contrôle permanent de leurs obligations par l’ARJEL. Ils seront tenus de communiquer en temps réel toutes les données de jeu conservées dans un dispositif technique sécurisé, situé sur le territoire français. En cas de manquement, ils pourront être sanctionnés, et leur agrément pourra être suspendu voire retiré.

Voila pour ce qui est du cadre légal qui va s’imposer aux opérateurs ayant obtenu un agrément.

Parallèlement, un ensemble de dispositions est prévu afin de lutter contre les opérateurs illégaux, c'est-à-dire ceux qui ne respecteront pas les règles fixées par l’État français. Aucun ensemble de dispositions, dans le domaine d’internet, n’est efficace à 100 %. C’est, au fond, la combinaison de ces dispositifs qui permet d’apporter la réponse la plus adaptée.

La première mesure qui va permettre de lutter contre les opérateurs illégaux consiste à autoriser les opérateurs agréés à faire de la publicité et donc à l’interdire pour les opérateurs illégaux. Sur ce type de marché, seuls peuvent survivre les sites dont on parle, c’est-à-dire ceux qui se font connaître. L’absence de publicité est tout simplement mortelle pour les sites illégaux. Cette publicité sera bien sûr encadrée ; elle ne devra pas concerner les mineurs et sera assortie de messages de prévention.

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