Séance en hémicycle du 23 février 2010 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport 2009 sur l’état des lieux de l’emploi scientifique en France, en application de l’article L. 411-2 du code de la recherche.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Il sera disponible au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

J’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques (235, 2009-2010), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyée pour avis, à sa demande, à la commission des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 32 de notre règlement. Je sais d’ailleurs que vous y serez très sensible, compte tenu de votre attachement à la Méditerranée et aux bonnes relations entre le Nord et le Sud.

J’appelle donc votre attention ainsi que celle de M. le ministre sur les conditions dans lesquelles Mlle Najlae Lhimer, élève au lycée professionnel d’Olivet, dans le Loiret, résidant à Châteaurenard, a été expulsée vers le Maroc.

Il apparaît que cette jeune fille est venue exposer aux autorités légitimes – la police et la gendarmerie – qu’elle était victime de violences. Entrée en France avec sa mère alors qu’elle était mineure, elle ne disposait certes pas de titre de séjour. Toutefois, monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez insiste à juste titre sur la nécessité de lutter contre les violences faites aux femmes et prend, toujours à juste titre, des dispositions pour assurer leur protection.

Dans ces conditions, il aurait été à mon sens pleinement justifié que le temps soit pris pour assister Mlle Lhimer et lui apporter la protection nécessaire. Une telle réponse aurait été beaucoup plus appropriée à sa situation que la mesure d’expulsion expéditive qui lui a été infligée.

S’agissant d’une lycéenne, il est étonnant qu’une telle décision ait pu intervenir sans que le proviseur de son lycée ni le maire de sa commune, au sein de laquelle elle œuvrait en tant que bénévole à la médiathèque, aient été consultés. J’ajoute que, tant dans son lycée que dans sa commune, Mlle Lhimer jouit d’une réputation très positive.

Ces différentes considérations me conduisent à solliciter votre intervention, monsieur le ministre, ainsi que celle du président du Sénat. Il ne me paraît en effet pas conforme à l’idée que nous nous faisons de la République française qu’une personne de dix-neuf ans qui vient solliciter de l’aide pour mettre fin aux violences qu’elle subit soit expulsée de manière aussi rapide et sans tenir compte de la situation dans laquelle elle se trouve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je vous donne acte de votre rappel au règlement, monsieur Sueur.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne (projet n° 29, texte de la commission n° 210, rapport n° 209, avis n° 227 et 238).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis aujourd’hui porte sur le sujet difficile et sensible des jeux d’argent et de hasard.

Je voudrais avant tout resituer le contexte. Pourquoi devons-nous légiférer ?

Après tout, nous avons une législation qui organise un marché des jeux – elle date certes du XIXe siècle –, parce que la demande paraît légitime, tout en protégeant l’ordre public et l’ordre social. En somme, la tradition française autorise le jeu en le canalisant à travers un circuit contrôlé. Ces circuits, vous les connaissez tous : il s’agit du pôle des casinos, du pôle des paris hippiques confié au Paris mutuel urbain, le PMU, et du pôle de la loterie d’État confié à la Française des jeux.

Mais cet équilibre, qui a fonctionné pendant plus d’un siècle, est profondément modifié par la présence d’une offre de jeu en ligne qui se développe en dehors de tout cadre légal. Internet, si j’ose dire, a changé la donne, et pas seulement dans ce secteur d’ailleurs. Songez que, chaque jour, 25 000 sites proposent des jeux dans tous les domaines. En France, le montant des mises oscillent ainsi, au minimum, entre 3 milliards et 4 milliards d’euros, avec 5 % de Français joueurs sur internet.

Si nous nous inscrivons dans notre tradition en matière de jeux, ce n’est donc pas la demande qui pose problème, mais bien l’offre pléthorique illégale. Les joueurs n’ont en effet plus nécessairement besoin de se déplacer dans un casino ou de se rendre à un guichet de la Française des jeux ou du PMU. Sur internet, ils peuvent parier, n’importe quand, n’importe comment et sur n’importe quoi.

Cette situation – cette jungle des jeux illégaux en ligne, devrais-je dire – n’est plus tenable. Il est donc de la responsabilité du Gouvernement d’apporter une réponse adaptée. Il est de la responsabilité du Gouvernement de faire respecter l’État de droit et de protéger nos concitoyens.

Face à cette situation, deux attitudes s’affrontent : d’un côté, les partisans de l’interdiction totale, de la prohibition ; de l’autre, ceux qui souhaitent une ouverture du marché des jeux la plus large possible, laissant à chacun le soin de décider s’il joue ou non et, surtout, de quelle manière.

Ces deux attitudes conduisent à une impasse.

La prohibition – certains amendements que nous examinerons tout à l’heure préconisent cette solution – n’a jamais fonctionné, car le jeu fait partie de notre histoire depuis toujours. Elle fonctionnerait d’autant moins s’agissant des jeux sur internet, et ce serait une lutte perdue d’avance, comme la lutte que mènent les pays refusant de s’ouvrir à internet.

D’ailleurs, les pays qui ont fait ce choix n’ont en rien éradiqué l’offre illégale.

Ainsi, en Allemagne, depuis janvier 2008, le chiffre d’affaires des opérateurs légaux a diminué, les parieurs privilégiant les opérateurs illégaux. Aux États-Unis, la réussite est telle que le marché des jeux en ligne illégal a été évalué, en 2007, à quelque 9 milliards d’euros ! On peut donc douter de cette stratégie.

La seconde attitude – la liberté totale – serait irresponsable. L’absence de régulation de l’État conduit à des situations intenables pour les joueurs et leurs familles. Il suffit d’ailleurs d’écouter les professionnels de la santé qui traitent des cas d’addiction – nous les avons beaucoup consultés – pour comprendre les ravages que peut faire le jeu lorsqu’il n’est pas contrôlé.

Entre ces deux solutions, il nous est apparu juste et raisonnable de faire le choix d’une ouverture maîtrisée, adaptée à la problématique d’internet. J’entends dire que cette ouverture nous serait imposée par la Commission européenne ou par une directive. Je veux le répéter ici après l’avoir expliqué en commission : nous n’ouvrons pas le marché des jeux en ligne pour faire plaisir à qui que ce soit, …

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

… ni à tel ou tel opérateur comme j’ai pu le lire ou l’entendre – j’imagine que je l’entendrai encore pendant des années –, ni à la Commission européenne, ni à je ne sais quelle administration.

Nous l’ouvrons pour réguler un marché qui n’est plus régulé ; nous l’ouvrons, car la tradition française en la matière est d’encadrer ce secteur, pas de le regarder se développer sans rien faire, pas de le laisser prospérer sans agir. Nous nous inscrivons donc dans une continuité historique qui vise à adapter notre modèle de régulation des jeux à l’évolution sociologique de ce phénomène.

Je suis convaincu que la réponse la plus adaptée est d’assécher progressivement le marché noir des jeux en ligne en créant une offre légale qui obéira aux règles que vous aurez édictées, et en y associant en complément des outils de lutte contre les sites illégaux, contre l’addiction et pour la protection des mineurs. C’est bien l’addition de tous ces outils qui créera un système de maîtrise puissant. C’est le pari qu’a fait l’Italie, et cela commence à marcher.

Il y a urgence à réinstaurer l’État de droit en la matière. Il y a urgence à fixer les nouvelles règles du jeu pour les opérateurs qui souhaiteront accéder au marché français. Il y a urgence à constituer des mécanismes de contrôle qui trouvent leur origine dans la loi. Chaque jour, de nombreux Français, notamment des mineurs, accèdent à ce marché, à ce type de jeux, sans aucun contrôle.

Toutefois, pour que ces règles s’appliquent, il faut que l’ouverture du marché réussisse, qu’elle soit suffisamment attractive pour les opérateurs souhaitant entrer dans le champ de la légalité, sans pour autant que nos valeurs, les principes de protection de l’ordre public et de l’ordre social soient remis en cause. L’ouverture maîtrisée sera donc une véritable ouverture du marché des jeux en France, mais pas à n’importe quelle condition. Nous ne transigerons pas sur le risque d’addiction des joueurs, le risque pour les mineurs, les risques de fraude et de blanchiment.

C’est la raison pour laquelle le texte dont vous allez débattre repose sur deux piliers indissociables : une offre de jeu sécurisée, contrôlée et régulée ; la mise en œuvre d’un cumul d’obstacles conduisant à assécher le marché illégal.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands principes de ce texte. Permettez-moi, avant d’insister sur quelques points saillants du texte, de remercier les rapporteurs de ce texte avec lesquels nous avons travaillé assidûment, opérant un véritable travail de fond, et tout particulièrement MM. François Trucy et Ambroise Dupont, ainsi que l’ensemble de la commission des finances et son président, M. Jean Arthuis.

Tout d’abord, le champ de l’ouverture sera limité à certains types de paris et jeux : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker.

Pourquoi ceux-là ? Parce qu’il s’agit des jeux et paris qui à la fois présentent les risques d’addiction les moins importants et constituent l’essentiel de la demande sur internet. Par exemple, les machines à sous, qui font courir un risque de dépendance très élevé, ne seront pas autorisées sur internet et demeureront sous le monopole des casinos.

Sous quelle forme peut-on parier ? Cette question a été souvent évoquée.

Les paris sportifs seront autorisés sous la forme mutuelle – les joueurs parient les uns contre les autres –, mais aussi sous la forme du pari à cote, l’opérateur pariant alors contre les joueurs.

Certains amendements visent à supprimer le pari à cote. Mais ce mode de pari représente la quasi-totalité de l’offre, aujourd’hui illégale, en matière de paris sportifs. Si nous ouvrons ce marché sans permettre ce type de pari, cela revient à ne pas ouvrir le marché des paris sportifs. Cela revient à dire aux opérateurs illégaux : puisque nous n’ouvrons pas le marché sur les produits qui sont demandés, continuez à agir dans l’illégalité.

Certains disent que ce type de pari présente des risques importants de tricherie et de fraude. C’est précisément pour prévenir ces risques que le projet de loi prévoit des mesures permettant de prévenir tout excès et tout conflit d’intérêt. Ainsi, les sportifs et les dirigeants de clubs ne pourront pas parier sur les événements auxquels ils participent, et les paris sur des résultats d’épreuves virtuelles seront interdits.

Surtout, ces paris seront autorisés après avoir recueilli l’avis des fédérations sportives concernées sur les catégories d’épreuves à retenir et les types de résultats pertinents, c’est-à-dire non manipulables. Les fédérations sportives connaissent cela et détermineront quels supports de jeu doivent être retenus, en liaison avec l’État.

Les paris hippiques constituent le deuxième ensemble de paris autorisé par le projet de loi, monsieur Ambroise Dupont. Vous savez comme moi que la France, comme de nombreux pays, vit dans la tradition du pari hippique organisé sous la forme mutuelle. L’offre illégale ne concerne d’ailleurs que ce type de paris. En conséquence, le projet de loi n’autorise pas le pari à cote pour les paris hippiques.

Enfin, le troisième ensemble de jeux autorisé concerne le poker. Ce jeu connait un succès absolument phénoménal et représente les trois quarts des sommes misées aujourd’hui sur internet. Le poker fait courir moins de risques d’addiction que les autres jeux de casinos. Il était donc nécessaire de retenir ce jeu, très prisé par les jeunes, si nous voulons que les joueurs choisissent de jouer dans un cadre légal au détriment d’autres jeux que nous poussons dans l’illégalité.

Au-delà du champ de l’ouverture, ce projet de loi permet de réinstaurer un État de droit sur le marché des jeux en ligne : il définit les obligations que les opérateurs légaux devront respecter et il met en place les outils indispensables pour lutter contre ceux qui choisiront de rester dans l’illégalité.

Les opérateurs qui souhaitent accéder au marché français des jeux en ligne devront obtenir un agrément qui leur sera accordé pour une durée de cinq ans renouvelable. Nous ne mettrons pas en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle, en vertu duquel l’opérateur reconnu ou agréé dans un État de l’Union est agréé partout, car la France souhaite pouvoir décider elle-même sur quels critères un opérateur sera autorisé à jouer en France. C’est là un point important. Nous refusons de mettre en œuvre ce principe car nous entendons rester maîtres du jeu chez nous, si vous me permettez l’expression.

Il n’y aura pas, parallèlement, de numerus clausus, l’objectif du projet de loi étant de permettre à tous ceux qui veulent rentrer dans la légalité de le faire, à partir du moment où ils respectent les conditions pour cela. Plus nous aurons d’opérateurs légaux, plus il sera difficile pour les opérateurs illégaux de continuer à proposer une offre sur internet en France.

L’octroi de l’agrément puis le suivi du respect de cet agrément nous ont conduits à proposer la création d’une autorité indépendante, l’autorité de régulation des jeux en ligne, ou ARJEL, qui sera chargée d’attribuer les licences aux opérateurs, de contrôler leurs obligations et de lutter contre l’offre de jeux illégale.

Les licences seront attribuées par l’ARJEL sur la base d’un cahier des charges extrêmement strict, qui reprendra les règles et principes fixés dans la loi, mais aussi dans les décrets que nous prendrons immédiatement après la loi. Ce cahier des charges fixera notamment des règles précises en matière de solidité financière, de moralité des opérateurs, de contrôle de l’identité des joueurs, de protection des mineurs, de promotion d’un jeu responsable, de traçabilité des informations de jeu et des informations financières, de lutte contre le blanchiment d’argent et les paradis fiscaux et de préservation de l’intégrité des compétitions sportives et hippiques. Vous conviendrez avec moi qu’il s’agit là d’obligations lourdes, à même de réguler cette ouverture.

J’ajoute que ces opérateurs feront l’objet d’un contrôle permanent de leurs obligations par l’ARJEL. Ils seront tenus de communiquer en temps réel toutes les données de jeu conservées dans un dispositif technique sécurisé, situé sur le territoire français. En cas de manquement, ils pourront être sanctionnés, et leur agrément pourra être suspendu voire retiré.

Voila pour ce qui est du cadre légal qui va s’imposer aux opérateurs ayant obtenu un agrément.

Parallèlement, un ensemble de dispositions est prévu afin de lutter contre les opérateurs illégaux, c'est-à-dire ceux qui ne respecteront pas les règles fixées par l’État français. Aucun ensemble de dispositions, dans le domaine d’internet, n’est efficace à 100 %. C’est, au fond, la combinaison de ces dispositifs qui permet d’apporter la réponse la plus adaptée.

La première mesure qui va permettre de lutter contre les opérateurs illégaux consiste à autoriser les opérateurs agréés à faire de la publicité et donc à l’interdire pour les opérateurs illégaux. Sur ce type de marché, seuls peuvent survivre les sites dont on parle, c’est-à-dire ceux qui se font connaître. L’absence de publicité est tout simplement mortelle pour les sites illégaux. Cette publicité sera bien sûr encadrée ; elle ne devra pas concerner les mineurs et sera assortie de messages de prévention.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ou CSA, et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, ou ARPP, qui vient de se doter d’un code de déontologie et de bonnes pratiques adapté au secteur des jeux.

À cela vont s’ajouter plusieurs outils de lutte contre les sites illégaux. Ainsi, un site illégal qui n’obtempérera pas après mise en demeure par l’ARJEL pourra par exemple être bloqué sur injonction du juge.

En outre, les transactions financières entre les banques françaises des joueurs et les sites illégaux pourront faire l’objet d’un blocage.

Ensuite, des « cyber-patrouilleurs » – issus, par exemple, des services douaniers mais également de la police – seront habilités à aller sur les sites illégaux pour constater des infractions.

Par ailleurs, des amendes lourdes pourront être décidées à l’encontre des diffuseurs de publicité pour des sites illégaux.

Ainsi, un opérateur illégal, qui verra son site et les transactions financières avec les joueurs bloqués, et qui sera dans l’incapacité de se faire connaître, ne pourra subsister face à des opérateurs agréés ayant acquis la confiance des joueurs et respectant les règles fixées par l’État français.

S’agissant des opérateurs illégaux qui sont aujourd’hui actifs en France et qui souhaitent obtenir une licence dans notre pays, ils ne pourront bénéficier de l’avance qu’ils auraient pu prendre depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. La question qui se pose est de savoir si un opérateur peut tirer parti d’une précédente installation illégale en France.

Ces opérateurs, qui sont nombreux, seront obligés de remettre à zéro leurs compteurs : ainsi, ils ne pourront pas transférer les comptes ouverts dans l’illégalité, et qui fonctionnent aujourd’hui, sur un site qui aurait obtenu l’agrément. Ils devront repartir de zéro et entreprendre à nouveau la démarche commerciale.

Sur proposition du rapporteur, M. François Trucy, le texte a été renforcé en commission des finances : il prévoit des peines spécifiques, allant jusqu’au retrait de l’agrément, pour l’activité illégale d’un opérateur après l’entrée en vigueur du texte. Il reviendra au juge de prononcer cette sanction, de sorte qu’elle soit juridiquement solide. Je partage bien évidemment cette ambition de M. le rapporteur de lutter contre les opérateurs illégaux.

Si nous faisons tout cela, les opérateurs légaux vont assécher le marché illégal. Mais ce n’est pas suffisant. En effet, l’ouverture prévue ne peut se faire qu’à la condition que soient respectées la lutte contre l’addiction, la protection des mineurs et l’éthique des compétitions sportives.

Sur ce sujet, le rapporteur de la commission des finances, M. François Trucy, a fait adopter un amendement fondamental pour établir enfin un comité consultatif des jeux portant sur l’ensemble du secteur des jeux en France.

La lutte contre la dépendance aux jeux est en effet un défi majeur. De l’avis même des professionnels de la lutte contre l’addiction – j’en ai rencontré beaucoup, comme vous, j’imagine –, le texte constitue une véritable avancée en matière de prévention et de soins.

Je citerai quelques exemples.

Pour la première fois, le taux de retour aux joueurs, ou TRJ, sera plafonné. Le plafonnement du TRJ, qui est nécessaire pour lutter contre le blanchiment – le blanchiment présente en effet moins d’intérêt lorsque le TRJ est faible –, constitue un frein au jeu et permet donc de limiter la dépendance.

Les opérateurs de jeux devront mettre en place sur leurs sites un ensemble de modérateurs de jeu. Ces modérateurs doivent permettre de limiter le temps passé à jouer, d’informer les joueurs sur leurs pertes réelles ou potentielles et de détecter les joueurs à problème.

L’effort public pour la connaissance, la prévention et le traitement de la dépendance aux jeux sera renforcé. En particulier, une partie des recettes sociales sera destinée au financement de la lutte contre l’addiction aux jeux, au financement de la prévention via un retour à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, et enfin au financement des soins, comme le rappellent les amendements de M. About.

Le texte prévoit aussi d’améliorer la protection de l’éthique des compétitions sportives. En effet, il met un terme à une situation qui n’est ni régulée ni contrôlée. Les paris légaux ne pourront porter que sur des compétitions et des types de résultats déterminés après avis des fédérations sportives et non, comme c’est le cas aujourd’hui, sans que ces dernières aient jamais leur mot à dire.

Ce texte permet la mise en place, grâce au droit de propriété, de liens privilégiés entre le monde du sport et celui des opérateurs de paris, afin d’exclure toute épreuve ou pratique à risque.

Il vise à marginaliser les opérateurs illégaux, et donc à faire porter les enjeux financiers des paris sur des opérateurs agréés, contrôlés, qui ont tout intérêt à lutter contre les types de pratiques qui pourraient nuire à leur réputation.

Il permet de protéger les joueurs français, qui peuvent aujourd’hui prendre des paris sur des sites appartenant à des réseaux mafieux et où ils ne peuvent être que victimes d’escroqueries. Enfin, le texte prévoit divers dispositifs pour empêcher l’accès des mineurs aux sites de jeux, pour éviter qu’ils ne soient en contact avec des publicités.

Enfin, cette ouverture ne pourrait avoir lieu si la fiscalité n’était pas à la fois compétitive – autrement dit si elle n’empêchait pas le jeu illégal de devenir légal – et soucieuse de préserver les intérêts financiers de l’État. Ce sont deux impératifs, deux contraintes qu’il est difficile de concilier. En effet, selon la règle de droit, les taux doivent être les mêmes par catégorie de jeux ou paris, qu’ils soient mis à disposition des joueurs dans le réseau physique ou sur internet.

Concrètement, cela signifie que, lorsque nous baissons le niveau de fiscalité pour les jeux et paris qui seront diffusés sur internet, nous devons faire de même pour ceux qui sont diffusés par le PMU – chez les buralistes, par exemple –, ou par la Française des Jeux dans le réseau physique, ce qui peut mécaniquement entraîner une perte de recettes pour l’État.

Le projet qui vous est soumis fixe un point d’équilibre, sur lequel nous avons beaucoup travaillé et échangé – bien sûr, c’est non pas une vérité absolue, mais une sensibilité – entre les deux objectifs suivants : garantir des recettes pour l’État et permettre à la maîtrise ouverte des jeux de fonctionner. Nous avons fixé ce taux à 7, 5 % des mises pour les paris sportifs et hippiques, et à 2 % des mises pour le poker, avec un plafond fixé à 1 euro par donne.

Avec cette fiscalité, nous pensons être en mesure de préserver les recettes de l’État, la baisse des taux étant en fait compensée par la hausse de l’assiette, c’est-à-dire l’augmentation du volume de paris. J’attire cependant votre attention sur le fait qu’il serait très dangereux pour le budget de l’État de modifier cet équilibre. Nous pourrons certes travailler à nouveau sur cet équilibre une fois qu’il sera entré en vigueur, mais il n’en reste pas moins un équilibre finement pesé.

Le projet de loi prévoit, en outre, un retour financier vers le monde du sport : vers le sport professionnel d’abord, qui bénéficiera en particulier de recettes de sponsoring – cette mesure est attendue avec impatience, c’est le moins que l’on puisse dire –, vers le sport amateur et de haut niveau ensuite, qui profitera d’un retour par l’intermédiaire d’un prélèvement sur les paris sportifs affecté au Centre national pour le développement du sport, le CNDS.

Le CNDS conservera naturellement la part de 1, 8 % sur les activités de loterie et de grattage qui lui rapporte déjà 163 millions d’euros par an. Il bénéficiera aussi d’un prélèvement de 1, 3 % en 2010, de 1, 5 % en 2011 et de 1, 8 % en 2012 sur les jeux sur internet, mais celui-ci ne sera plus plafonné, comme c’était le cas jusqu’à présent.

En ce qui concerne les paris hippiques, les opérateurs devront contribuer au financement de la filière hippique – j’en ai pris l’engagement –, filière qui représente plus de 60 000 emplois dans l’ensemble de notre territoire et joue un rôle considérable en termes d’emploi mais aussi d’aménagement du territoire.

Le texte donne aux sociétés mères de courses une mission de service public, qui sera financée par une taxe affectée portant sur les sommes engagées par les parieurs sur les paris hippiques en ligne. Son taux, en lien avec le coût des missions de service public des sociétés mères, ne pourra être inférieur à 7, 5 % et supérieur à 9 % – nous avons gardé une marge de manœuvre, afin de pouvoir travailler dans le cadre de cette fourchette. Nous pourrons ainsi sortir de la situation actuelle, dans laquelle les sociétés de courses voient se multiplier des paris illégaux pour lesquels elles n’ont aucun retour financier.

Je ne saurais être exhaustif sans évoquer le patrimoine monumental, qui bénéficiera également d’un retour financier dans le cadre de ce projet de loi…

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

… par l’affectation d’une partie des recettes fiscales prélevées sur le poker en ligne. Ce versement, plafonné à 10 millions d’euros, sera attribué au Centre des monuments nationaux.

Je voudrais, pour finir, vous faire part de ma conviction concernant les délais. Notre calendrier d’ouverture – les experts que vous êtes le savent –, est terriblement tendu, …

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

… mais il est tenable. Le Gouvernement souhaite ouvrir dans les conditions définies par le texte, qui sont, je le répète, respectueuses de l’ordre public et social, compétitives pour qu’une offre légale puisse prospérer au détriment d’une offre illégale.

Certains d’entre vous ont souhaité déposer des amendements permettant d’envisager des autorisations temporaires. C’est, à mon sens, un danger majeur que le Gouvernement ne peut pas accepter : on accorderait alors à des opérateurs la possibilité d’exercer en raison d’un agrément qu’ils auraient obtenu dans un pays de la Communauté européenne. Ce serait justement mettre en œuvre un principe de reconnaissance mutuelle que nous avons voulu éviter. On accorderait à des opérateurs, sans aucune vérification, la possibilité d’exercer leur activité ; cela ne me semble pas raisonnable, et ce serait contraire à notre texte !

Nous devons donc faire en sorte que ce texte soit opérationnel le plus rapidement possible, en particulier avant la Coupe du monde de football, qui est un marqueur très important dans ce domaine.

Je vous le redis solennellement : il n’y a qu’une seule façon d’ouvrir ce marché, c’est d’adopter des règles strictes, celles qui sont aujourd'hui définies dans ce texte, enrichi par l’adoption d’amendements qui ont, pour certains, reçu l’approbation du Gouvernement.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi que vous allez examiner est particulièrement important non seulement en ce qu’il traite d’une ouverture du marché des jeux en ligne, mais aussi parce qu’il règle de très nombreux problèmes intéressant tous les jeux de hasard et d’argent, problèmes qui attendaient depuis longtemps les solutions adéquates.

Il est important aussi parce qu’il légifère directement et vigoureusement sur un phénomène de société parmi les plus forts qui soient : le jeu, c’est-à-dire une activité pas comme les autres, un service pas comme les autres.

Permettez-moi en premier lieu de faire devant vous comme les étudiants respectueux que nous étions au moment de défendre notre thèse : remercier nos maîtres. Je tiens ainsi à remercier Alain Lambert pour m’avoir, il y a dix ans, précipité dans cette curieuse marmite des jeux, le président de la commission des finances, Jean Arthuis, qui me soutient au cœur d’un rapport qui ne saurait convenir à tous – c’est un euphémisme –, sans oublier le rapporteur général de la commission des finances, Philippe Marini, qui me surveille avec attention quand j’approche de trop près à son goût des champs de courses et des intérêts de la sacro-sainte filière « cheval ».

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Si nos concitoyens ne sont pas les plus joueurs du monde, ni même les plus joueurs d’Europe, chacun sait cependant que plus d’un Français sur deux joue à quelque chose et qu’il joue chaque jour davantage. Et tout laisse penser que cette tendance s’accentuera compte tenu de l’environnement et d’une offre de jeux toujours plus proche, toujours plus pressante.

Prenez la mesure, mes chers collègues, des désastres sociaux et personnels que l’addiction au jeu provoque chez les individus les plus fragiles, pour qui le jeu a cessé d’être un simple divertissement pour devenir une passion ruineuse et destructrice. La prohibition n’étant jamais la solution, le devoir de l’État était donc de réguler ce marché, de le réglementer, d’y faire la police, mais aussi de mettre en place une prévention efficace, de lutter contre l’addiction, de secourir et de soigner les accidentés du jeu qui sont de plus en plus nombreux.

Le projet de loi s’attaque à ces problèmes sociaux avec la même détermination qu’il s’emploie à réguler le marché lui-même, à encadrer les jeux, les paris et le poker en ligne sur internet, qui, à eux seuls, constituent une véritable révolution pour ce monde jusqu’ici bien réglé avec ses monopoles – la Française des jeux et le PMU – et ses casinos tellement réglementés et surveillés qu’ils donnent l’impression d’un quasi-monopole.

Il faut le dire, si l’État, qu’il soit rose ou bleu, est parvenu jusqu’à présent à remplir correctement ses devoirs en matière d’ordre public et de sécurité publique, il n’en est pas de même pour ce qui touche à la santé publique. Dans ce domaine sensible, nous sommes consternés par l’absence quasi totale de recherches et de travaux publics, par une prise en compte officielle de l’addiction au jeu vraiment trop molle et par l’insuffisance des soutiens de l’État aux spécialistes et aux praticiens de cette addiction sans drogue.

Mes chers collègues, il vous appartient d’apprécier si ce texte est susceptible, dans ce domaine, de changer les choses d’une manière significative. Votre rapporteur le pense sincèrement, mais c’est à vous d’en juger.

C’est faire un mauvais procès au Gouvernement que de prétendre qu’il nous présente ce projet de loi parce que, pendant des années, il a croisé le fer avec la Commission européenne qui voulait voir la France abolir tous ses monopoles et ouvrir le marché des jeux à double battant.

Si l’État a rencontré des difficultés pour convaincre la Commission que la gouvernance française des jeux d’argent répondait à des nécessités d’ordre public et à la protection de filières économiques vitales, ce n’est pas cela qui le motive aujourd’hui pour nous faire légiférer.

Une lecture exigeante mais honnête et scrupuleuse du texte vous permettra de conclure que celui-ci répond à l’ensemble des problèmes posés.

Il répond aussi, toujours selon mon point de vue et celui de la commission des finances, à l’objectif majeur qui est de mettre un terme au développement du marché illégal des jeux en ligne.

Ce marché illégal s’est installé parce que les autorités bruxelloises, en France comme ailleurs en Europe, n’ont pas mis en place les règlements permettant, sinon de contenir internet et ses services, du moins de faire en sorte que ceux-ci respectent les règles de sécurité et de santé publiques auxquels les États membres sont légitimement attachés, mais aussi certains intérêts économiques majeurs.

Le projet de loi qui vous est présenté vise donc à organiser le marché des jeux en ligne en agréant certains opérateurs par l’intermédiaire d’une autorité administrative indépendante, la future autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, à condition que ceux-ci s’engagent à respecter un nombre important d’obligations du cahier des charges de cette autorité.

Examinez bien, une à une, ces obligations : elles répondent de manière satisfaisante à toutes vos questions et à toutes vos craintes face à ces nouveautés.

Je citerai la protection des mineurs, l’interdiction de la publicité à leur endroit, la lutte contre l’addiction dans la publicité commerciale. Sur les sites eux-mêmes, des modérateurs de jeux, un numéro spécifique direct d’aide aux joueurs en détresse, l’intervention des organismes d’assistance et de soins sont prévus.

Le contrôle strict des opérateurs agréés sera effectué en continu comme seront conduites les poursuites et les sanctions de tous les opérateurs qui resteront dans l’illégalité ou viendraient à y opérer, et ce pour éviter que la concurrence des sites illégaux – ils ne subissent aucune contrainte et n’acquittent aucune taxe – ne parvienne à « tuer » les opérateurs légaux.

Le projet de loi vise à préserver les ressources de l’État, mais aussi celles de la filière hippique française, habituée depuis toujours à recevoir du monopole que possédait le PMU une aide financière considérable sur laquelle comptent le groupement d’intérêt économique, le GIE, les sociétés hippiques et les quelque 70 000 – ou 90 000 – emplois de cet important secteur économique. Je cite ces deux chiffres car M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture et moi-même avons un différend sur ce point. Mais il s’agit sans doute de 70 000 emplois directs et de 90 000 emplois directs et indirects, et vous pourrez peut-être nous confirmer ces données, monsieur le ministre.

Le projet de loi préserve et améliore aussi les ressources drainées vers le sport amateur et le Centre national pour le développement du sport qui les administre.

Il crée pour les sports professionnels un droit au pari sportif que négocieront entre eux, sous le contrôle de l’ARJEL, les organisateurs sportifs et les opérateurs.

Il existe d’autres bénéficiaires des prélèvements effectués sur les jeux dont vous serez amenés à débattre au cours de l’examen du texte, je n’en doute pas. Chacun d’eux a son intérêt pour notre société ; chacun d’eux défend durement ses intérêts. Nul doute que l’examen des articles du volet fiscal du projet de loi sera pour nous difficile, ardu, car le texte est complexe. Avez-vous déjà vu un texte fiscal qui ne le soit pas ? Moi, jamais !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

L’examen de cette partie du projet de loi vous réserve toutefois d’autres difficultés. Nous serons conduits à discuter de plusieurs amendements qui peuvent, au premier abord, paraître anodins et avoir une faible incidence. Mais ne vous y trompez pas : certains amendements peuvent avoir des conséquences considérables, en déséquilibrant l’ensemble, en créant ou en aggravant des distorsions de concurrence entre les opérateurs, ce qui rendrait la loi elle-même attaquable, inopérante et vouée à l’échec.

Oui, le projet de loi sur lequel vous allez vous prononcer est difficile ! Oui, il est réaliste face aux turbulences d’un marché illégal désastreux pour tous.

Je ne vous dis pas comme un illustre personnage : « Faute de pouvoir nous opposer à ces manifestations, feignons de les conduire ! » Je vous dis au contraire que l’État se devait de réagir, d’adopter une stratégie de raison et de rigueur et de se montrer sévère contre les contrevenants.

Ce projet de loi est également humain, très humain. Il se préoccupe enfin des mineurs et des personnes fragiles. Il prévoit des financements inédits pour l’INPES et les régimes d’assurance maladie. Pour la première fois, l’État se préoccupe officiellement de l’addiction et des victimes de cette dernière.

Mes chers collègues, j’ai gardé pour la fin de mon propos une raison supplémentaire pour la commission des finances de soutenir ce projet de loi : monsieur le ministre, vous avez accepté la création d’un comité consultatif des jeux, que nous réclamions avec instance et depuis longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Ainsi, les sept ministères en charge des jeux, les parlementaires, les maires pourront travailler ensemble. Le Parlement ne sera plus le « croupion » du jeu. L’Observatoire des jeux rassemblera les nombreuses personnes qualifiées qui sont indispensables pour leur compétence. Les études seront engagées, exploitées. L’État sera conseillé utilement. Quelle avancée !

Telles sont, mes chers collègues, les raisons les plus significatives qui ont conduit la commission des finances à approuver ce texte. À vous d’en juger !

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Balzac place l’ouverture de La Peau de chagrin sous les auspices de « la loi qui protège une passion essentiellement imposable », celle du jeu. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui confirme le jugement de l’auteur de La Comédie humaine.

La loi autorise le jeu pour pouvoir mieux le taxer. J’irai même plus loin : en matière de jeux de hasard et d’argent, la taxation est un moyen de moralisation ; elle permet de limiter les effets néfastes d’une pratique qui dépasse trop souvent le simple divertissement.

Chacun sait que les jeux de hasard et d’argent sont porteurs de risques sanitaires et sociaux. Rembourser des dettes de jeu contractées en quelques jours ou en quelques semaines peut parfois prendre des années, avec des conséquences personnelles et familiales très graves. Le jeu peut aussi devenir une passion durable, exclusive, voire pathologique et nécessitant une prise en charge médicale.

Une difficulté importante obère cependant l’approche sanitaire et sociale des jeux de hasard et d’argent. Bien que les premiers diagnostics cliniques de « manie », d’« assuétude » ou, comme l’on dit maintenant, d’« addiction » aient été portés dès la fin du xixe siècle, on ignore encore le nombre de personnes touchées, en France, par le jeu dit « problématique », c’est-à-dire par le jeu excessif ou pathologique.

À la suite des deux rapports d’information de notre collègue François Trucy sur les jeux d’argent en France, qui dénonçaient notamment ce défaut de connaissances, une expertise collective a été commandée à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, par M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé. Elle a été rendue en juillet 2008 et constitue un outil fondamental pour comprendre les enjeux sanitaires liés aux jeux de hasard et d’argent. Néanmoins, elle n’apporte aucune connaissance en matière d’épidémiologie.

Une étude de ce type a bien été confiée à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, mais elle n’aboutira qu’en 2011… Nous sommes donc toujours dans l’incapacité de savoir si le phénomène augmente ou s’il touche des catégories particulières de population. Seules la pratique des associations comme SOS Joueurs ou les comparaisons internationales nous permettent d’estimer que 1 % de la population est concernée par le jeu pathologique.

C’est donc avec une particulière prudence qu’il nous faut aborder le présent projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Il convient tout d’abord de nous défier de l’idée que les jeux en ligne seraient un domaine en quelque sorte « à part » et que les questions sanitaires et sociales qu’ils posent ne seraient pas les mêmes que pour les jeux légaux existants. Cette idée est fausse tant du point de vue social que du point de vue de la santé.

Pour les enjeux sociaux, il faut souligner que les opérateurs historiques, au premier rang desquels figurent la Française des jeux et le PMU, seront aussi opérateurs en ligne et qu’ils profiteront de ce texte pour diversifier leur activité. Ainsi le PMU a-t-il annoncé son intention de se lancer dans le pari sportif.

Cette évolution va bouleverser le panorama du jeu tel que nous le connaissons. En effet, depuis 1933, il existe une répartition claire entre formes de jeu et distribution des revenus du jeu. Les produits des jeux publics, accessibles à tous, y compris à ceux qui disposent de revenus modestes, doivent financer des projets publics, ce qui justifie qu’ils soient organisés sous la forme d’un monopole d’État. Le jeu privé, organisé dans des casinos dont l’implantation est autorisée au cas par cas et s’adressant à un segment de population que l’on suppose, peut-être à tort, plus fortuné, peut être une simple activité commerciale.

Que l’argent du plus grand nombre retourne au plus grand nombre par l’intermédiaire de l’État, c’est là un principe qui nous semble sain. Or ce principe sera en quelque sorte mis à mal par l’ouverture du jeu sur internet. On ne peut plus parler de jeu dans un cercle privé ou limité dès lors qu’il suffira de disposer d’un ordinateur pour participer à un jeu de poker ou pour jouer aux machines à sous.

Les opérateurs privés sont donc désormais en mesure d’atteindre la masse des joueurs à faibles revenus. J’emploie le présent, car les jeux sur internet sont déjà, de fait, un secteur ouvert. Il est donc illusoire d’espérer interdire l’implantation des opérateurs privés. Au mieux pourra-t-on, grâce à ce projet de loi, essayer de les réguler.

Du point de vue de la santé, l’influence du jeu en ligne sur notre approche actuelle du jeu se fera également sentir. Si l’on se réfère à l’exemple américain, tout porte à croire que le poids économique des jeux en ligne atteindra très rapidement celui des jeux actuels, ce qui signifie concrètement que c’est sur le modèle des jeux en ligne qu’évolueront les autres.

Or les jeux en ligne sont, pour la grande majorité d’entre eux, des jeux d’émotion, dont l’attraction repose sur les sensations fortes qu’ils procurent, dans l’immédiateté, sur le modèle des machines à sous, par opposition aux jeux de rêve comme le loto. Ils sont susceptibles de créer le plus de phénomènes d’addiction et sont donc particulièrement dangereux pour la santé mentale.

Face à ce danger, le projet de loi prévoit deux types de limites. Le premier type correspond aux interdictions classiques, ici réaffirmées : interdiction de jeu des mineurs, même émancipés, interdiction du jeu à crédit, interdiction des personnes signalées, sur le modèle des interdits de casinos, et possibilité de s’auto-interdire. Le second type de limites relève de ce que l’on appelle le « jeu responsable ». Il s’agit d’obligations incombant aux opérateurs, obligations élaborées sur la base des pratiques qui se sont développées de manière assez empirique ces dernières années.

En 1996 a ainsi été mis en place le comité consultatif pour l’encadrement des jeux et du jeu responsable, le COJER, présidé par Hélène Gisserot, mais dont les compétences se limitent à la seule Française des jeux. À la même époque, le PMU s’est lui aussi engagé dans une politique de prévention du jeu dit « problématique ».

Cependant, à côté d’un engagement réel des opérateurs publics pour limiter les effets néfastes des produits qu’ils diffusent, il existe aussi des pratiques plus contestables, car non évaluées : elles risquent, il faut le savoir, de servir d’alibi plus que de véritable outil de prévention.

Le projet de loi oblige ainsi chaque opérateur à ouvrir un compte à chacun de ses clients et à y faire apparaître en continu les gains et les pertes réelles, c’est-à-dire cumulées. À partir de ces comptes sont également mis en place des dispositifs de détection du jeu pathologique donnant lieu, le cas échéant, à l’envoi de messages d’alerte et permettant d’accéder à des services de conseil et d’orientation téléphoniques. Cependant, en l’absence actuelle de critères d’évaluation de ces dispositifs, la prudence est ici de mise.

Le texte adopté par la commission des finances apporte, dans le champ de la santé, des précisions bienvenues.

Tout d’abord, le projet de loi crée une instance, le comité consultatif des jeux, dont les compétences s’étendent à l’ensemble des jeux, en ligne ou non, et auquel le COJER sera intégré. Cela signifie que les problématiques sociales et sanitaires seront prises en compte dans le contrôle des jeux, avec une vision d’ensemble. Le contrôle des dispositifs de prévention mis en place par les opérateurs, notamment, sera donc confié à ce comité.

Par ailleurs, plusieurs précisions ont été apportées au dispositif voté par l’Assemblée nationale en matière de protection des personnes fragiles.

Il a cependant semblé à la commission des affaires sociales qu’il fallait aller plus loin. À cette fin, je vous présenterai des amendements tendant à clarifier certaines dispositions et à augmenter le nombre de freins institutionnels à la pulsion de jouer, de tels freins étant particulièrement efficaces.

Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics, la nécessité pour les fumeurs de sortir de la salle de jeu des casinos pour fumer une cigarette a fait baisser le chiffre d’affaires de ces établissements de près de 30 %. Rompre, ne serait-ce qu’un moment, l’emprise du jeu suffit souvent à permettre le retour de la réflexion et à retrouver un comportement plus sensé.

Si certaines des mesures que je vous propose paraissent lourdes à mettre en place, si l’on en croit le ministère du budget ou les opérateurs, elles sont cependant proportionnées, me semble-t-il, au bouleversement du monde du jeu que la mise en œuvre de ce projet de loi va entraîner.

En conclusion, les jeux de hasard et d’argent ne sont pas des loisirs comme les autres. Ils ne doivent donc pas être traités comme tels.

Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Ambroise Dupont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous abordons l’examen suscite inquiétude et incertitude chez les parlementaires, mais également chez nombre de nos concitoyens.

Je ne reviendrai pas ici sur l’ensemble des dispositions de ce projet de loi, les excellents rapporteurs l’ayant déjà fait.

Fallait-il légiférer, monsieur le ministre ? Il me semble que oui. Dès lors que le débat était lancé, il n’était plus possible d’ignorer ce qui se passe dans ce domaine et à notre époque : je veux parler des possibilités offertes par internet, ainsi que des risques qui y sont indissociablement liés.

Fallait-il légiférer maintenant ? Oui, également. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de vous le dire, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des finances. Le calendrier sportif imposait de légiférer – personne n’en doute – avant qu’il ne soit trop tard. Mais ce calendrier reste très difficile, et nous devons avoir conscience du fait que nous jouons un jeu dangereux, sans filet. Un grain de sable suffirait pour perturber l’horlogerie législative et réglementaire et pour mettre en péril toute régulation crédible et pérenne du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

L’Assemblée nationale et notre excellent rapporteur, M. François Trucy, ont effectué un travail très approfondi, dont on peut les féliciter. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur de l’attention qu’il a accordée à mes amendements et des réponses qu’il y apportera.

La commission de la culture, quant à elle, s’est penchée principalement sur deux aspects de ce projet de loi : l’éthique du sport, d’une part, et les conséquences de la fin du monopole du PMU sur la filière équine, d’autre part, filière dont tout un chacun sur ces travées, et dans ma région, connaît l’importance.

Notre souci est d’assurer la pérennité de la filière équine, qui représente près de 90 000 emplois directs et indirects – M. le rapporteur l’a dit, nos chiffres divergent –, répartis sur l’ensemble du territoire français et – c’est mon côté agricole – sur de nombreux hectares agricoles sans droit à produire. C’est pourquoi nous avons proposé de différencier la fiscalité sur le pari hippique et celle sur le pari sportif. J’ai conscience des problèmes que poserait une telle différenciation. Néanmoins, aucune raison ne me semble justifier l’alignement de ces fiscalités, alignement qui rendrait plus difficile leur pilotage différencié à l’avenir. Une réduction de la taxation des paris hippiques permettrait à ces derniers de rester concurrentiels par rapport aux paris sportifs. Le différentiel de prélèvement, lié à l’importance de la redevance en faveur de la filière équine, se répercute en effet sur les taux de retour au joueur, ce qui risque d’inciter les adeptes du pari hippique à s’orienter vers le pari sportif et, par contrecoup, d’assécher les ressources de la filière équine – à moyen terme sans doute, mais il ne faut pas négliger ce risque.

Par ailleurs, soucieuse de l’éthique du sport, la commission de la culture souhaite, dans la droite ligne des travaux qu’elle mène depuis plusieurs années, le renforcement des moyens consacrés à la lutte contre le dopage. L’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, a clairement besoin d’une ressource propre. Le Gouvernement, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2010, avait d’ailleurs souhaité affecter, dans la limite de 4 millions d’euros, la contribution sur la cession à un service de télévision des droits de diffusion de manifestations ou de compétitions sportives, dite « taxe Buffet ».

Très favorable au principe d’une taxe affectée, qui renforçait l’indépendance de l’AFLD et la pérennité de son financement, le Sénat avait toutefois supprimé cette disposition afin de prendre en compte les difficultés du sport professionnel, notamment après la suppression du dispositif du droit à l’image collective. La commission de la culture considère qu’un prélèvement sur les mises des paris sportifs, à hauteur de 0, 3 % et dans la même limite de 4 millions d’euros, constituerait une excellente alternative.

Enfin, la commission de la culture proposera plusieurs amendements visant à renforcer l’indépendance et les pouvoirs de l’autorité de régulation des jeux en ligne. L’octroi de la personnalité morale lui permettrait, sur le modèle de l’Autorité des marchés financiers, de gagner une pleine capacité juridique et d’asseoir sa crédibilité vis-à-vis des opérateurs. J’ajoute que cette position est conforme à la doctrine élaborée depuis quelques années par la commission de la culture, ce qui l’a conduite à soutenir l’octroi de la personnalité morale à l’Agence française de lutte contre le dopage et à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, la HADOPI.

Mes chers collègues, la commission de la culture a accompli un travail sérieux et approfondi, guidé par le double souci de préserver la filière équine, essentielle en termes d’aménagement du territoire, et l’éthique sportive. J’espère que le texte final que nous adopterons portera sa marque, tout en conservant – j’y serai très attentif, monsieur le ministre – les grands équilibres de votre projet de loi.

Sous réserve de l’adoption des amendements que je vous présenterai, la commission de la culture est favorable à l’adoption du projet de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays n’est pas celui où la pratique du jeu est la plus répandue. En effet, les Français ne sont pas de gros consommateurs de paris, la moyenne des enjeux en France étant, au moins officiellement, inférieure à celle que l’on observe dans les pays de l’Union européenne, en particulier en Grande-Bretagne où l’on parie à peu près sur tout.

Sans entrer dans la logique qui prête aux joueurs bien des travers psychologiques et bien des défauts, il convient de rappeler tout d’abord où nous nous situons.

Le jeu est dans notre pays une activité fortement réglementée, reposant, d’une part, sur un régime de droits exclusifs, pour ce qui est des courses hippiques, des loteries et des paris sportifs, et, d’autre part, sur un régime d’interdiction qui connaît toutefois quelques dérogations pour ce qui est des jeux de hasard avec mise en numéraire.

Ces régimes seraient à la fois notre force et notre faiblesse, à en croire certains. En effet, nous ne serions pas tout à fait à la page pour ce qui est du développement des jeux dits « virtuels », la seule réalité matérielle de ceux-ci résidant dans les mouvements financiers qu’ils impliquent.

Ils seraient notre force, car, avec le Pari mutuel urbain, nous disposons d’un outil et d’un système de financement et d’organisation des courses hippiques qui a permis à la fois le maintien d’une activité importante et l’existence d’une filière cohérente de l’élevage équin. Cette filière est un atout économique dans nombre de régions et fait notamment de la France la référence en matière de préservation et de reproduction des espèces et des races chevalines.

Il y a ainsi tout lieu de penser que, sans l’existence du système mutuel, nous aurions probablement abandonné l’élevage de certaines races de chevaux de trait et il est fort probable que la plus grande partie des hippodromes de province auraient fermé leurs portes.

D’ailleurs, la situation de monopole dont dispose le PMU sur la gestion concrète des paris et des enjeux a conduit à une réalité très simple. Comme vous l’avez d’ailleurs vous-même souligné dans quelques-uns des rapports d’information que vous avez pu produire au cours de ces dernières années, monsieur le rapporteur, nous avons en France autant d’hippodromes que l’ensemble des autres pays de l’Union européenne et chacun de ces champs de courses est à l’origine d’une microfilière économique dans son environnement immédiat.

La force du PMU est donc d’être un système mutualiste, où l’on a proscrit le pari à cote fixe - là où le joueur joue contre l’organisateur -, et un système désintéressé, puisque le PMU est un groupement d’intérêts économiques associant l’ensemble des sociétés d’élevage, sans autre but lucratif que celui de dégager les moyens de permettre la préservation et le développement de la race chevaline.

Au chapitre des loteries, nous sommes dotés depuis une bonne trentaine d’années de la Française des jeux, qui, en s’appuyant sur la Loterie nationale, a développé ensuite le Loto et, surtout, une grande quantité de jeux de loterie instantanée dont la diffusion est largement facilitée par la multiplicité des points de vente existants.

Pour ne pas oublier un segment de clientèle potentielle, on a également créé le Loto sportif, c'est-à-dire des paris sur des compétitions sportives. Il constitue la seule exception à la prohibition des paris à cote dans le paysage des droits exclusifs d’exploitation de jeux d’argent.

D’ailleurs, il y a fort peu à parier que la clientèle du PMU soit la même que celle de la Française des jeux. D’évidence, le Loto sportif, en particulier, malgré sa part somme toute réduite dans les activités de la Française des jeux, intéresse une clientèle plus jeune que celle des courses hippiques.

La volonté de produire ici une loi régissant de manière plus précise, « encadrant » ou prétendant encadrer, le jeu virtuel vise notamment à faire en sorte que la clientèle ayant accès à internet puisse être plus aisément repérée et fidélisée.

En outre, comme chacun sait, les jeux de hasard sont a priori interdits en France, sauf, par dérogation, dans les villes touristiques et thermales qui accueillent des casinos, cette dérogation au principe d’interdiction ayant été étendue aux agglomérations de plus de 500 000 habitants, moyennant la mise en œuvre d’un projet culturel associé.

Les casinos français, nettement plus nombreux que les établissements équivalents dans nombre d’autres pays voisins, ont connu un surcroît d’activité avec l’autorisation d’exploiter des machines à sous. Ils font l’objet d’une véritable lutte d’influence entre quelques groupes, de moins en moins nombreux, qui se partagent le marché, même si les derniers exercices sont marqués par la contraction sensible du produit brut des jeux et de l’activité des casinos, ce qui entraîne d’ailleurs quelques conflits sociaux dans ce secteur.

Nous comptons 197 établissements sur l’ensemble du territoire, dont une cinquantaine dans l’orbite du groupe Partouche, 36 dans le groupe Barrière, 16 dans le groupe Tranchant, 21 dans le groupe franco-canadien JOA et 8 dans le groupe Émeraude.

Derrière ces cinq principaux exploitants restent quelques groupes de taille moyenne et quelques indépendants, qui gèrent le plus souvent un seul établissement.

Les casinos français constituent une source non négligeable de revenus pour les collectivités territoriales où ils sont implantés, puisque les recettes tirées du produit brut des jeux dépassent 300 millions d’euros pour les communes d’accueil, somme qu’il convient de rapprocher des 916 millions d’euros de prélèvements fiscaux et des 250 millions d’euros de prélèvements sociaux.

Les casinos sont des acteurs incontournables de la vie économique des villes où ils sont implantés et y constituent bien souvent l’un des employeurs de référence.

Dans ce paysage du jeu dans notre pays, nous sommes donc dans un univers particulièrement réglementé, ne souffrant que quelques dérogations, notamment s’agissant de l’organisation de lotos dans le cadre d’activités touristiques locales, tout en constituant une filière économique entière, faisant travailler plus de 100 000 personnes.

Cette réalité économique a d’ailleurs été maintes fois soulignée, notamment dans vos rapports antérieurs, monsieur le rapporteur. Elle s’appuie en particulier sur une forte filière « cheval », constituant 5 % des emplois dans l’agriculture, et sur le réseau des casinos, qui emploient directement plus de 20 000 personnes.

C’est cet équilibre, produit d’une législation mesurée, faisant de l’interdiction ou de l’exclusivité le fondement de sa définition qui est aujourd’hui en débat, avec l’ouverture à la concurrence du marché des jeux de hasard.

Or c’est le même équilibre qui a, pour le moment, évité à notre pays les matchs truqués, phénomène ayant perverti les compétitions de football dans certains championnats européens déjà passablement déséquilibrés.

Comme nous l’avons rappelé, les jeux sont l’objet de prélèvements fiscaux et sociaux. Ainsi, la Loterie nationale a rapidement été le support de prélèvements au profit d’œuvres caritatives, tandis que le PMU était l’objet de prélèvements divers, opérés en faveur de l’aménagement rural ou encore de l’activité des haras.

Le PMU a ainsi financé l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, tandis qu’il est soumis, depuis 1976, à l’instar des jeux gérés par la Française des jeux, à un prélèvement au profit du Centre national pour le développement du sport, le CNDS, l’ancien Fonds national pour le développement du sport, ou FNDS.

En outre, les gains des joueurs au PMU et aux jeux de la Française des jeux sont directement assujettis à la contribution sociale généralisée depuis la création de celle-ci.

Une telle manne financière, dont la gestion est d’autant plus aisée qu’elle est le fait de deux entités disposant de l’exclusivité, est directement menacée sur le principe par l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne. Et c’est là l’un des débats clés de cette ouverture.

D’un côté, il y a les partisans d’une ouverture réelle, conforme à l’esprit des textes européens, notamment du sacro-saint principe de concurrence libre et non faussée, qui tendrait à rendre possible ce qui est aujourd’hui interdit, moyennant une fiscalité « adaptée », c'est-à-dire allégée. Nous en avons largement la trace dans le texte. C’est ce choix que semble bien avoir fait le Gouvernement, lui qui est d’ores et déjà à la recherche de tout ce qui pourrait permettre à la fois de réduire les dépenses publiques et de trouver de nouvelles ressources fiscales tout en continuant de tenir le discours, usé jusqu’à la corde, de la non-augmentation des impôts.

De l’autre côté, il y a ceux qui ne souhaitent aucunement l’extension du casino national et la mise en œuvre d’une concurrence très largement porteuse de dangers pour la tranquillité et l’ordre publics, une concurrence source d’addictions et créatrice d’illusions.

Le succès des machines à sous, élément clé du chiffre d’affaires des casinos aujourd’hui, celui des loteries instantanées – dès 2002, plus de 40 % du produit des jeux de la Française des jeux étaient assurés par ce vecteur –, du « Rapido », qui a, très vite, pris place dans les produits leaders, montrent largement que l’addiction peut s’installer d’autant plus rapidement que la sollicitation du joueur est constante.

Ce risque, apparemment, certains ne semblent pas l’avoir tout à fait mesuré, comme ils sont décidés à autoriser les jeux de hasard et d’argent en ligne pour éviter leur développement de manière illégale.

C’est d’ailleurs l’un des aspects pour le moins pervers de ce texte : nombre des procédures de jeu qui y sont expressément décrites, nombre des critères d’encadrement qu’il prétend mettre en œuvre sont seulement les outils qui feront entrer dans le champ de la légalité ce qui est aujourd’hui à la fois illégal et envahissant, si l’on en juge aux boîtes aux lettres électroniques de tous les abonnés d’un fournisseur d’accès internet.

Et, plutôt que de s’appuyer sur les textes législatifs existants pour poursuivre les contrevenants, que fait-on ? On a décidé de donner un vernis de légalité à l’ensemble, de poser quelques règles minimales, et on permet à certaines entités financières, déjà fortement présentes dans le circuit des jeux « en dur », de s’imposer plus encore.

La promotion du jeu responsable, la protection de l’éthique sportive, tout cela passe au second plan !

Le projet de loi se contente d’encadrer la concurrence, puisque les opérateurs disposeront du droit de proposer des jeux, dans la limite du respect de l’ordre public et social.

Pourtant, c’est justement en se fondant sur cet ordre public et social que notre pays a privilégié le principe du monopole, au détriment du principe de la concurrence, comme c’est d’ailleurs le cas chez nombre de nos voisins européens pour les jeux « en dur ».

La Cour de justice des Communautés européennes elle-même considère que le monopole public doit être privilégié pour lutter contre la corruption et la fraude.

Chacun s’accorde, y compris la commission des affaires sociales, sur les dangers sanitaires et sociaux, addiction et surendettement des joueurs, que font déjà courir les jeux et paris en ligne et sur les risques supplémentaires que fera naître l’ouverture à la concurrence. Si l’on y ajoute les problèmes de corruption dans le sport et les courses, le trucage des matchs, le blanchiment d’argent, force est de constater que l’État ne peut pas se priver du contrôle des acteurs historiques du secteur.

Par conséquent, les risques de nuisance pour la santé publique et l’ordre public ne devraient laisser personne indifférent, et l’État lui-même moins que tout autre.

En effet, pourquoi ce qui a permis les paris clandestins avant même l’existence de l’internet grand public ne serait pas possible maintenant que les transactions et les échanges sont facilités par l’électronique et la numérisation ?

Ces raisons renforcent notre opposition à toute autorisation de la publicité en faveur d’un opérateur de jeux ou de paris agréé. L’addiction au jeu est un problème sérieux et elle peut être considérée comme une pathologie ; le développement des jeux en ligne tend à l’aggraver, comme le relève la commission des affaires sociales. Dans ces conditions, comment autoriser la publicité pour les jeux en ligne, alors que l’on sait pertinemment que la publicité a précisément pour fonction d’inciter à consommer ?

Nous ne pouvons pas plus accepter la généralisation des paris à cote fixe, dont le principe est plus que contestable. En effet, le bookmaker a fortement intérêt à voir perdre le joueur et, dans tous les cas, il garde une marge sur les gains du joueur pour son propre bénéfice. La nature même de la cote fixe permet d’augmenter les profits et est source de tous les trucages, puisque les gains potentiels sont souvent plus attrayants que pour les paris mutuels.

Le pari à cote fixe se résume, comme on le voit outre-Manche, à de la fraude, à de la corruption et à des paris truqués, ce qui entache régulièrement le monde du sport et pervertit notamment sa pratique professionnelle.

C'est la raison pour laquelle quarante-six États des États-Unis, le pays le plus libéral, interdisent le pari à cote fixe. Il en est de même au Japon. En Europe, le Totocalcio, grand jeu italien sur le football, est un jeu mutualiste, tout comme las quinielas, également grand jeu sur le football, mais espagnol. Les Pays-Bas ont également pris la sage décision d’interdire le pari à cote fixe. La France, si elle l’autorisait aujourd’hui, deviendrait un paradis pour les mafias et les opérateurs sans scrupules.

Nous pouvons hélas craindre que, encore une fois, les citoyens les plus vulnérables ne fassent les frais de cette ouverture à la concurrence.

En raison des risques que la libéralisation fait courir dans notre société en termes de santé publique, d’ordre public et de protection des mineurs, le législateur a le pouvoir et le devoir d’organiser par la loi non pas l’ouverture régulée à la concurrence, mais la maîtrise publique de ce secteur.

Ces raisons nous conduiront à ne pas suivre le Gouvernement et le rapporteur de la commission des finances dans leur choix et à voter contre le présent projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande aujourd’hui d’examiner un projet de loi sur la libéralisation des jeux en ligne dans notre pays.

Monsieur le ministre, rien ne vous obligeait à légiférer aujourd'hui, en tout cas pas l’Union européenne ! Ce texte pose véritablement problème. D’ailleurs, aucune étude d’impact digne de ce nom n’a véritablement été menée à ce jour.

On peut craindre que, sous couvert de légalisation des pratiques de jeu en ligne, ce texte, s’il est adopté en l’état, ne suscite des effets pervers redoutables, en contribuant à la généralisation d’une « morale de casino » dans notre pays, en ouvrant les vannes d’une véritable déferlante publicitaire particulièrement nocive pour les jeunes, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

… en multipliant les addictions au jeu et en contribuant, au final, à faire émerger une France de « perdants », puisque, comme nous le savons très bien, 95 % des joueurs sont des perdants !

Après le fameux « Travailler plus pour gagner plus », on pourrait, si le sujet n’était pas si sérieux, évoquer un très inquiétant : « Jouer plus pour perdre plus » §…

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

... slogan qui risque – hélas ! – d’illustrer les comportements suscités en France par le texte gouvernemental.

Monsieur le ministre, l’État italien a précédé la France dans la mise en œuvre d’une libéralisation contrôlée. Or beaucoup parlent aujourd’hui d’échec à propos de cette libéralisation, on le voit, ratée. Il est donc encore temps pour nous de surseoir à l’adoption d’un tel projet de loi. Je vais m’efforcer de vous convaincre de revoir totalement votre stratégie en la matière.

Dans le passé, l’attitude des pouvoirs publics français à l’égard des jeux a, à juste raison, toujours été limitative, selon le triptyque suivant : prohibition, exception, exclusivité.

Dans notre pays, le jeu n’est à ce jour autorisé que par exception. Il est organisé dans le cadre de la Française des jeux, du PMU et des casinos, avec autorisation du ministère de l’intérieur, avis de la Commission supérieure des jeux et protection de la police des jeux.

Quand on regarde l’histoire des jeux, on note que des tentatives de libéralisation ont été engagées dans le passé, parfois certes lointain. Chaque fois, cela a entraîné des troubles pour l’ordre public et une accentuation des addictions, d’où le retour à des lois très restrictives et à la référence obligée à la vieille loi de 1836.

Ces enseignements du passé ne peuvent aujourd’hui être ignorés.

Le projet de loi prévoit de maintenir le principe de l’interdiction du jeu, sauf exception. Pourtant, en rendant possible le jeu de masse, ce texte, s’il est voté, marquera la fin d’une longue tradition française de restriction de l’offre de jeux d’argent. Est-il utile de préciser que les jeux d’argent ne sont pas des produits comme les autres et que, de ce fait, ils ne peuvent obéir à la seule loi de l’offre et de la demande ? Comme moi, vous savez qu’il ne s’agit pas d’une activité commerciale totalement inoffensive.

La France, nous dit-on, est l’élève docile de l’Union européenne. Avec ce texte, elle respecterait le principe de la libre prestation des services. Elle lutterait contre la prolifération des sites illégaux. Au nom du réalisme, elle mettrait en place un dispositif de régulation du marché.

Il faut savoir qu’en Europe vingt États membres autorisent les jeux en ligne, contre sept qui les interdisent. Treize États ont un marché des jeux en ligne libéralisé. Six États ont un monopole public. Un État a agréé un monopole privé.

La réalité européenne est donc multiforme : le droit communautaire n’impose pas tel ou tel dispositif et abandonne aux États la fixation des règles. La Cour de justice des Communautés européennes l’a répété à l’occasion de l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa. Comme tout État membre, la France peut ainsi librement soit interdire les jeux et paris en ligne, soit en conférer le monopole à une entité, soit retenir un nombre restreint d’opérateurs, soit libérer totalement le marché.

Avec ce texte, la France a clairement choisi son camp en optant pour la libéralisation.

Les raisons invoquées à l’appui de cette option ne sont guère convaincantes. Nous savons, en revanche, que les effets pervers peuvent être redoutables : ce texte n’améliorera ni la santé des joueurs, ni leurs conditions de vie, ni, bien sûr, leur pouvoir d’achat ; il leur donnera seulement le droit de jouer toujours plus pour perdre toujours plus ! Ce seront d’ailleurs souvent les plus faibles, les plus démunis, les plus surendettés qui seront désormais pressés de se ruiner sur internet.

S’agissant du profil des joueurs, un sondage TNS/SOFRES de décembre 2009 souligne, par exemple, que 40 % des personnes relevant des catégories socioprofessionnelles supérieures déclarent jouer de temps à autre à des jeux d’argent, contre 62 % pour les catégories socioprofessionnelles inférieures.

Pour ces populations, le hasard et le gain potentiel assorti symbolisent une forme de « possible » vers un quotidien meilleur.

L’INSEE rappelle que le moral des Français reste bas, ce qui explique le succès des jeux d’argent auprès des personnes à revenus faibles ou modestes et majoritairement inactives.

Le rôle de la loi ne doit pas être de suivre ces personnes vulnérables ni même de les accompagner. La loi doit viser à réduire les risques sociaux en limitant, notamment, la possibilité de pertes.

En définitive, le projet de loi vise surtout à servir au plus rapidement les intérêts des nouveaux opérateurs. Aller très vite pour que ces opérateurs puissent être prêts à toucher la manne publicitaire de la Coupe du monde de football 2010 : tel est le discours qui se propage depuis des semaines et que nous venons de nouveau d’entendre aujourd'hui. Voilà l’une des obsessions du projet gouvernemental : il y a des centaines de millions d’euros à gagner pour les opérateurs, qui attendent impatiemment que le fromage leur tombe en partage !

Depuis l’annonce de la libéralisation du marché, nous notons que les partenariats, les accords et les opérations de rachat se multiplient dans ce secteur présenté comme le nouvel Eldorado.

L’ouverture des jeux en ligne à la concurrence pose la question de l’ordre public. Les nouveaux opérateurs européens – Interwetten, Bwin, Betfair, Sportingbet, Unibet, et j’en passe – s’efforcent d’afficher leur honorabilité, mais les scandales ont été nombreux, notamment en Italie ou au Royaume-Uni.

Le Gouvernement est-il armé pour mener sérieusement toutes les négociations liées à l’attribution des licences ? Rien n’est moins sûr !

Loin de moraliser le capitalisme, le texte prévoit une « économie de casino », à cent lieues des soucis de « la France qui se lève tôt ».

Un peu plus d’un an après le naufrage de la finance spéculative, ce texte encourage une économie spéculative qui met en avant les revenus du hasard au détriment des revenus du travail.

Le projet de loi met en danger les circuits traditionnels de financement des filières hippique et sportive. En développant des paris sportifs en ligne, le PMU risque de changer de vocation. Il ne sera plus simplement un organisateur de paris tourné vers toute la filière hippique.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Les parieurs se concentreront très naturellement sur les courses les plus médiatisées et les plus rentables, au détriment des petits hippodromes et des sociétés de courses.

Comme cela a été souligné tout à l’heure, 70 000 emplois directs, 250 hippodromes et autant de petites sociétés de courses qui font vivre notre territoire sont concernés.

En Italie, depuis deux ans, une baisse catastrophique des ressources a été observée, ce qui a mis en péril la totalité de la filière hippique.

L’ouverture du marché du jeu entraînera automatiquement une augmentation de l’offre. La mise en place d’une autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, et la limitation du nombre de licences octroyées auront sans doute un effet limitant. La porte sera pourtant bel et bien entrouverte via la légalisation prochaine de l’offre actuellement illégale.

Au sujet des opérateurs aujourd’hui illégaux, une curieuse remise à zéro des compteurs, une sorte d’amnistie, est évoquée.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

L’amnistie, c’est le contraire !

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Le principal changement résidera donc dans l’envol d’un marché à la fois légitimé par la loi et alimenté par les effets d’une publicité de masse. Il est déjà question d’un montant de plus de 200 millions d’euros pour la publicité.

La mise en œuvre d’un tel projet de loi peut, par ailleurs, se révéler redoutable pour la santé publique, car le jeu en ligne est particulièrement « addictogène ».

La dépendance est aggravée par la disponibilité permanente de l’offre à domicile et par la possible répétition des mises. Proche de la drogue chimique, le jeu en ligne cause un syndrome d’addiction complet : accélération des mises, dépendance à l’écran, augmentation des montants, impact sur le cours de la vie avec perturbations personnelles et familiales, enfin syndrome de sevrage en cas de privation.

Cette addiction est un vecteur d’autres formes de dépendance. Les chiffres sont éloquents : 50 % des joueurs sont des buveurs excessifs et 60 % d’entre eux sont des tabagiques affirmés.

Ce texte est, en outre, dangereux pour l’équilibre financier de l’État. Selon des hypothèses de marché non chiffrées, et en l’absence de toute étude d’impact, le Gouvernement espère sécuriser les recettes fiscales et les prélèvements à hauteur de 5, 5 milliards d’euros. Il faudra, bien sûr, que le volume des mises augmente très sensiblement pour compenser la diminution des taux de prélèvement sur les mises.

En d’autres termes, en diminuant le taux sur la fiscalité et les prélèvements, l’État s’engage à rechercher dans l’effet volume la compensation, ce qui est une forme d’incitation à jouer très inquiétante !

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

L’effet volume existe. Il est illégal, mais il existe déjà !

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Du point de vue de la confusion des intérêts, le texte pose aussi problème.

Les mêmes pourront organiser de la publicité pour des opérateurs dont ils sont propriétaires ou dans lesquels ils sont parties prenantes, le tout à l’occasion de manifestations sportives pour lesquelles ils auraient obtenu des droits exclusifs en matière de paris !

Mais alors pourquoi prendre de tels risques ? La jurisprudence européenne n’interdit pas la mise en place d’un monopole d’État.

Pourquoi ne pas s’appuyer sur la Française des jeux ? Elle régulerait le marché, freinerait l’offre de jeux et récupérerait des fonds publics. Jusqu’à présent, M. le rapporteur l’a souligné, l’État n’a pas joué totalement son rôle de tutelle. Il a laissé la Française des jeux et, dans une moindre mesure, le PMU mener des politiques commerciales contraires à la santé publique.

Pour restaurer cette tutelle défaillante, des outils existent : la fixation d’objectifs plafonds, l’interdiction de vente à certains publics, l’encadrement plus strict du développement de nouveaux produits.

L’intérêt de la tutelle d’État est de pouvoir encadrer le volume et la nature de l’offre de jeux.

En ouvrant à la concurrence un domaine qui avait toujours été soumis au contrôle d’un monopole public, ce texte engage une transformation profonde de notre société et rompt avec une longue tradition républicaine.

Sous la pression des différents opérateurs, il conduira inévitablement à une dérégulation progressive. Il aboutira à un amoindrissement des protections, ce qui sera préjudiciable en premier lieu aux petits parieurs et aux plus faibles.

Par l’exercice de ses missions régaliennes, l’État doit être le garant de la protection des citoyens. Dans le contexte actuel de crise financière, sociale, économique, nous attendons des arbitrages politiques qu’ils visent à favoriser l’intérêt général.

Or, mes chers collègues, tel qu’il est présenté aujourd'hui, ce texte ne nous paraît pas aller dans le sens de l’intérêt général. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à son adoption !

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années maintenant, notre pays est confronté au problème de la régulation des jeux et des paris en ligne, conformément du reste aux normes communautaires.

Plus exactement, la France doit faire face à une très importante offre illégale de jeux d’argent et de hasard sur internet.

On dénombre, ainsi, près de 25 000 sites illégaux de jeux, dont un quart seulement en langue française.

Cette situation n’est évidemment plus admissible. Les conséquences de la prolifération de ce marché sauvage sont pour le moins malheureuses. Les « joueurs-consommateurs » jouent sur des sites n’offrant aucune garantie et présentant des risques avérés de tricherie.

Par manque de contrôle, l’intégrité même des compétitions est mise à mal. C’est ainsi que les opérateurs illégaux profitent financièrement de la situation au détriment de l’État, bien sûr, mais également des organisateurs de compétitions sportives, particulièrement de compétitions hippiques.

L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de révoquer le monopole de la Française des jeux et du PMU en habilitant des sites à mettre en place des jeux de hasard et des paris en ligne dans les domaines du sport en général et du sport hippique en particulier, et du poker virtuel.

Nous le savons tous : les jeux d’argent peuvent être dangereux. Ils présentent un risque important d’addiction et peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les familles des joueurs. Ils sont susceptibles, également, de favoriser le blanchiment de l’argent sale.

Mes chers collègues, le jeu existe et personne dans cet hémicycle ne le condamne en tant que tel. Il n’est ni bon ni mauvais. Il s’agit simplement d’un divertissement. Le bon ou le mauvais côté du jeu dépend ici plus que jamais de l’usage qui en est fait, des limites que nous nous fixons et de celles que posent la loi et le législateur. Tel est l’objet de notre discussion.

On estime à près de 3 % ceux de nos compatriotes qui sont des joueurs pathologiques ou problématiques. Les mesures dites de « jeu responsable » visant à encadrer l’offre de jeux, mesures mises en place le plus souvent par les opérateurs eux-mêmes, sans fanatisme excessif, n’ont à aucun moment démontré leur efficacité.

Des mesures de ce type n’améliorent en rien la vie des joueurs et des parieurs, pas plus que leur santé ou leur pouvoir d’achat. Elles offrent simplement aux joueurs la possibilité de jouer toujours plus pour perdre toujours plus, mais dans un cadre légal préétabli !

Reste donc à tenter de canaliser la demande des joueurs vers des prestataires licenciés et responsables, sous le contrôle de l’État. Néanmoins, celui-ci disposera de marges de manœuvre étroites, car il devra très vite faire face à deux types de situations : d’une part, une augmentation légalisée de l’addiction au jeu, avec l’illusion collective de l’amélioration du pouvoir d’achat ; d’autre part, un renforcement des sites illégaux, du fait de la non-compétitivité fiscale du système prochainement mis en place.

C’est pourquoi, avec un certain nombre de membres de mon groupe, nous souhaitons que soit imposé au taux de 25 % le produit brut des jeux. En effet, ce produit brut est neutre vis-à-vis de la forme et du type de jeu et correspond au chiffre d’affaires effectif des opérateurs. Cette forme de taxation est la plus compétitive, nous semble-t-il, pour lutter contre le marché noir, mais aussi pour canaliser la demande des joueurs vers des sites européens agréés.

Concernant les opérateurs, le vrai problème consiste aujourd’hui à mettre fin à l’offre illégale, soit en prenant des mesures de caractère répressif, soit en faisant entrer cette offre, aujourd’hui illégale, dans le cadre d’une parfaite régulation reposant sur les opérateurs nationaux déjà existants.

Quant aux exploitants de casinos, il importe également de les faire bénéficier du développement des jeux en ligne, en particulier le poker, dont ils pourraient légitimement être les prestataires dans un cadre légal et régulé. Il est évident que nous devons lutter contre les dizaines de milliers de sites illégaux qui ponctionnent l’argent des joueurs au détriment de la filière sportive, de la filière hippique et des rentrées fiscales de l’État, ce détournement représentant d’ailleurs à nos yeux le dysfonctionnement le plus grave aujourd’hui.

L’existence d’une fiscalité d’État sur les jeux est donc tout à fait légitime et il devient de plus en plus intolérable que des sites illégaux soient créés juste pour y échapper : monsieur le ministre, cette fraude doit cesser !

Depuis plus de dix ans, nous sommes nombreux au Parlement à réfléchir, mais aussi à agir, pour qu’internet ne soit pas un espace hors du droit : les lois républicaines, et notamment la loi pénale, doivent s’y appliquer, ce qui ne signifie pas que cette application soit facile sur un réseau mondial.

Nous sommes également nombreux à considérer que l’État de droit ne doit pas être dégradé sous prétexte qu’il concerne internet, qui serait alors un espace de non-droit. Sa régulation est donc nécessaire et notre devoir de législateurs consiste à énoncer des règles justes et signifiantes.

Fort de ce constat, et tirant les enseignements de la jurisprudence de la Cour de justice, ce projet de loi conforte le modèle français d’organisation des jeux et des paris, et canalise l’offre aujourd’hui illégale, pour permettre une égalité stricte en termes de taux de retour aux parieurs, de respect des conditions d’éthique, ainsi que de critères de lutte contre les fraudes et le blanchiment.

Derrière la volonté affichée du Gouvernement de contrôler et d’assécher l’activité illégale, se cache en fait une inquiétante propension à sous-estimer a priori les méfaits d’un libéralisme et d’une déréglementation excessifs. C’est en ce sens que j’ai déposé un amendement tendant à la suppression de l’article 52 du projet de loi, article qui reconnaît aux fédérations sportives un droit de propriété en matière de paris. Ces derniers sont d’autant plus dangereux qu’ils échappent totalement à la sphère sportive.

La tentation de se doper pour améliorer ses propres performances, la tentation de corrompre pour amoindrir les performances des autres et le recours à de petits arrangements vont produire un trouble supplémentaire dans un monde pas toujours aussi vertueux qu’il en a l’air. Les cibles sont connues : les joueurs, mais aussi les arbitres, les dirigeants, les entraîneurs, les intermédiaires ou les gens d’influence.

En outre, cet article 52, s’il devait être adopté en l’état, ne profiterait en réalité qu’aux équipes sportives les plus puissantes, au risque de créer des trésoreries parallèles.

Mes chers collègues, n’acceptons pas le mélange des genres entre sportifs et opérateurs ! N’ouvrons pas de nouvelles vannes, sans mesurer les enjeux de ce que nous aurons décidé. Le dispositif actuellement envisagé rapportera gros à quelques-uns, mais coûtera très cher à beaucoup ! N’instillons pas de doutes supplémentaires sur la sincérité des compétitions sportives ni sur leurs résultats, car le risque de suspicion généralisée est dangereux pour le sport, pour son image et pour ses valeurs.

Le téléspectateur parieur se retrouverait ainsi devant son poste de télévision pour regarder un match exclusivement diffusé par la chaîne qui aurait acquis les droits audiovisuels du championnat, tandis que la même chaîne diffuserait une publicité pour une société de paris en ligne qu’elle détiendrait partiellement ou totalement, puisque le projet de loi, me semble-t-il, ne comporte aucune disposition anti-concentration.

L’incitation à jouer sera énorme et fera courir un véritable danger au sport. La vision du sport ne sera plus la même, elle ne sera plus désintéressée, ni tournée vers l’exploit sportif : ce dernier sera désormais remplacé, hélas, par l’appât du gain. On est loin des valeurs de l’éthique sportive !

Monsieur le ministre, en matière de régulation des jeux en ligne, les sénateurs du groupe du RDSE ne souhaitent ni l’immobilisme ni le statu quo, pas plus qu’ils ne veulent céder à l’aventurisme. C’est pourquoi, si la rédaction du projet de loi proposée par le Gouvernement, malgré les améliorations apportées par la commission des finances éclairée par son excellent rapporteur, ne devait pas évoluer, ou très peu, la majorité des membres du RDSE, inquiète des risques inhérents à la prolifération des jeux de hasard en ligne et non convaincue de l’efficacité absolue des dispositifs proposés, n’aura d’autre choix que de s’abstenir lors du vote final.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les jeux d’argent ont un point commun : pour celui qui joue, l’espérance de gain est toujours négative, souvent même très négative. Le joueur est en effet statistiquement toujours perdant.

Le jeu prospère sur la naïveté de ceux qui jouent. C’est pourquoi, historiquement, la quasi-totalité des États ont essayé de réglementer les jeux de hasard dans une double finalité. D’une part, ils visent un objectif de moralisation sociale, afin d’éviter les dérives qui peuvent résulter de l’addiction au jeu, dont les victimes gaspillent tous leurs biens, mettant en cause l’équilibre même de la société. D’autre part, dans un but certes beaucoup moins moralisateur, les États cherchent à créer des recettes financières.

C’est à l’aune de ces deux objectifs que doit être apprécié le présent projet de loi, qui tend à transposer une directive européenne.

Pour ma part, je suis opposé par principe aux jeux de hasard, mais, compte tenu de la situation actuelle en France, il me semble qu’il convient de se poser un certain nombre de questions, car l’État français ne peut actuellement plus apporter aucune justification à son monopole, qu’elle relève d’un souci social ou d’une volonté de moralisation. L’État français n’a que faire de ces considérations et son seul but consiste à gagner de l’argent, car, s’il poursuivait un but moralisateur, il interdirait toute publicité à la Française des jeux ou au PMU.

En effet, si l’on considère que le jeu, globalement, n’est pas sain pour la société, la moindre des choses serait d’interdire la publicité pour le jeu. Donc, si les pouvoirs publics autorisent une publicité éhontée de la Française des jeux ou du PMU, c’est bien que leur seule préoccupation consiste à gagner de l’argent sur le dos des joueurs.

Dans ces conditions, la directive européenne qui impose un assouplissement et un élargissement de la réglementation me paraît tout à fait pertinente. Si la France avait donné l’exemple en interdisant la publicité pour les jeux, en empêchant les sociétés de jeux d’inciter la population à jouer, elle pourrait aujourd’hui invoquer un motif d’intérêt général pour fonder la spécificité de son monopole d’État. En fait, actuellement, le monopole français poursuit un but purement financier et intéressé.

J’approuve donc la directive car, en l’état actuel des choses, aucune raison ne milite en faveur du monopole de la Française des jeux ou du PMU. Je reviendrai plus tard sur les problèmes posés par la Française des jeux s’il me reste suffisamment de temps de parole, puisque les orateurs non inscrits sont réduits à la portion congrue !

Le système va être ouvert à la concurrence : il faudra, encore plus qu’avant, vérifier l’absence de fraudes et dissuader les opérations malhonnêtes. Je suis personnellement très inquiet, car nous allons progressivement généraliser les paris sur le sport. Or, certains sports sont déjà complètement gangrenés par l’argent, notamment le football professionnel : les sommes en jeu sont tellement colossales que, bien évidemment, des matchs sont truqués, des joueurs achetés – on le voit régulièrement, en Belgique, en France ou ailleurs. Si, demain, les paris sont autorisés sur le football, la situation sera encore pire, parce que les sommes en jeu vont décupler et les tentatives pour acheter des joueurs ou trafiquer les résultats seront encore plus fréquentes.

Je déplore que cette ouverture des jeux, souhaitée également par la Commission européenne, ouvre la porte à tous les trafics. Je suis absolument convaincu que, quand le système tournera à plein, quand les paris se reporteront de plus en plus sur des sportifs, nous ne serons pas épargnés par la révélation régulière de scandales gigantesques.

À la limite, cette évolution ne ferait que s’inscrire dans la continuité de ce que nous connaissons.

En ce qui concerne la Française des jeux, je tiens à répéter ce que j’avais déjà dit lorsque j’étais député : la politique de cette société n’est pas aussi propre ni aussi transparente que l’on croit. Le fonctionnement de la Française des jeux permet une martingale très difficile à expliquer, puisqu’elle ne porte pas sur la probabilité de gagner, mais sur le montant des gains potentiels. Actuellement, la Française des jeux connaît les numéros les moins joués : une personne qui joue ces numéros peut toucher des sommes colossales lorsque ces numéros sortent. Soyons clairs : cette personne n’a pas plus de chances de gagner, mais, quand elle gagne, ses gains sont énormes.

Si vous jouez des numéros que, statistiquement, la majorité des joueurs ne joue pas, lorsque vous gagnez – je ne dis pas que vous avez plus de chance de gagner –, vos gains sont dix fois, vingt fois ou trente fois supérieurs à un gain normal. L’espérance de gain, à ce niveau-là, est considérable, comme l’ont démontré les mathématiciens.

Si la Française des jeux voulait être transparente, elle publierait la fréquence avec laquelle chaque numéro est joué par les parieurs, car un certain nombre de personnes en son sein connaissent ces fréquences : à ce moment-là, la situation changerait énormément.

Il ne faut pas se faire d’illusions : de nombreux joueurs jouent des dates de naissance ; par conséquent, le fait de jouer un numéro entre un et douze divise par trois ou par quatre le montant des gains lorsque ce numéro est tiré.

L’État fait la sourde oreille, parce que la Française des jeux a intérêt à avoir, de temps en temps, de très gros tirages qui attirent les parieurs. Dans cette logique, la Française des jeux persiste à refuser la transparence et à refuser la communication d’une information qu’un petit nombre de gens détiennent.

Ce petit exemple illustre le manque de transparence et les déviations du système des jeux de hasard. Je vous laisse imaginer, mes chers collègues, ce qui se passera lorsque l’on pourra parier sur les matchs de football ou d’autres activités encore plus faciles à trafiquer !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne est le résultat d’un long travail, en particulier de notre commission des finances et de son rapporteur, François Trucy, auquel je tiens à rendre hommage dès mon introduction.

Dès 2002, le Sénat s’est saisi de cette question, sans attendre la mise en demeure de la Commission européenne, en 2006, ou son avis motivé, en 2007, pour stigmatiser l’obsolescence de notre réglementation et la faiblesse de notre législation dans ce domaine.

Les rapports de François Trucy de 2002 et 2006 ont largement contribué à mettre en lumière les évolutions nécessaires.

La situation du secteur des jeux nous impose en premier lieu de mettre fin aux monopoles de la Française des jeux et du PMU.

En effet, ces monopoles sont confrontés à une réalité de plus en plus prégnante, celle des jeux en ligne, qui représentent aujourd’hui plus de 3 milliards d’euros de mises annuelles, sur quelque 25 000 sites illégaux accessibles en France.

La filière des casinos a, elle aussi, souffert du développement des jeux de poker en ligne, qui séduisent notamment la nouvelle génération. Également pénalisés par une réglementation complexe et diffuse, les casinos, qui contribuent au financement des communes dans lesquelles ils sont implantés, ont connu des années difficiles.

Dans un souci de pragmatisme économique, il était donc devenu indispensable d’ouvrir le marché et de légaliser ces jeux en ligne, tout en les encadrant et en régulant leur développement anarchique et pléthorique.

Cette évolution est d’autant plus nécessaire que, si nous reconnaissons les efforts du Gouvernement en matière de sécurité publique, la fraude étant aujourd’hui minime, force est de constater que la santé publique a été laissée de côté. Les problèmes d’addiction, par exemple, n’ont fait l’objet d’aucune étude spécialisée, comme cela a été rappelé.

Le présent projet de loi apporte enfin des réponses à cet égard, en matière tant de lutte contre l’assuétude que d’interdiction des jeux aux mineurs, de lutte contre le blanchiment d’argent et d’encadrement de la publicité.

Le groupe UMP se félicite de ces avancées notables, qui devraient certainement recueillir l’assentiment de la Haute Assemblée, au-delà des clivages politiques.

Seuls les paris sportifs, les paris hippiques et le poker en ligne seront légalisés. Les jeux les plus addictifs, notamment les jeux de pur hasard, seront toujours proscrits par notre législation.

Une partie des recettes fiscales et sociales tirées de la fiscalité sur les mises sera destinée au financement de la lutte contre la dépendance aux jeux.

Le projet de loi tend notamment à prévoir une augmentation des moyens financiers de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, afin que ce dernier finance, en lien avec l’ensemble des associations actives dans le domaine, un programme d’information, de dépistage et de prise en charge de la dépendance aux jeux.

Ces moyens financiers serviront également à la réalisation d’études plus précises sur la réalité de ce phénomène en France, comme le souhaitent les associations de protection des joueurs.

La limitation de l’ouverture à la concurrence aux paris les moins addictifs et l’encadrement du taux de retour aux joueurs devraient également limiter les effets d’assuétude.

Dans le domaine de la lutte contre le blanchiment, un opérateur de jeu ne pourra pas s’établir dans un paradis fiscal et les joueurs devront obligatoirement avoir un compte bancaire en France.

Le contrôle, cela a déjà été souligné, sera effectué par l’ARJEL, l’autorité de régulation indépendante qui attribuera les licences aux opérateurs de jeux sur internet.

Le groupe UMP ne demande pas forcément que la personnalité morale soit attribuée à cette autorité, car il juge inopportun le découplage complet entre celle-ci et les services de l’État.

De même, la majorité du groupe UMP ne souhaite pas la différenciation des taux de prélèvements sur les paris hippiques et sur les paris sportifs, car l’équilibre du dispositif proposé est déjà issu d’un difficile compromis entre des intérêts parfois contradictoires.

Toutefois, si la filière hippique venait à être désavantagée, par exemple par un tarissement de son financement consécutif au déplacement de ses parieurs vers les paris sportifs, une clause de revoyure prévoit le dépôt d’un rapport du Gouvernement au Parlement, en vue de mettre en œuvre les adaptations nécessaires.

À cet égard, le groupe UMP fait pleinement confiance à M. François Trucy pour veiller au respect de cette clause. En tant que représentants des territoires, nous sommes effectivement très attachés au soutien de la filière hippique, qui est l’un des rouages essentiels de l’économie et de l’aménagement du territoire et qui génère – nous trancherons ultérieurement le débat sur les chiffres– entre 60 000 et 90 000 emplois.

L’arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché, entre 30 et 50 selon les estimations, du fait de l’élargissement de l’assiette, devrait engendrer de nouvelles recettes. La commission des finances, à laquelle j’appartiens, ne saurait y être insensible. Néanmoins, la diminution des taux de prélèvements sur les mises devrait aboutir au final à une opération neutre, ce que l’on peut en partie regretter.

Pour conclure, je dirai un mot du calendrier, qui nous contraint à tenir compte de la Coupe du monde de football, dont l’ouverture, comme tout le monde le sait, est prévue au début du mois de juin, en Afrique du Sud.

Il serait impensable que les nouvelles dispositions ne puissent pas s’appliquer à l’événement sportif planétaire le plus important après les jeux Olympiques. Cela reviendrait à laisser le champ libre aux sites illégaux existants – ils risqueraient de fleurir d’autant à cette occasion – et à condamner le présent projet de loi.

C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative, à titre personnel, de déposer un amendement tendant à prévoir des mesures transitoires qui permettraient aux opérateurs de jeu ayant déposé une demande de dossier d’agrément à l’ARJEL et répondant aux conditions requises de bénéficier d’une autorisation temporaire pour exercer les activités d’opérateur légal de jeu en ligne en France jusqu’à l’obtention de l’agrément.

Je ne suis pas sans savoir que cet amendement, déposé sous une forme peu ou prou similaire par d’autres collègues, pose des problèmes à la commission des finances et au Gouvernement. Mais il vise essentiellement à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de publier très rapidement les décrets et à insister sur la célérité dont l’ARJEL doit faire preuve dans la délivrance des agréments. Vous avez d’ores et déjà abordé cette question, monsieur le ministre, et, même si nous sommes amenés à revenir sur ce débat, nous savons d’ores et déjà que nous pouvons compter sur votre engagement.

Au-delà de cet amendement, que j’ai présenté à titre personnel, la majorité du groupe UMP soutiendra l’essentiel du texte issu de l’excellent travail de notre commission des finances.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui est porteur de plusieurs incohérences et présente même de nombreux dangers.

Il est tout d’abord paradoxal, dans sa nature même et dans les intentions affichées par le Gouvernement. Il est effectivement question d’une « ouverture à la concurrence », accompagnée d’une « régulation » du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Ce projet vise donc à libéraliser un secteur et, simultanément, à le réguler.

Ces deux objectifs étant, dans les termes, difficilement conciliables, tout devient une affaire d’équilibre… Or, sans surprise, nous constatons que la libéralisation et la déréglementation l’emportent, et ce largement, sur la régulation par la puissance publique.

Nous ne rejetons pas le principe d’une loi, d’un cadre réglementant les pratiques. Nous estimons même qu’une régulation est nécessaire, tant ce secteur a multiplié les abus depuis plusieurs années. Mais, contrairement à ce qu’a pu prétendre le Gouvernement à de nombreuses reprises, il n’existe aucune obligation européenne imposant de légiférer dans ce domaine. L’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 8 septembre 2009, est venu le confirmer.

Ainsi le Portugal s’est-il vu autoriser, au nom de l’application du principe de subsidiarité, à restreindre la libre circulation des services de jeux, interdisant à tout autre prestataire que la loterie nationale, y compris les prestataires étrangers, de proposer des jeux en ligne sur le territoire portugais.

Quelques mois auparavant, dans son rapport du 17 février 2009 sur l’intégrité des jeux d’argent en ligne, le Parlement européen soulignait déjà que les procédures ouvertes par la Commission contre un certain nombre d’États membres ne remettaient pas en cause « l’existence de monopoles ou de loteries nationales à proprement parler » et qu’elles n’avaient « aucune incidence sur la libéralisation des marchés de jeux d’argent en général ».

Il était grand temps de cesser, monsieur le ministre, de s’abriter sous le parapluie de l’Europe, car, en l’occurrence, celui-ci est loin d’être imperméable !

Au regard du droit communautaire et de la jurisprudence, il n’y avait donc pas d’obligation formelle de légiférer. C’est le vide juridique national et l’usage massif des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’internet, qui poussent à le faire.

Devant la croissance de l’offre illégale et les différents dangers qu’elle implique, une solution alternative aurait toutefois pu être retenue. Ainsi, pourquoi ne pas s’être appuyé sur les deux monopoles historiques existants, à savoir la Française des jeux et le PMU, pour encadrer le développement des paris et des jeux de cercle en ligne ? En restant proche de la réalité actuelle, on se serait fondé sur une situation que la plupart des acteurs jugent satisfaisante. Au lieu de cela, on ouvre toutes les vannes à une dizaine d’opérateurs, qui, probablement, se partageront environ 80 % du marché.

De même, si l’on suit la logique du Gouvernement, l’un des buts essentiels du projet de loi est la lutte contre l’offre illégale. Mais alors, monsieur le ministre, pourquoi ne pas proposer un texte qui donne aux autorités les moyens suffisants pour contrer ces sites illégaux ? À l’évidence, il était urgent de remédier à l’explosion du jeu illégal. Mais, pour cela, fallait-il en passer par le développement anarchique du jeu légal ? Pour paradoxale qu’elle soit, c’est pourtant bien cette démarche qui est ici proposée !

Autre incohérence, le projet de loi, qui prétend encadrer les pratiques de jeux, a notamment pour vocation de lutter contre la dépendance. Or le volet relatif à cette lutte nous paraît insuffisant. Nous pouvons donc légitimement penser que, au cours du processus d’élaboration du texte, la position des grands argentiers du secteur des jeux en ligne a eu plus de poids que la prise en compte de la santé des clients potentiels.

En faisant tout pour que la loi soit adoptée avant la Coupe du monde de football de 2010 – une formidable manne financière -, le Gouvernement a négligé les impératifs de santé publique. Par manque d’anticipation du calendrier parlementaire, il semble aujourd’hui vouloir avancer dans l’urgence. Vous avez d’ailleurs déclaré devant la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre : « En tout état de cause, la date butoir sera celle de la Coupe du monde de football », soit le 11 juin prochain. Or nous n’en sommes qu’à la première lecture du texte...

Sur le fond, comment peut-on prétendre lutter contre la dépendance si, dans le même temps, on libéralise l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne ? La question de la dépendance se pose avec encore plus d’intensité pour les jeux en ligne que pour les jeux « en dur ».

En effet, face à un ordinateur, dans son salon ou sa chambre, l’utilisateur évalue difficilement ses propres limites. Enfermé dans le monde virtuel du jeu, il ne s’impose pas les mêmes règles que dans la vie réelle. Denis Alland, professeur de droit à l’université de Paris II, le souligne bien dans une tribune parue dans Libération le 16 décembre dernier. S’appuyant sur l’argumentation d’un avocat général à la Cour de justice, il démontre que la dépendance aux jeux se trouve toujours aggravée par la permanence d’une offre à domicile.

Stefan Zweig, dans sa nouvelle intitulée Le Joueur d’échecs, a su trouver les mots pour décrire la maladie de la dépendance aux jeux : « La passion de gagner, de vaincre, de me vaincre moi-même devenait peu à peu une sorte de fureur : je tremblais d’impatience, car l’un des deux adversaires que j’abritais était toujours trop lent au gré de l’autre ». Plus loin, l’écrivain ajoute : « Cette monomanie finit par m’empoisonner le corps autant que l’esprit ».

Les jeux en ligne n’existaient pas encore lorsque Stefan Zweig a écrit ces mots, mais nul ne doute qu’ils l’auraient inspiré !

Qui dit dépendance dit aussi coûts pour la société. Je pense notamment aux dépenses de sécurité sociale. On estime aujourd’hui à 300 000 le nombre de personnes en situation de dépendance aux jeux de hasard. Avec ce texte, ce chiffre, déjà conséquent, risque de s’accroître et, avec lui, les pathologies liées au jeu. Le risque est donc à la fois sanitaire et financier, car on fera appel au contribuable pour financer les conséquences malsaines des jeux en ligne.

Des incohérences, il y en a également dans la façon dont est considéré le monde de la culture et du sport. Depuis le début du processus législatif, le sport français a, semble-t-il, été mal traité. Le Comité national olympique et sportif français, le CNOSF, seul garant de l’unité du mouvement sportif, n’a ainsi pas pu réellement faire entendre sa voix.

Les retombées économiques attendues des prélèvements laissent planer le doute sur la pérennité des financements. Je pense en particulier au sport amateur, ainsi qu’à la filière hippique, sérieusement mise en danger par le projet de loi.

Le Centre national pour le développement du sport serait doté, pour 2010, d’environ 227 millions d’euros. Le CNDS est actuellement alimenté par un prélèvement de 1, 8 % sur les mises de la Française des jeux, hors paris sportifs. Le montant de ce prélèvement est estimé à 154, 3 millions d’euros dans la présentation de la loi de finances pour 2010, mais plafonné à 150 millions d’euros par l’article 43 de ce projet de loi. À cela, il faut ajouter les 5, 5 % de la taxe dite « taxe Buffet », soit 43, 3 millions d’euros pour l’année courante.

Il y aura également, à partir de 2010, un prélèvement de 1, 3 % non plafonné sur les mises des paris sportifs, « en dur » et en ligne. Ce taux sera porté à 1, 8 % à partir de 2012. Ce prélèvement devrait rapporter 25 millions d’euros en année pleine, donc certainement moitié moins pour 2010, étant donné que le projet de loi ne sera pas adopté avant plusieurs semaines. Ce serait donc à peine plus de dix millions d’euros que rapporteraient cette année au CNDS les jeux en ligne, soit à peine de quoi construire deux ou trois gymnases en France. C’est dérisoire !

La loi de finances pour 2010 annonçait, sur les premières bases, un total de 227 millions d’euros, mais le compte n’y sera pas ! Au final, moins de 205 millions d’euros devraient être dégagés pour le CNDS.

Lors du débat en première lecture à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que le milieu du sport demandait plus de moyens. Sur ce point, vous aviez raison. Mais je ne vous suis plus lorsque vous avez l’audace d’ajouter que ce projet de loi vous permettra justement de lui en offrir plus !

Une étude d’impact aurait été la bienvenue, afin que nous puissions avoir des chiffres précis sur les retombées attendues pour le monde sportif. Malheureusement, nous devons nous en passer.

Les engagements pris lors de la récente réforme de la Constitution n’auront pas fait long feu : l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 impose pourtant désormais qu’une étude d’impact accompagne chaque projet de loi. Faut-il, monsieur le ministre, que les impacts de ce texte aient été jugés négatifs pour que vous ayez préféré violer une disposition d’ordre constitutionnel ?

Une étude d’impact aurait mis en valeur les défauts de ce texte, notamment s’agissant de ses retombées pour le mouvement sportif français. Les insuffisances sont patentes, surtout quand on se remémore les objectifs ambitieux affichés par la secrétaire d’État chargée des sports, dans son discours à la Sorbonne, le 6 octobre dernier.

La situation est encore plus préoccupante si l’on tient compte de l’évolution des pratiques de jeu : on estime alors que la somme dégagée du prélèvement sur la Française des jeux, donc sur les jeux « en dur », soit 150 millions d’euros plafonnés, risque d’être diminuée de moitié. Par voie de conséquence, le CNDS deviendrait beaucoup plus dépendant du prélèvement sur les mises en ligne. Est-ce à dire, alors, que pour financer le sport français, les autorités vont devoir inciter nos concitoyens à parier leurs économies en ligne ? S’il fallait suivre l’esprit du texte, nous nous verrions contraints d’encourager la dépendance pour financer le mouvement sportif, alors même que le Gouvernement prétend lutter contre cette dernière, voire contre l’addiction.

Ce projet de loi met également à mal la solidarité au sein du mouvement sportif.

Tout d’abord, rien, dans le texte, n’est prévu à propos des principes régissant la redistribution des dividendes issus des jeux en ligne entre les différents sports, entre les différentes fédérations. L’article 52 aurait dû apporter des précisions sur ce sujet. Le risque est que, une fois encore, les sports les plus médiatiques – je pense au football ou au tennis – se taillent la part du lion, ne laissant que des miettes aux autres disciplines. C’est une occasion perdue d’opérer, en concertation avec le mouvement sportif, un rééquilibrage entre les activités.

La possibilité pour les associations ou sociétés sportives, créées par l’article 52 du projet de loi, de négocier individuellement la signature de contrats avec les opérateurs de jeux en ligne représente également une menace pour la cohésion du modèle sportif français, car elle sèmera le trouble au sein des fédérations et de l’ensemble du mouvement olympique et sportif.

Par ailleurs, je m’inquiète des possibilités de fraudes, notamment de délits d’initiés, qui peuvent être induites par ce texte. En autorisant les paris à cote, prévus par l’article 4, et les paris sur les phases de jeux, prévus par l’article 7, on prend le risque de la non-sincérité des rencontres sportives, risque déjà réalisé à de nombreuses reprises chez nos voisins européens.

Ce marché des jeux mobilisant des masses financières considérables, il suscitera bien des tentations, d’où l’impérieuse nécessité de garantir aux parieurs l’intégrité des résultats. Ce n’est pas un hasard si Bruxelles évoque la création d’une agence européenne de lutte contre les paris truqués.

Si parier sur la minute d’un match de football à laquelle sera marqué le premier but ne pose pas spécialement de problèmes, parier sur la minute du premier coup franc, par exemple, est beaucoup plus inquiétant. Rien ne nous garantit en effet qu’un joueur ne pariera pas à cinquante contre un sur sa propre faute, à la minute qu’il aura choisie ! Mes propos sont excessifs, me dira-t-on, mais soyons cependant vigilants.

Nous en arrivons à un autre défaut de ce texte, et pas le moindre : les acteurs du monde sportif, qu’il s’agisse des joueurs, des arbitres ou des membres des fédérations en général, ne devraient pas être autorisés à prendre part aux paris en ligne, ce que ne prévoit pas le projet de loi à ce jour.

L’article 23 précise en effet simplement que les éventuelles interdictions seront établies par voie réglementaire. Cette permissivité nous semble regrettable.

De la même façon, on peut s’inquiéter des probables conflits d’intérêt, notamment entre les diffuseurs, les fédérations sportives et les équipes. Si le même opérateur de jeux se trouve impliqué, d’une part, comme sponsor dans un partenariat de financement avec une équipe sportive et, d’autre part, avec le média qui diffuse les rencontres de cette même équipe, se posera, pour le moins, une problématique d’ordre déontologique.

À cet égard, il est révélateur d’apprendre que, voilà quelques jours, TF1 prenait le contrôle du site eurosportbet.com. Ne perdons pas de vue que ces sites sont souvent les sponsors des plus grandes équipes de football européennes et qu’ils ont déjà signé des contrats avec des clubs français. Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous sommes donc particulièrement préoccupés par d’éventuels conflits d’intérêt.

Les pouvoirs conférés à l’ARJEL, dans ce domaine comme dans d’autres, ne nous rassurent pas.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à un texte qui, sous couvert de régulation, ne fait que prôner la libéralisation. Dans le numéro de février 2010 de La Revue parlementaire, vous déclariez à propos de la situation actuelle des jeux en ligne en France : « C’est un risque pour la sauvegarde de l’ordre public car la lutte contre le blanchiment n’est pas suffisamment assurée, un risque pour la lutte contre l’addiction car ces opérateurs n’ont aucune obligation à respecter en la matière, un risque pour l’ordre social puisque les mineurs ne sont pas protégés, mais aussi un risque pour les finances publiques puisqu’ils échappent à toute taxation ».

J’aurais pu aujourd’hui reprendre cette phrase en introduction de mon intervention, tant elle définit avec minutie les défauts de votre projet de loi. Précisément, avec ce texte, vous mettez en danger l’ordre public, en introduisant une conception de la société et de l’argent que nous ne partageons pas. Vous exposez nos concitoyens à un risque accru d’addiction aux jeux.

Quant aux mineurs, qui seront bombardés de publicité par les opérateurs – même si la navette a permis de limiter quelque peu les possibilités d’effectuer de la publicité sur les supports qui leur sont dédiés –, nous doutons que les quelques dispositions de ce projet de loi suffisent à les dissuader de jouer en ligne.

De même, et j’espère que mes collègues et moi-même allons vous le démontrer, ce texte est une aberration du point de vue des finances publiques. Les recettes créées sont bien loin de compenser les dépenses à prévoir. Je pense notamment au financement du sport amateur, pour lequel, au vu de l’ampleur des besoins, nous pouvons légitimement nous inquiéter.

Enfin, de manière plus générale, ce texte nous propose aussi une certaine vision de la société fondée sur une conception très libérale de l’économie, avec peu de gagnants et beaucoup de perdants, le tout assorti d’un sens moral fort contestable. Je ne suis pas certain, notamment, que sanctifier le jeu et l’argent facile soit le meilleur moyen de préparer les jeunes générations aux défis qui les attendent.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis plus d’un an que j’ai l’honneur de siéger à la Haute Assemblée, je me suis impliqué dans de nombreux projets de réforme présentés et défendus par le Gouvernement. Dans tous les textes où nos établissements et services publics étaient en cause, j’ai vu des intérêts privés commerciaux profiter des réformes, sans garantir la moindre retombée positive pour la collectivité.

Il en va ainsi de la « mutation », pour ne pas dire de la suppression, à terme, du service public hospitalier, de l’abandon du fret de proximité aux opérateurs privés, ou encore de la « transformation » du statut de La Poste, c'est-à-dire la prochaine ouverture aux fonds privés, pour ne citer que ces exemples.

À chaque fois, ces réformes ont été menées tambour battant, sous couvert de RGPP et d’efficience, à chaque fois également pour « sauver » un organisme public asphyxié par le désengagement de l’État.

Or telle n’est pas la raison d’être de ce nouveau projet de loi. Si ses promoteurs se proposent d’ouvrir le monopole actuel des jeux d’argent et de hasard aux opérateurs privés, le texte ne répond à aucune nécessité curative pour nos opérateurs historiques. Le PMU et la Française des jeux se portent bien, alimentent les recettes de l’État, participent au financement de la filière sportive, créent des emplois, contribuent à l’aménagement du territoire, préservent le tissu économique

Vous avez avancé, monsieur le ministre, successivement il est vrai, d’autres raisons pour justifier cette réforme.

Vous avez d’abord argué d’un impératif européen de libéralisation du marché, mais vous avez été démenti par la Cour de justice des Communautés européennes qui, dans un arrêt du 8 septembre 2009, nous confirme que les raisons impérieuses d’intérêt général priment celles du marché et autorisent les États nationaux à maintenir une organisation monopolistique des jeux d’argent.

Changement de pied, vous avez alors plaidé que seule l’ouverture serait à même « d’assécher » l’offre illégale de jeux en ligne. C’est mathématiquement impossible : que pèseront 50, 100, voire 500 opérateurs agréés par l’ARJEL face aux 25 000 sites illégaux actuels ? Il est au surplus totalement illogique de prétendre que l’ARJEL sera à même de réaliser ce que l’État ne fait pas lui-même. L’argument est donc doublement irrecevable.

De mauvais esprits ont prétendu établir un lien rétrospectif entre les dirigeants de grandes entreprises privées, notamment des médias et télécommunications, qui spéculent déjà sur la manne des paris en ligne, et un groupe de dîneurs anodins réunis autour du Président de la République un soir de mai 2007. Mais seul le hasard n’en doutons pas a permis que ces dirigeants et ces convives soient en réalité les mêmes. Il suffit de surcroît de ne plus clairement faire la part entre le domaine public et le domaine privé pour n’y voir aucun conflit d’intérêt.

Mais la représentation nationale mérite de meilleures explications que ces faux-semblants et, hors cette dernière hypothèse farfelue – celle de satisfaire aux intérêts privés de quelques-uns –, aucun motif d’intérêt général ne vient expliquer et justifier la nécessité que nous aurions de légiférer en faveur d’une libéralisation des jeux d’argent et des paris en ligne.

J’entends bien le discours rassurant qui nous est tenu d’une ouverture encadrée et limitée, un discours ambitieux même qui n’exclut pas de « servir de modèle à une régulation européenne des paris en ligne ».

À cet égard, l’article 1er A de ce projet de loi emporterait l’adhésion s’il n’était le reflet d’un double langage. L’encadrement « strict » qu’il prévoit sur les jeux d’argent et de hasard, au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé, suffit en lui-même à inscrire dans la loi le principe du monopole actuel. L’adjectif « strict » signifie en effet, si l’on regarde la définition dans le Larousse, « qui ne laisse aucune liberté ».

La conséquence nécessaire et logique de cette stricte condition serait de confier l’organisation des jeux d’argent et des paris aux opérateurs historiques. Eux seuls seraient à même de garantir la mise en place d’un encadrement effectivement strict. Nous matérialiserions ainsi ce qui n’est pour l’heure qu’une pétition de principe, dont le propre est de n’être pas normative.

En réalité, le moins que l’on puisse dire est que les modalités proposées pour cette ouverture suscitent de fortes inquiétudes.

Elle présente, en premier lieu, le risque évident « d’assécher », non pas le jeu illégal, cela est illusoire, mais bien plutôt le seul qui soit autorisé actuellement, et ce au détriment de la filière hippique et de la Française des jeux. Ce risque est tel qu’il a suscité l’ajout unanime par nos collègues députés d’un cinquième alinéa à l’article 1er destiné à « éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ».

Monsieur le ministre, la régulation que ce projet de loi met en place nécessitera d’être encore enrichie par d’autres garanties pour devenir aussi « crédible et équilibrée » que vous le dites. Je pense au pari à cote fixe, dont il faut proposer la suppression ; à la volonté d’être opérationnels pour la Coupe du monde de football – merci Henry ! - qui risque d’entraîner l’attribution d’agréments « allégés » par l’ARJEL ; et à l’ouverture « amnistiante » que pourrait entraîner l’entrée en vigueur de la loi pour tous ceux qui opèrent aujourd’hui illégalement.

En second lieu, mon inquiétude tient au fait que la multiplication des opérateurs, d’une part, la viabilité et la rentabilité des agréments, d’autre part, emportent nécessairement une augmentation constante du nombre de joueurs en ligne, à laquelle ils sont conditionnés, et donc une augmentation corrélative des risques d’addiction. De même, baisser encore le taux de prélèvement implique, pour compenser la perte de recettes, d’élargir l’assiette, donc le nombre de joueurs.

À cet égard, je citerai simplement le professeur de psychiatrie Michel Lejoyeux, chef de service à l’hôpital Bichat, qui estime « qu’il existe une règle simple pour toutes les addictions : l’augmentation de l’offre augmente le risque qu’une personne potentiellement dépendante le devienne ». Il se dit particulièrement inquiet de l’impact des nouvelles publicités qui vont apparaître. Nous y reviendrons à l’article 4 bis.

Vous ne pouvez, sans contradiction flagrante, prétendre prévenir l’addiction avec de telles mesures qui sont précisément la cause du phénomène.

Ce projet de loi marque une rupture importante. Quel avenir trace-t-il ? Au regard des exigences européennes, une ouverture du marché, même régulée, amoindrit automatiquement, par contrecoup, le caractère impérieux de l’intérêt général. En d’autres termes, une ouverture mesurée abaisse nécessairement les impératifs d’ordre public et social que le monopole reconnu au PMU et à la Française des jeux avait placés en haut de l’échelle.

La perspective est donc celle d’une régulation toujours moins justifiable à Bruxelles et il faudra céder toujours plus aux opérateurs jusqu’à l’ouverture complète. Ce projet de loi signe inéluctablement la disparition, à terme, de nos opérateurs historiques.

Est-il besoin d’exposer les conséquences économiques et sociales qu’entraînerait l’étouffement de notre filière hippique, dont le financement est assuré par les paris ? Les paris financent les courses, qui en sont le support. Dans mon département, la filière du trot illustre bien l’ancrage dans le territoire et dynamise son développement économique.

J’exprimerai ici encore une crainte ultime. Sans rien méconnaître de l’utilité, de la nécessité aujourd’hui d’internet – ce serait idiot ! – et parce que nous en connaissons aussi les méfaits, il est de notre responsabilité d’en limiter si possible l’usage dans certains domaines.

Internet est un plaisir solitaire, alors que les jeux d’argent et de hasard « en dur » obligent encore le joueur à sortir de chez lui pour se rendre au PMU ou au café-tabac du coin. Au-delà des risques de « la toile » pour la santé publique, une autre question se pose également à nous, qui vraisemblablement nous sépare : celle du vouloir faire vivre ensemble. Nous nous opposerons donc à ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Monsieur le président, je souhaite maintenant répondre aux différents intervenants.

Monsieur Dupont, vous avez évoqué le nombre d’emplois directs et indirects induits par la filière hippique. Le rapport du PMU de 2008, auquel je me suis référé, indique que ce chiffre s’élève à 70 000, ce qui est considérable.

Vous avez repris l’ensemble du projet de loi tel que nous avons pu l’examiner en commission des finances et vous avez confirmé votre attachement au Comité consultatif des jeux dont vous proposez la création. Ce point, très important, sera discuté ultérieurement.

Par ailleurs, s’agissant du calendrier, vous avez rappelé l’historique de la présentation du projet de loi qui est aujourd'hui soumis à l’examen du Sénat.

À ce sujet, certains orateurs ont soutenu que le Gouvernement travaillait dans l’urgence et voulait brader la discussion afin d’aboutir à l’adoption d’un texte avant la Coupe du monde de football…

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Quoi qu’il en soit, après avoir été soumis au conseil des ministres au mois de juin 2008 puis examiné par l’Assemblée nationale voilà quelques mois, le présent projet de loi est aujourd’hui soumis au Sénat. Le moins que l’on puisse dire est que la procédure n’est pas d’une rapidité excessive ! Le Gouvernement a laissé du temps à la discussion, notamment au sein de la société dans son ensemble, et à la prise en compte des problèmes de santé, notamment.

Monsieur Trucy, je vous remercie du travail que vous avez réalisé. Nous le poursuivrons aujourd'hui et demain.

M. About, rapporteur pour avis, a appelé l’attention sur les aspects sanitaires et sociaux de l’ouverture à la concurrence du marché des jeux, dimension des problèmes auquel je le sais toujours très vigilant. Loin d’assaisonner d’une pincée de sanitaire et social le fameux pâté d’alouette – un cheval, une alouette !- le Gouvernement a réalisé un travail très équilibré.

Le jeu pose les problèmes du contrôle et de l’addiction, du rapport social que d’aucuns peuvent entretenir avec lui. Il conduit à évoquer les plus fragiles, les mineurs mais aussi les personnes faibles qui peuvent à un moment donné se laisser entraîner.

Sur ces sujets, le projet de loi comporte de nombreuses propositions, élaborées en collaboration avec les professionnels concernés, afin de construire un système équilibré et très protecteur.

Monsieur Ambroise Dupont, le calendrier, certes tendu, pourra être respecté, si aucun grain de sable ne vient se glisser dans le processus tel que nous le prévoyons.

Le présent projet de loi devrait être adopté à la fin du mois de mars, puis promulgué au mois d’avril. Ce même mois sera consacré à la publication des décrets et à la constitution de l’ARJEL. Le mois de mai sera réservé à l’instruction des candidatures, sachant que le cahier des charges sera préparé en temps masqué.

Monsieur de Montgolfier, à l’issue de cette procédure, des agréments devraient être octroyés aux nouveaux jeux qui commencent à se diffuser en France, conformément à la position du Gouvernement. Il y aura donc bien agrément, et toute solution différente serait en contradiction avec ce que nous n’avons cessé de défendre.

En matière de fiscalité, personne ne détient la vérité. Le Gouvernement, il est vrai, abaisse le taux de la fiscalité. De ce fait, le réseau du PMU, réseau « en dur » par excellence, bénéficiera d’un gain très substantiel.

Dans le même temps, parce que la fiscalité est très « sensible », si je puis dire, le Gouvernement entend sécuriser les recettes fiscales de l’État et se rattraper sur le volume et élargit en contrepartie l’assiette. N’allez pas croire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement souhaite inciter nos concitoyens à jouer plus : il s’agit de leur permettre de le faire en toute légalité.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Le Gouvernement, en instaurant une taxation, veut faire passer certaines pratiques de l’ombre, c’est-à-dire de l’illégalité, à la lumière, autrement dit à la légalité, mais à une légalité maîtrisée. C’est évidemment nettement plus compliqué que la position prise par certains ici !

Monsieur Vera, vous souhaitez interdire le recours à la publicité. Mais, à partir du moment où l’opérateur respecte les règles, la publicité est protectrice. Comme toujours, les contrebandiers seront nombreux sur internet. Il s’agit de pouvoir faire la différence entre ces contrevenants et les opérateurs respectueux des règles.

De même, vous prônez l’interdiction du pari à cote, mais cela conduirait à une interdiction quasi totale du pari sportif, donc au maintien de l’offre illégale actuelle. Sur des dizaines de milliers de sites, des centaines de milliers de participants joueront aux gendarmes aux voleurs. À ce jeu, sur internet, nous sommes assez souvent perdants, et pas uniquement dans le domaine des jeux en ligne…

Monsieur Marc, je ne suis vraiment pas d’accord avec vous quand vous décrivez la France comme « l’élève docile de l’Union européenne ». Notre pays est attaqué sur ce point depuis bien longtemps et n’a pas trouvé, jusqu’à ce jour, la réponse adéquate. Contester ce fait révèle une méconnaissance du sujet. La seule solution est de séparer le bon grain de l’ivraie, de définir des règles et de faire en sorte qu’elles soient respectées.

Le Gouvernement ferait, dites-vous avec d’autres, le jeu des opérateurs, serait aux mains des intérêts privés, …

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

… bref, aux mains de l’argent sale. Vous soutenez fréquemment ce point de vue, de façon extraordinairement insultante, d’ailleurs, insinuant que les opérateurs de jeu sont des voyous, tandis que vous seriez les seuls détenteurs de la morale.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

M. Éric Woerth, ministre. Une telle attitude est, c’est le moins que l’on puisse dire, agaçante et, en tout cas, insultante.

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Nous vous agaçons, nous le savons, mais notre attitude n’a rien d’insultant !

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Les opérateurs qui recevront l’agrément sont des entreprises employant des salariés. Il n’est pas scandaleux d’être salarié de droit privé servant des intérêts privés, pas plus qu’il n’est scandaleux d’être entrepreneur et de travailler sur internet, à partir du moment où, bien évidemment, on le fait dans un cadre légal.

Les opérateurs qui auront joué pendant la période interdite ne bénéficieront d’aucune amnistie. C’est même tout le contraire ! Le Gouvernement veut remettre les compteurs à zéro et repartir sur de nouvelles bases légales.

Je remercie enfin M. Yvon Collin de son intervention très équilibrée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Monsieur le ministre, en raison de la retransmission télévisée, à dix-sept heures, de la séance de questions cribles thématiques, qui sera présidée par M. le président du Sénat, je me vois dans l’obligation de vous interrompre et de suspendre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’avenir des territoires ruraux.

Monsieur le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été installés à la vue de tous.

La parole est à M. Michel Teston.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le ministre, à l’issue des assises de la ruralité, le chef de l’État a prononcé, le 9 février, un discours sur la nouvelle économie de la ruralité.

Deux constats nous font douter de sa réelle volonté de passer aux actes pour assurer l’avenir des territoires ruraux.

Premièrement, depuis 2002 et encore plus depuis 2007, il n’y a jamais eu autant de mesures aux conséquences défavorables pour les territoires ruraux. En voici quelques exemples.

Pour les services de l’État, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, supprime des postes dans les gendarmeries ou impose la nouvelle carte judiciaire, qui complique encore l’accès à la justice.

Dans les services publics industriels et commerciaux, la tendance est aussi à la réduction de l’offre, particulièrement en milieu rural : diminution de la desserte de gares, accélération du processus de transformation des bureaux de poste en APC ou en RPC, c'est-à-dire en agences postales communales ou en relais-poste commerçants.

En outre, l’État n’a aucune politique pour traiter la question de la diminution de la présence médicale et paramédicale.

Quant à la loi « Hôpital, patients, santé, territoires », elle poursuit la remise en cause de notre système de soins.

Comment ne pas rappeler aussi qu’il a fallu attendre le grand emprunt pour que l’État s’engage enfin pour le haut et le très haut débit ? Cela n’empêchera pas qu’en 2020 les entreprises et les habitants des territoires ruraux figureront encore parmi les 30 % de non desservis.

La seconde raison de notre scepticisme par rapport aux annonces du chef de l’État tient au fait qu’il n’a pas évoqué la charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural, signée en juillet 2006 par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, et plusieurs partenaires.

Or cette charte, ignorée depuis la fin du printemps 2007, pourrait apporter des éléments de réponse en faveur du maintien des activités et des services rendus à la population, sous réserve de lui donner un caractère contraignant.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à le faire ? Est-il enfin prêt à des actes concrets et nécessaires pour assurer l’avenir des territoires ruraux ?

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire

Monsieur Teston, votre panorama ne fait ni dans la modération ni dans l’optimisme.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Vous avez fait une peinture un peu excessive de la réalité !

La conclusion des assises des territoires ruraux, apportée par le Président de la République à Morée, et les suites données à ces assises iront dans le sens de réponses pragmatiques et concrètes, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins en milieu rural dont vous avez parlé.

Le Président de la République a en ce sens annoncé que nous aurions chaque année des crédits pour financer des maisons médicales pluridisciplinaires. Ainsi, 250 maisons médicales seront financées sur trois ans. Des internats ruraux pour la formation des médecins généralistes seront mis en place. Tout cela doit être acté dans un comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires, ou CIACT, présidé par le Premier ministre d’ici le mois d’avril.

Pour les autres services publics, le même CIACT reprendra la charte des services publics pour la rendre opposable. Nous négocions actuellement avec les grandes entreprises de réseau pour faire en sorte que cette charte devienne un point central de la réponse aux attentes des populations qui vivent dans ces territoires ruraux et qui ont besoin de services publics modernes, des services publics du XXIe siècle et non du XIXe siècle !

De la même façon, nous ferons en sorte que l’internet à haut débit soit présent dans tous les territoires ruraux.

Ce sont ces mesures concrètes que nous entendons mener. Je souhaite non pas une énième loi sur les territoires ruraux, mais des mesures concrètes et perceptibles dès maintenant pou répondre aux attentes des populations.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Si l’avenir des services publics en milieu rural est à l’image de ce que nous avons connu ces vingt dernières années, il est sombre, pour ne pas dire sinistré.

Derrière cette problématique, se pose la question de l’égalité des chances entre les territoires et celle de la péréquation. Or celle-ci régresse, tous les chiffres l’attestent. Les rapports sénatoriaux de 2003 et de 2004 de nos collègues Claude Belot et Jean François-Poncet sur la péréquation interdépartementale et sur la péréquation interrégionale sont restés totalement ignorés par les gouvernements successifs.

Jeudi dernier, le 18 février, j’entendais la ministre de l’économie Christine Lagarde affirmer sur une radio nationale que les Hauts-de-Seine devaient aider la Creuse. Cela fait vingt ans que j’entends ce discours ! Ce rééquilibrage ne s’opérera pas mécaniquement ni spontanément. Il doit être imposé par la loi. Or la péréquation ne fait que reculer.

D’où la grande déception qui a été la nôtre à l’issue du discours prononcé à Morée, car le Président de la République n’a pas évoqué l’avenir des zones de revitalisation rurale ou l’actualisation de la loi sur le développement des territoires ruraux de février 2005.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Gérard Le Cam, pour deux minutes maximum.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

L’avenir des territoires ruraux est devenu, ces derniers mois, une des préoccupations majeures du Gouvernement. L’Association des maires ruraux de France a d’ailleurs regretté des délais trop courts et une organisation précipitée.

En 2004, M. Gaymard présentait la loi relative au développement des territoires ruraux comme le texte qui devait favoriser un regain de développement du monde rural.

Force est de constater un échec cuisant de ce texte à l’heure où toutes les productions agricoles sont en crise.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous souhaitez en faire des territoires d’innovation. Derrière cette rhétorique délicieuse se cache difficilement l’énormité des atteintes portées au monde rural par la droite ces dernières années.

Protestations sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Vous pouvez toujours afficher haut et fort vos objectifs, monsieur le ministre, la réalité est la suivante : quels que soient les domaines d’activité, vous avez délaissé et affaibli ces territoires qui vous sont si chers.

Fort heureusement, de très nombreuses collectivités locales de base ont servi d’amortisseur social face à la destruction des services publics poursuivie par l’État.

Et c’est justement à ces collectivités locales que s’attaque le Gouvernement par la réforme territoriale, en les dépouillant de leurs ressources et de leurs compétences.

La présence postale se réduit à des points contact qui n’offrent pas tous les services, notamment bancaires, d’un bureau de poste, et dont les horaires ne sont pas assurés. En matière de transport, l’État s’est totalement désengagé de la desserte des territoires enclavés.

La fracture numérique touche 31 % de la population et 70 % du territoire. Là encore, les territoires ruraux sont les grands oubliés.

La qualité et la proximité des soins ne sont plus assurées : la fermeture de services de chirurgie – 182 blocs opératoires sont menacés – et de maternités touche de plein fouet les zones rurales.

Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à porter une politique en totale contradiction avec les actions menées jusqu’ici par votre gouvernement pour enfin assurer un avenir aux territoires ruraux, un avenir qui se dégage de la désertification et de la dévitalisation auxquelles vous les avez jusqu’ici condamnés ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Monsieur le sénateur, je suis d’accord avec vous sur un point : les territoires ruraux constituent une préoccupation majeure pour le Gouvernement. Nous essayons, après les assises des territoires ruraux, auxquelles 80 000 personnes ont participé, d’élaborer une politique la plus concrète possible en faveur des habitants de ces territoires.

Il s’agit non pas de faire une nouvelle loi, mais, par des mesures concrètes, de marquer la préoccupation du Gouvernement envers ces territoires d’avenir – et ce n’est pas pour moi de la rhétorique, j’en suis convaincu.

Vous avez évoqué la question de la présence postale. Je le dis et je le répète, à vous, monsieur Le Cam, à M. Teston et à l’ensemble des membres du Sénat : la France est le seul pays où la loi garantit la présence de 17 000 points poste. En Europe, aucun autre pays n’a pu acter un tel progrès.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Jusqu’à ce que vous votiez une loi supprimant ces 17 000 points poste ! En tout cas, ce n’est pas ce gouvernement qui en prendra l’initiative. Nous vous laisserons le faire, peut-être avec d’autres, mais nous, jamais !

Nous l’avons dit et répété. Nous avons répondu, sur ce point, à une véritable attente de la population.

Pour ce qui concerne la fracture numérique, le grand emprunt sera mobilisé. Une mission a été confiée à l’un d’entre vous, le sénateur Hervé Maurey, qui est chargé de trouver les voies et moyens pour abonder le fonds numérique créé par la loi Pintat. Nous recevrons très vite les premiers projets émanant des collectivités locales pour répondre précisément à ce besoin de supprimer la fracture numérique.

Donc, sur les deux points que vous avez indiqués, des réponses concrètes peuvent vous être apportées.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Mireille Schurch, pour la réplique, c'est-à-dire pour une minute maximum.

Debut de section - PermalienPhoto de Mireille Schurch

Monsieur le ministre, avec 96 médecins généralistes pour 100 000 habitants, l’Allier a la couverture la plus faible d’Auvergne, qui est une région déjà très mal desservie.

Debut de section - PermalienPhoto de Mireille Schurch

C’est le conseil général qui a dû proposer une bourse pour attirer de jeunes médecins !

Comment le centre hospitalier de Montluçon pourra-t-il retrouver son équilibre financier avec un déficit de plus de 7 millions d’euros ?

Depuis 2001, l’éducation a perdu près de 100 enseignants dans ce département. La fermeture du centre départemental de Météo-France de Vichy-Charmeil est programmée pour 2012. La Protection judiciaire de la jeunesse va être supprimée. La direction départementale de la jeunesse et des sports a perdu deux tiers de ses agents. En deux ans, 15 % des bureaux de poste ont été fermés. Le tribunal de commerce de Moulins a disparu. On ne compte plus les suppressions de trains entre Bordeaux et Lyon et la ligne nationale entre Paris et Ussel est abandonnée.

À l’image du Conseil d’État, qui a qualifié d’erreur manifeste la fermeture du tribunal de grande instance de Moulins, ce dont je me réjouis, …

Debut de section - PermalienPhoto de Mireille Schurch

… les habitants de l’Allier pourraient qualifier d’erreurs manifestes vos mesures, monsieur le ministre, qui dessinent un avenir bien sombre à nos départements ruraux, si vous n’inversez pas radicalement votre politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Claude Biwer, pour deux minutes maximum.

Mes chers collègues, je demande vraiment à chacun de respecter son temps de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, le Président de la République a annoncé une série de mesures en faveur des territoires ruraux. Le Parlement, il y a plus de cinq ans déjà, a voté la loi sur le développement de ces mêmes territoires, sans toutefois que cela se révèle tout à fait adéquat pour obtenir le résultat souhaité.

En effet, la réalité du monde rural, et encore davantage en zone de montagne, est notamment celle d’une dépendance aux transports individuels, répondant à une obligation de mobilité.

Pensez-vous que la taxe carbone ou les solutions simplistes de covoiturage soient pertinentes quand il s’agit de faire dix kilomètres pour aller à la pharmacie ou chez le boucher ?

Le monde rural souffre d’une atonie économique. Les outils d’appui à la création et à l’implantation d’entreprises sont inaccessibles, car ils sont trop nombreux et trop sectorisés. Les démarches sont trop lourdes, trop longues, et les administrations sont peut-être trop nombreuses à s’occuper des mêmes dossiers. Le dysfonctionnement du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, en est l’illustration.

Tout cela pourrait être aménagé par des mesures simples et accessibles à tous. Le Gouvernement ne pourrait-il accompagner les actions des collectivités, qui réalisent de louables efforts pour diverses implantations ?

Monsieur le ministre, ne pourrait-on envisager une authentique péréquation, permettant de véritables actions, ou encore, comme je l’ai souvent proposé dans cet hémicycle, mettre en place des zones franches, des zones franches rurales, cela va de soi, y compris avec les territoires voisins au-delà de nos frontières ? Il serait intéressant d’observer où de telles mesures nous conduiraient.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

En ce qui concerne l’offre de soins, je crois que jouer sur le numerus clausus serait une idée intéressante. Et ne perdons pas de vue que la création d’infrastructures routières et ferroviaires de qualité ainsi que le développement du haut débit constituent des initiatives indispensables.

Monsieur le ministre, je vous remercie des propositions et des solutions que vous pourrez nous apporter.

Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

M. Michel Mercier, ministre. Monsieur Biwer, vous avez posé suffisamment de questions pour remplir toute une séance du Sénat !

Sourires

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Tout d'abord, je rappelle que le Gouvernement est prêt à la péréquation, comme nous l’avons souligné lors du débat sur la taxe professionnelle. Je suis moi-même venu défendre cette idée devant la commission des finances du Sénat.

Le Président de la République, lors de son discours de Morée, nous a engagés à ouvrir très vite le chantier des dotations que l’État verse aux collectivités locales, pour aboutir notamment à une plus grande équité entre les communes rurales et les communes urbaines. J’entends bien mener ce débat, afin que, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, un premier pas au moins ait été franchi dans cette direction.

Monsieur le sénateur, vous avez posé bien d’autres questions encore. Je reviendrai d’un mot sur l’accès aux soins, car il s'agit d’un véritable problème, qui est posé dans tous les cas.

La modification du numerus clausus constitue une réponse intéressante, mais il faudrait attendre dix ans pour en percevoir les effets ! Or, nous savons que nous devons adopter des mesures efficaces avant cette échéance. C’est ce que nous nous efforçons de faire en créant un système de bourses destinées à des étudiants qui accepteront de travailler en milieu rural. Le Président de la République a annoncé que quatre cents bourses seraient accordées dans ce cadre.

La formation, à travers des internats ruraux, peut également constituer une solution adaptée, tout comme les maisons de santé pluridisciplinaires.

Toutefois, un problème global se pose dans notre pays. Je le rappelle, sur dix jeunes qui terminent leurs études de médecine, un seul s’installe comme médecin libéral, en zone urbaine comme en zone rurale, d'ailleurs. Il faut donc revoir l’ensemble de notre médecine libérale.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, pour la réplique, en moins d’une minute !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Monsieur le ministre, je vous remercie de vos réponses. Je suis bien conscient que tous les problèmes ne peuvent être résolus rapidement ni aisément.

Néanmoins, les besoins qui se manifestent dans les zones rurales sont importants et les propos qui sont tenus aujourd'hui révèlent notre inquiétude mais aussi notre espoir de voir la situation évoluer.

C'est la raison pour laquelle nous insistons régulièrement sur la péréquation, surtout à l’heure où la répartition de nombreuses taxes bouge. Nous avons appris avec surprise que la répartition de la DGF, la dotation globale de fonctionnement, pourrait être améliorée, dans le sens d’une plus grande équité. J’en serais pour ma part ravi.

Enfin, comme vous le savez, monsieur le ministre, après qu’une loi a été votée au Parlement, il faut parfois attendre de longues années pour qu’elle entre en application. Espérons que, ensemble, nous trouverons les solutions qui conviennent, avec cette exigence de rapidité que nous évoquions à l’instant.

Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le ministre, je vous en donne acte, vous avez lancé à l’automne dernier les assises des territoires ruraux, et je vous en remercie aussi, car l’événement a suscité la participation de plus de 80 000 personnes. C’est dire combien ces assises étaient attendues !

Les principales préconisations de ces assises ont été annoncées par le Président de la République lors du discours prononcé à Morée, dans le Loir-et-Cher, le 9 février dernier.

Dans les grandes lignes, nous ne pouvons qu’approuver certaines déclarations particulièrement alléchantes : accessibilité améliorée des zones rurales ; initiatives innovantes dans le transport individuel ; développement économique ; commerces, consommation de produits locaux et mise en place de circuits courts ; amélioration des services publics à travers les maisons de santé, les maisons d’assistantes maternelles et les agences postales, entre autres ; réduction de la fracture numérique et soutien au très haut débit, comme l’a préconisé la DATAR, dans un rapport récent ; modernisation des commerces et de l’artisanat, même si, à cet égard, il est difficile de mobiliser le FISAC de façon satisfaisante.

Vous me permettrez, monsieur le ministre, de formuler une proposition qui entrerait dans le cadre de la solidarité territoriale : couvrir les parkings des supermarchés et les toits des grands entrepôts de panneaux photovoltaïques, les bénéfices tirés de la vente de l’électricité ainsi produite étant affectés à un FISAC départemental, afin – disons-le clairement – de soutenir les commerces dans les bourgs ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

M. François Fortassin. Monsieur le ministre, ma question est la suivante : quels fonds allez-vous débloquer pour honorer les propositions qui ont été formulées ? Sans moyens affectés, en effet, le discours du Président de la République restera une brillante allocution, à quelques semaines d’élections régionales dont les observateurs les plus avertis se plaisent à dire qu’elles ne seront peut-être pas si faciles pour votre camp !

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Marques d’agacement sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir rappelé les ambitions et les directions que le Président de la République a tracées pour le monde rural. Vous avez parfaitement rendu compte des propos tenus par le chef de l’État à Morée !

Je vous remercie aussi de votre suggestion relative à l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit des supermarchés. Dans deux heures, je recevrai les responsables d’une entreprise qui, peut-être, s’installera dans l’un des départements de notre pays les plus touchés par la crise économique et qui fabrique justement des panneaux photovoltaïques souples destinés aux toits des usines et des grands magasins. Vous serez donc peut-être bientôt satisfait !

J’en viens aux crédits qui seront débloqués. Un CIACT sera réuni par le Premier ministre d’ici à la fin du mois d’avril, afin d’acter et de financer un certain nombre de mesures.

Nous avons assurément l’obligation d’avancer et de réussir. Certaines des mesures annoncées par le Président de la République sont d’application immédiate. Il s'agit, par exemple, de la création des pôles d’excellence rurale, pour lesquels 190 dossiers avaient été déposés à la DATAR vendredi dernier, dont 70 le dernier jour de l’appel à candidature. Cela prouve que ce dispositif est un succès.

De même, un accord vient d’être signé, sous l’autorité de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, entre les opérateurs de téléphonie mobile, qui s’engagent à couvrir en 3G toutes les zones rurales d’ici à 2013. Cette mesure concrète est extrêmement positive, parce qu’un tel réseau n’est pas encore accessible partout.

D’autres mesures ne sont pas d’application immédiate ; elles seront fixées dans le cadre du CIACT.

En ce qui concerne la fracture numérique, le sénateur Hervé Maurey est chargé de définir et de proposer une méthode…

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

… qui permette, au-delà de la mise en œuvre du grand emprunt, de financer l’installation d’un réseau de très haut débit.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique, en quelques dizaines de secondes…

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le ministre, vous m’avez répondu avec beaucoup de talent, mais vos réponses sont tout de même partielles.

En effet, si l’on voulait équiper le territoire national en fibre optique pour le très haut débit, il faudrait y consacrer pratiquement tous les fonds du grand emprunt ! Je crains que nous ne soyons assez loin du compte, mais je ne doute pas que notre collègue Hervé Maurey fera preuve d’une très grande imagination pour régler ces problèmes !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Faisons confiance à notre collègue Hervé Maurey.

La parole est à M. Rémy Pointereau.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Monsieur le ministre, l’avenir des territoires ruraux peut passer par des mesures nouvelles, certes, mais aussi, tout simplement, par l’amélioration des dispositifs existants.

À cet égard, les zones de revitalisation rurale, ou ZRR, contribuent depuis 1995 à créer des activités dans nos territoires ruraux, ou du moins à faire naître les conditions favorables à leur développement, en attirant des professionnels grâce à des exemptions fiscales et à des exonérations de cotisations sociales. Toutefois, ces mesures n’atteignent pas complètement leur objectif.

Un rapport récent des corps d’inspection de l’État le montre bien sur un point qui me tient particulièrement à cœur : le maintien des activités en milieu rural.

Nous voulons tous attirer des entreprises nouvelles. Toutefois, nous savons que la première des priorités, dans bien des territoires ruraux, c’est d’abord de retenir ceux qui y vivent, c'est-à-dire l’artisan, le boucher, le médecin qui possède son cabinet, bref les activités et les emplois qui existent encore et qui structurent la vie locale.

Or l’exonération fiscale sur les bénéfices réalisés en ZRR ne profite qu’aux seules entreprises nouvelles, et celles-ci sont définies de manière excessivement restrictive.

Un jeune qui reprend une entreprise locale ne participe-t-il pas à la revitalisation du territoire ? Faut-il que l’administration lui refuse le bénéfice des mesures liées aux ZRR pour des motifs difficiles à expliquer et au risque de le voir partir devant l’accumulation des charges ?

Il me paraît donc nécessaire – les auteurs du rapport que j’ai cité formulent la même proposition – d’étendre l’exonération fiscale à ceux qui reprennent une entreprise ou élargissent son activité, ce qui contribuerait également à simplifier l’attribution des aides.

Monsieur le ministre, vous avez montré ces derniers mois votre grande capacité d’écoute, et votre engagement, lors des assises des territoires ruraux. Vous cherchiez des mesures de bon sens : en voilà une…

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

M. Rémy Pointereau. … à laquelle vous serez, je l’espère, particulièrement sensible.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Monsieur le sénateur, vous avez souligné que les ZRR constituaient une mesure concrète pour aider au maintien de l’activité économique dans les territoires ruraux, ce qui est tout à fait exact.

Je voudrais rappeler que, chaque année, le dispositif des ZRR coûte 500 millions d'euros, puisque les exonérations sociales représentent 400 millions d'euros et les exemptions fiscales, 100 millions d'euros. Ce système me semble bon et pertinent, mais il doit être amélioré.

En particulier, le problème de la transmission des entreprises n’a pas encore été réglé. Il s'agit, bien sûr, d’une question essentielle pour le maintien de l’activité artisanale ou des PME dans les territoires ruraux. C'est la raison pour laquelle, dans son discours de Morée du 9 février dernier, le Président de la République m’a confié, ainsi qu’à Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l’artisanat et des PME, le soin de trouver une solution, dans le cadre des ZRR, pour la transmission de ces entreprises.

Nous travaillons actuellement sur ce sujet avec le ministère de l’économie ; le CIACT du mois d’avril prochain, qui sera consacré à la mise en œuvre des assises des territoires ruraux, permettra d’avancer sur ce sujet que je considère comme essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Monsieur le ministre, je suis tout à fait satisfait de votre réponse, même si je crois qu’il faut continuer à libérer les énergies sur nos territoires.

Nous l’avons tous compris, la boîte à outils est là, mais il faut assouplir les dispositifs, car l’administration n’en fait pas toujours la même lecture dans tous les départements.

Il est vrai que les ZRR apportent un soutien indispensable aux zones fragiles et qu’elles répondent à un véritable besoin, constaté sur le terrain. Il est vrai aussi qu’elles souffrent d’un manque de notoriété. Il faudrait communiquer mieux sur cette action. L’évaluation qui a été réalisée dernièrement devrait permettre, je l’espère, de rendre plus lisible le système.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Monsieur le ministre, je vous le rappelle, l’espace rural c’est 70 % du territoire, plus de 14 millions d’habitants, plus de quatre millions de foyers et un quart de l’industrie française, avec tous les emplois qui y sont liés.

Le haut et le très haut débit constituent à l’évidence des enjeux majeurs ; nous devons saisir l’occasion qui nous est offerte. Qu’est-ce que le « haut débit » ? Ce sont des connexions allant de 2 à 100 mégabits par seconde, et même au-delà.

Comment assurer l’accès de tous au haut débit ? Le Fonds national pour la société numérique, que vous avez créé, monsieur le ministre, dispose de 4, 5 milliards d'euros. Or la répartition de ces crédits ne laisse à l’espace rural peu dense que 1 milliard d'euros. Pour 70 % du territoire et 4 millions de foyers, une telle somme sera à l’évidence terriblement insuffisante, surtout compte tenu de la demande, qui est immense !

La distribution de ce fonds semble déjà engagée. Quelque 250 millions d'euros seraient consacrés à la desserte, en cinq ans, de 750 000 foyers, sur un total de quatre millions. Il resterait donc 750 millions d’euros, qui financeraient des projets d’initiative publique.

Monsieur le ministre, je vous demande de nous préciser si cette somme sera consacrée à la desserte, branchement final, ou à la collecte, c'est-à-dire la construction, l’infrastructure, le socle essentiel ? François Fortassin vient de communiquer les chiffres pour le département des Hautes-Pyrénées. La semaine dernière, un contrat d’équipement et d’investissement de 29 millions d'euros a été signé. Le coût global de ce projet s’élève à 60 millions d'euros pour 2011, valeur 2010.

Monsieur le ministre, je vous poserai trois questions.

Premièrement, dans quelle proportion l’État prendra-t-il en charge la dépense pour la collecte et s’agira-t-il de prêts ou de subventions ?

Deuxièmement, comment l’État l’intégrera-t-il dans les projets d’infrastructures déjà engagés ?

Troisièmement, quels sont les critères de sélection des projets établis par le Fonds national pour la société numérique ?

Pour l’espace rural, des problèmes importants se posent qui sont autant d’enjeux.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Je pourrais citer le numérique à l’école, qui est une priorité absolue, la santé et la télémédecine, dont il a déjà été question, l’information géographique, et tant d’autres encore.

Monsieur le ministre, internet est un levier essentiel. On n’a pas le droit de susciter de faux espoirs. La demande qui est formulée aujourd'hui est légitime.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Madame Durrieu, je ne fais que protéger le temps de parole des autres intervenants.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Je remercie Mme Durrieu de ses questions extrêmement précises, qui montrent sa grande connaissance du problème.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Si vous ne cessez de m’interrompre, monsieur Signé, je ne pourrai pas apporter les précisions que le Sénat me demande.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Pierre Signé

M. René-Pierre Signé. Cela peut vous rendre service !

Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

M. Michel Mercier, ministre. Monsieur le président, j’entends faire de mon mieux si M. Signé, que je connais depuis longtemps, ne m’empêche pas de répondre !

Sourires

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Le très haut débit pour tous constitue un objectif du Gouvernement sur lequel il ne faillira pas. Certes, nous ne pourrons pas atteindre l’objectif en un instant, d’un coup de baguette magique. Cela n’est pas possible. C'est la raison pour laquelle une procédure a été mise en place.

Dès le 29 juillet dernier, le Premier ministre a demandé aux préfets d’établir, en liaison avec les élus locaux, les collectivités locales, les conseils généraux et régionaux, des schémas de couverture numérique. C’est à partir de ces schémas que nous entendons travailler. Une aide de 3 millions d’euros a été accordée aux préfets pour mettre en place l’ingénierie nécessaire.

La somme débloquée au titre du grand emprunt sert en quelque sorte à amorcer le processus. Nous savons parfaitement que les 750 millions d’euros que vous avez évoqués ne seront pas suffisants. D’où la mission confiée à votre collègue Hervé Maurey sur le déploiement du très haut débit.

Actuellement, nous sommes dans une phase de consultation des élus et des opérateurs. Le Gouvernement entend faire en sorte que les territoires ruraux soient desservis en même temps que les autres territoires, et non après. Tel est notre but, et nous viendrons régulièrement vous rendre compte de l’avancée des travaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Michel Boutant, pour la réplique, en une minute maximum, afin que notre collègue Simon Sutour puisse poser sa question.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Je vais faire l’impossible, monsieur le président.

Monsieur le ministre, entre le Gouvernement et le monde rural, l’incompréhension est totale !

Je crois le monde rural sacrifié sur l’autel de la rentabilité. Au registre des technologies modernes, haut débit et téléphonie mobile sont deux exemples parlants. Comment la fiscalité générée par 20 % de la population peut-elle permettre l’équipement de 80 % du territoire sans le concours péréquateur de l’État ? De surcroît, le Gouvernement appelle le monde rural à financer les grands équipements structurants, comme les lignes à grande vitesse ou les routes nationales.

Si rien n’est fait, monsieur le ministre, nous serons face à une véritable rupture, avec deux France : une France qui aura accès rapidement aux technologies les plus en pointe, aux soins, à la justice, une autre qui devra se contenter de suivre le progrès de loin.

L’équité à laquelle aspire le monde rural, les départements la permettaient, et parfois la permettent encore. Mais pour combien de temps ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

M. Michel Boutant. Avec la réforme territoriale, vous entravez, vous cassez leurs initiatives. Vous abandonnez le monde rural, déjà très touché dans son activité agricole – crise du lait, crise de la viande, crise des fruits et légumes –, et, du coup, vous le désespérez !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Certes, l’avenir des territoires ruraux est conditionné par une volonté politique nationale, ainsi que le Président de la République l’a exprimée dans son discours de Morée, qui doit se traduire par des mesures concrètes comme le haut débit ou les maisons médicales.

Monsieur le ministre, au nom de la Lozère, ...

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

... j’invite le Gouvernement à organiser le prochain comité interministériel pour l’aménagement et la compétitivité du territoire dans ce territoire de montagne qui peut être un laboratoire expérimental.

Toutefois, cet avenir est aussi conditionné par les capacités de la politique européenne.

Aujourd'hui, l’Europe se trouve dans une période clé où se préparent les décisions budgétaires d’après 2013. Par ailleurs, le traité de Lisbonne a fait de la cohésion territoriale, donc de l’aménagement du territoire, un objectif prioritaire de la politique européenne. Encore faut-il que celui-ci se concrétise dans les décisions budgétaires.

Au moment où le débat sur la politique régionale a été ouvert par des rapports inquiétants, qui ont plus ou moins circulé dans des instances européennes, il nous paraît capital que soit réaffirmée l’exigence d’une politique qui prenne en compte non seulement les besoins des régions des pays les plus défavorisés, les nouveaux entrants par exemple, mais aussi les disparités infrarégionales, par exemple celles qui sont provoquées par les handicaps géographiques ou naturels, comme c’est le cas dans les zones de montagne.

Monsieur le ministre, la semaine dernière, vous avez participé à Saragosse à une rencontre avec vos homologues européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Pouvez-vous nous donner votre sentiment et réaffirmer ici la volonté forte de la France de défendre la mise en place d’une véritable politique de cohésion territoriale à l’échelon européen ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

L’Europe avait su mettre en place une telle politique avec l’objectif 5b.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

La Lozère en avait bénéficié et nous avions démontré qu’elle pouvait être un laboratoire expérimental.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous !

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Monsieur le sénateur, je vous remercie de m’interroger sur les fonds structurels européens, qui sont extrêmement importants pour la France. Même si, dans ce domaine, notre pays est contributeur net, il bénéficie, pour la période qui s’achève en 2013, de 14 milliards d’euros de fonds spécialisés, qui sont essentiels pour promouvoir une politique d’aménagement du territoire.

Il était donc important qu’à Saragosse nous puissions affirmer la position française, qui est de permettre que non seulement les territoires les plus défavorisés mais, plus généralement, toutes les régions bénéficient des fonds structurels pour développer l’ensemble de leurs potentialités. J’ai donc souhaité promouvoir à cette occasion l’idée que la politique de cohésion devait être aussi une politique de développement pour toutes les régions.

Plusieurs États membres ont avancé sur cette idée et nous avons senti que, à Saragosse, nos interlocuteurs étaient favorables au maintien d’une politique de cohésion. Certes, certains États se trouvent dans une situation telle qu’ils ont exigé que l’objectif 1 soit maintenu en priorité, mais tous ont donné leur accord pour que l’ensemble des régions puissent être concernées par les fonds structurels européens après 2013.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

L’exigence de cohésion territoriale, telle qu’elle a été définie dans le traité de Lisbonne, est, pour nous, une notion nouvelle que nous devons faire partager, car elle ne va pas de soi pour tous les États, notamment pour ceux de l’Europe du Nord. Or elle est pour nous essentielle, car elle fait partie de la politique d’aménagement du territoire de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Je remercie M. le ministre de mener ce combat. Il faut que cet objectif de cohésion territoriale ait un contenu et favorise un véritable aménagement du territoire.

Élu de la Lozère, j’ai eu la chance de transformer ce département en laboratoire expérimental pour les programmes de développement intégré européens qui ont conduit à l’élaboration de l’objectif 5b. Tous les responsables des pays ruraux savent l’importance des crédits européens pour stimuler les régions, servir de levier et leur permettre d’aller de l’avant.

Monsieur le ministre, avec les députés européens, avec le Comité des régions d’Europe, nous devons tous nous mobiliser à vos côtés pour que la volonté politique exceptionnelle manifestée dans le traité de Lisbonne trouve sa traduction dans les actes et les décisions budgétaires.

Je le répète, il faut faire de la cohésion territoriale une chance pour l’ensemble de nos pays ruraux, en particulier pour la montagne.

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Monsieur le ministre, 14, 3 milliards d’euros, dont 800 millions d’euros pour le Languedoc-Roussillon, pour la période 2007-2013 : voilà ce que les territoires français, en particulier les territoires les plus fragiles comme les zones rurales, risquent de perdre à partir de 2014, à en croire le document non officiel de la Commission européenne qui préfigure les orientations du futur budget de l’Union européenne pour 2014-2020.

Le « détricotage » des politiques communes est donc en marche. Fonds de cohésion et politique agricole sont en grand danger.

En effet, si aucun chiffre n’est pour l’heure avancé, il semble néanmoins que la Commission européenne présidée par M. Barroso, dont la nomination pour un second mandat a été soutenue par votre gouvernement, se livre à un exercice de liquidation pure et simple de la politique régionale européenne et, par là même, du concept de cohésion économique, sociale et territoriale. En éliminant l’objectif « compétitivité régionale et emploi », elle propose, ni plus ni moins, de supprimer les fonds européens dans 16 États membres sur 27, soit dans 200 régions sur 273.

Je tiens à souligner un paradoxe entre la consécration par le traité de Lisbonne du principe de cohésion territoriale et le fait que la Commission européenne souhaite aujourd’hui renier ce principe fondamental en supprimant les budgets qui contribuent précisément au financement des politiques permettant d’atteindre cet objectif.

Monsieur le ministre, comment les régions fragiles, en retard de développement, frappées par la crise ou en reconversion industrielle, peuvent-elles rattraper leur retard et se remettre à niveau, si elles ne sont pas aidées par le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds européen agricole pour le développement rural ?

L’efficacité des fonds européens n’est plus à démontrer. Leur suppression serait un mauvais signal et contribuerait à élargir le fossé qui se creuse entre nos concitoyens et Bruxelles.

L’élaboration des perspectives budgétaires est lancée pour la période 2014-2020. La suppression de la politique de cohésion serait l’estocade portée aux territoires ruraux.

Monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il conscience de ce danger? Qu’attend-il pour agir ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler la position du gouvernement français sur la politique de cohésion et les fonds structurels européens.

Le document auquel vous faites allusion n’en est pas un à proprement parler.

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

Dans ces conditions, ce n’est pas un document, ...

Debut de section - Permalien
Michel Mercier, ministre

... et c’est tant mieux !

J’ai pu vérifier à Saragosse l’unanimité des vingt-sept États membres sur cette question. Aucun ministre chargé de la politique régionale n’a demandé la suppression de la politique de cohésion. Le gouvernement français y est lui aussi très attaché, d’une part, parce que cette politique de cohésion permet de répondre à de véritables demandes des territoires, d’autre part, parce qu’il s’agit de l’une des rares politiques européennes qui soient visibles pour nos concitoyens. C’est d’autant plus important que, souvent, l’Europe est décriée et accusée de mille maux. Or, grâce à cette politique, elle est présente et mène une action concrète pour les Européens.

Je suis allé à Saragosse pour défendre la position qu’a arrêtée le Premier ministre et qui est simple : il s’agit de maintenir la politique de cohésion, qui s’adresse à toutes les régions pour les aider dans leur développement.

Telle est la position du gouvernement français, mesdames, messieurs les sénateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je prends acte de la volonté de notre ancien collègue Michel Mercier, mais je constate que la réalité n’est pas du tout celle que le ministre décrit !

Yann Gaillard et moi-même travaillons au nom de la commission des affaires européennes du Sénat sur la politique de cohésion. Nous nous sommes rendus à Bruxelles voilà quelques jours et avons rencontré le directeur général du Budget. La situation ne se présente pas du tout comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Entre la volonté de maintenir ces aides et le futur budget de l’Union européenne, le fossé est important. Tout dépendra de la part du revenu national brut des États qui sera consacrée à la politique de cohésion. Actuellement, cette part s’élève à 1, 13 % de revenu national brut, ce qui ne permet pas la poursuite de cette politique.

Certes, on peut tenir de beaux discours, mais la réalité est bien différente : c’est la suppression des fonds structurels européens !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Je souhaite remercier M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, d’avoir accepté de se livrer à cet exercice.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Cette séance de questions cribles thématiques sera retransmise ce soir sur France 3, à une heure assez tardive, en raison de la concurrence que nous font les jeux Olympiques d’hiver.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Jean -Claude Gaudin.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

La parole est à M. le ministre, pour achever de répondre aux orateurs de la discussion générale. Je vous prie une fois encore, monsieur le ministre, de bien vouloir m’excuser d’avoir dû vous interrompre tout à l'heure.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État

Monsieur le président, j’avais à peu près tout dit. Je compléterai mon propos en répondant aux motions de procédure, ce qui nous permettra de gagner du temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je suis saisi, par MM. Vera et Foucaud, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 163, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (210, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à compter du 11 juin prochain, un grand événement sportif d’intérêt planétaire se déroulera à quelques heures d’avion de notre pays, et sans décalage horaire : je veux parler de la Coupe du monde de football, organisée pour la première fois en Afrique, sur les terrains sud-africains.

Dans cette perspective, il conviendrait d’adopter au plus vite un texte dont la discussion par le Sénat n’a que trop tardé – il a été examiné en octobre dernier par l’Assemblée nationale –, au risque d’ôter tout son sens au droit parlementaire.

Aussi M. le rapporteur a-t-il émis le vœu, par voie de presse, bien que ce projet de loi ne fasse pas l’objet de la procédure accélérée, que l’Assemblée nationale adoptât conforme le texte issu des travaux du Sénat, en vue d’une promulgation rapide, avant même le coup d’envoi du premier match de la compétition en question…

Le problème est que ce texte est mal ficelé, qu’il recèle un grand nombre de dangers et semble ne constituer que le moyen, pour quelques groupes financiers, de réaliser de juteux bénéfices, à terme, sans avoir à supporter trop de contraintes, alors même que l’ensemble du secteur connaît une phase de relative stagnation, le volume des enjeux ne progressant plus, ni pour la Française des jeux, ni pour les paris hippiques, ni, , dans les casinos. Tout se passe comme si la pratique des jeux d’argent avait atteint une sorte de palier.

Une partie importante du texte décrit par le menu la problématique du développement des jeux d’argent et de hasard. Qui pourrait décemment contredire les vertueuses déclarations de principe contenues dans les premiers articles ?

Non, les jeux d’argent et de hasard ne relèvent pas d’un commerce ou d’un service traditionnel ! Vendre du rêve et exploiter les illusions, ce n’est pas une activité ordinaire.

Oui, la pratique du jeu peut conduire à l’addiction, présenter des risques pour l’ordre public, favoriser le « lessivage » de sommes d’argent issues des trafics les plus divers.

Cela nous amène à rappeler que certains des casinos les plus actifs de France sont situés aux frontières de pays où le secret bancaire le dispute à l’hypocrisie s’agissant des dépôts effectués dans les établissements de crédit. Ainsi, les casinos de la Côte d’Azur sont proches de la principauté de Monaco et de l’Italie, tandis que la belle activité de ceux d’Amnéville, de Divonne-les-Bains ou de Haute-Savoie s’explique sans doute en partie par le voisinage du Luxembourg ou de la Suisse…

Cependant, une fois rappelés les grands principes, le texte présente une batterie complète et complexe de dérogations, c’est-à-dire que l’on se livre à l’un des exercices favoris de la loi française, consistant à oublier l’intérêt général au profit de certains intérêts particuliers.

Ainsi, pas de disposition relative à la mise en location, à titre onéreux, des actifs incorporels de nos grands clubs sportifs sans la volonté de quelques-uns – on peut penser à certains clubs dont je tairai les noms, mais que chacun dans cette enceinte devinera – de dégager une capitalisation nouvelle en louant leur nom et leur « image » à quelque opérateur de paris sportifs en ligne !

Pas de facilitation de la mise en place des jeux en ligne s’il n’y avait cette évidence, qui saute aux yeux au terme d’une « promenade cybernétique » sur les sites tant des principaux groupes casinotiers de notre pays que des opérateurs exclusifs, que ces acteurs sont d’ores et déjà fin prêts pour le moment où les jeux virtuels seront pleinement autorisés et ont décidé de nouer les alliances nécessaires à l’exploitation la plus rentable possible de cette nouvelle poule aux œufs d’or.

L’ouverture à la concurrence sera donc toute relative, parce qu’elle interviendra dans un univers où cette dernière est d’ores et déjà assez largement battue en brèche. Ainsi, le développement, ces dernières années, du groupe Lucien Barrière a tenu autant à l’obtention de l’autorisation d’exploiter des machines à sous qu’au rachat des actifs et des casinos du groupe hôtelier Accor, qui s’est désengagé de ce secteur. La même remarque vaut pour le groupe Partouche, qui a fait main basse sur la Compagnie européenne de casinos avant de racheter les cinq établissements détenus par Didot Bottin. Voilà comment se sont créés deux groupes pesant chacun 30 % du marché et qui, après avoir développé le poker sur table dans des salles dédiées de leurs établissements, s’apprêtent évidemment à le développer « en ligne ».

Nous voici donc confrontés au premier élément clé du débat : l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard, le développement du poker virtuel, des courses de chevaux simulées et des paris sportifs à cote découleraient des textes fondateurs de l’Union européenne, et singulièrement de leur dernière mouture, le traité de Lisbonne.

Une fois encore, au motif que notre pays a ratifié ce texte, sans consultation de la population, et même en effaçant, par le biais d’un Congrès, vite expédié d’ailleurs, le sens du vote des Françaises et des Français du 29 mai 2005, nous devrions nous plier à l’application pleine et entière du sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée, dont les contours sont précisés par l’article 49 du traité de l’Union consolidé, relatif à la liberté d’établissement.

Toutefois, il existe malgré tout une exception à ce principe, exception rappelée à l’article 52 dudit traité : « Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l’applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. »

En clair, l’Union européenne reconnaît aux États membres la possibilité de s’opposer légalement à la publicité pour la consommation d’alcool ou de tabac – la loi Évin est « eurocompatible » de ce point de vue – ou à l’établissement d’une entreprise étrangère, qu’il s’agisse d’une société de personnes ou de capitaux, dès lors que l’ordre, la sécurité ou la santé publics seraient en jeu.

Nous sommes ici au cœur du sujet, avec l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard ! Vendre du rêve peut, hélas ! conduire certains joueurs aux dernières extrémités, ce qui crée de sérieux problèmes, bien réels, eux, pour leur entourage ou la société dans son ensemble. Et c’est bien de cela dont il est question en matière de jurisprudence européenne sur les jeux.

Le moins que l’on puisse dire, en effet, c’est que la législation européenne, si elle avance souvent pas à pas vers l’indépassable horizon radieux de la concurrence libre et non faussée à coups de directives et de sommets intergouvernementaux, progresse aussi avec les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne.

En effet, depuis le 30 mars 2009, jour où le projet de loi fut déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, la jurisprudence européenne s’est enrichie de l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa, relatif aux jeux et paris pratiqués au Portugal. Comme la France, le Portugal est un pays à droits exclusifs en matière de gestion et d’organisation des jeux : une structure unique y gère l’ensemble des jeux de hasard autorisés, qu’il s’agisse de la loterie nationale, de l’équivalent de ce que l’on appelle l’Euro Millions ou encore des paris sur les matchs de football. Quand on connaît l’intérêt des Portugais pour le jeu de balle au pied, leur attachement fréquent aux destinées d’un des trois ou quatre grands clubs du pays, on mesure l’enjeu !

Comme son nom l’indique, Santa Casa da Misericordia est, d’abord et avant tout, une œuvre sociale d’origine religieuse, créée au xviie siècle par autorisation royale pour exploiter les jeux de loterie alors existants afin de financer, faute d’autres moyens et de dépenses publiques dédiées, les œuvres de charité au profit des plus pauvres. Ses droits exclusifs ont perduré, malgré les aléas de la vie politique portugaise et les attaques des opérateurs de paris sportifs, singulièrement Bwin, intéressés par le fructueux marché des paris sur les matchs de football organisés par la Liga Portuguesa.

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 9 septembre dernier constitue de fait, qu’on le veuille ou non, l’affirmation d’une exception manifeste au principe de libre concurrence qui habite la construction européenne. Qu’il ne figure pas dans les précédents rapports de notre collègue François Trucy est évidemment logique, même si ceux-ci font état de décisions antérieures, dont l’application est au demeurant variable – je ne reviendrai pas ici sur les arrêts Gambelli ou Schindler.

Il est moins logique, en revanche, que l’on ne procède pas, en l’absence d’une législation cohérente, à une analyse plus complète d’une jurisprudence qui ne nous est présentée que comme « complexe » – alors que cela participe de la nature même d’une jurisprudence, puisqu’elle découle d’une exégèse des principes. Qu’attend donc la France pour se placer au premier rang de l’action en vue d’une harmonisation de la législation sur les jeux d’argent et de hasard, en affirmant avec plus de force encore le droit des autorités publiques nationales à déroger au principe communautaire de concurrence libre et non faussée ?

En effet, l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa établit qu’un État est fondé à faire obstacle, en matière de jeux de hasard et d’argent, au libre établissement d’un opérateur soit pour des motifs de tranquillité et d’ordre publics, surtout si les transactions doivent s’effectuer en mode virtuel, soit pour des motifs d’intérêt général – ce que la Cour de justice de l’Union européenne appelle « l’intérêt public » –, que cet opérateur soit installé dans un autre pays de l’Union ou sur notre territoire par le biais d’une succursale.

Or le Portugal, étant donné le rôle joué par Santa Casa da Misericordia, exploitant de jeux d’un genre certes un peu particulier, qui finance notamment des orphelinats, des hôpitaux, des œuvres au profit des personnes handicapées, relève à l’évidence de ce second cas de figure. La même remarque pourrait fort bien valoir pour l’Espagne, où la loterie nationale est organisée au bénéfice des aveugles. Je crois toutefois savoir que les paris sportifs y ont été largement ouverts à la concurrence…

De même, dans notre pays, ce n’est pas d’hier que les loteries et jeux d’argent servent de sources de financement pour des causes tout à fait estimables. Par exemple, à proximité du Sénat, la construction de l’église Saint-Sulpice et du Panthéon a été financée grâce à des loteries organisées par les autorités ecclésiastiques. Depuis lors, nous avons largement affecté les prélèvements sur les jeux à des missions d’intérêt général : je pense notamment à l’œuvre des Gueules Cassées – qui possède notamment le château de Moussy-le-Vieux, devenu l’un des principaux établissements de la Française des jeux –, au financement des Hôpitaux de Paris, de l’adduction d’eau en milieu rural et de l’élevage des chevaux de course, au développement des pratiques sportives.

Au demeurant, tout laisse à penser que l’on escompte de l’élargissement de l’offre de jeux un accroissement des sommes misées par les Français – devons-nous le souhaiter ? –, qui aurait le double avantage d’amortir les effets de l’ouverture à la concurrence et de fournir, en tout ou partie, de nouvelles sources de financement de missions d’intérêt général. À la vérité, on sait pertinemment, sur la base des plus récents chiffres disponibles, que les mises de nos compatriotes ne progressent pas sensiblement. Bien au contraire, l’évolution du chiffre d’affaires de la Française des jeux, du PMU ou des casinos donne le sentiment que nous sommes parvenus à un palier difficilement dépassable. L’ouverture à la concurrence risque donc de ne se traduire que par une redistribution des cartes entre les opérateurs, sans doute au détriment de l’équilibre général du secteur économique et des activités qu’il recouvre. En fait, nous pourrions assister non seulement à la dématérialisation des transactions, mais aussi à celle des emplois…

Les risques sont réels pour l’économie du secteur hippique, depuis les éleveurs jusqu’aux points-courses du PMU, qui sont bien souvent parmi les derniers commerces de nos villages, ainsi que pour les communes ayant confié aux opérateurs de la profession la gestion de leur casino, dont le volume d’affaires pourrait souffrir du transfert des joueurs vers les casinos virtuels et les paris sportifs en ligne, et pour l’ensemble des bénéficiaires des prélèvements fiscaux et sociaux sur les jeux, s’agissant notamment du développement de la pratique sportive.

L’ensemble des emplois et des activités liés à l’existence des systèmes de droits exclusifs et de réglementation est donc directement remis en cause par ce projet de loi, avec tout ce que cela implique.

Bien entendu, certains pensent que le développement du jeu virtuel, en particulier du poker en ligne et des paris sportifs, notamment sur les matchs de football, vise à toucher une nouvelle clientèle, correspondant grosso modo aux personnes âgées de 18 à 40 ans, de la même manière que l’installation des machines à sous a attiré vers les casinos un public qui n’y entrait pas jusqu’ici. En outre, d’aucuns estiment que l’ouverture à la concurrence permettra de « faire le ménage » dans une offre pour l’heure illégale. Pour notre part, nous ne sommes pas convaincus de l’utilité de voter une loi destinée à complaire à quelques personnalités choisies en haut lieu.

On risque fort de bouleverser, sans aucun avantage pour la collectivité, au contraire, un secteur dont l’activité est équilibrée, où la prévention du risque addictif est largement mise en œuvre, qui procure quelques ressources à des secteurs en manquant quelque peu par ailleurs – ne poussons pas trop loin la comparaison entre budget des sports et CNDS !

Appliquons donc les textes existants pour réprimer les comportements illégaux de certains opérateurs de jeux, mes chers collègues, et ne votons pas ce projet de loi ! Nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

M. François Trucy, rapporteur de la commission des finances. Pourquoi le groupe CRC-SPG souhaite-t-il le rejet de ce texte ? Estime-t-il que les jeux d’argent et de hasard sont une activité comme les autres ? La majorité de la commission des finances du Sénat ne le pense pas, à l’instar de l’État, qui a toujours considéré que ce secteur réclamait une surveillance particulière, difficile, coûteuse mais indispensable.

Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Le groupe CRC-SPG aurait grand tort de penser que notre système actuel de gouvernance des jeux est parfait. Nous-mêmes ne le pensons pas. La commission des finances se penche sur ce sujet depuis dix ans, comme en témoignent ses travaux passés. En 2002 et en 2006, elle a réclamé des réformes majeures dans ce domaine. Ces années de travail approfondi ont placé le Sénat dans une position très forte pour aborder aujourd’hui ce débat difficile. Nous prenons acte de votre opinion, monsieur Foucaud, mais la majorité de la commission des finances pense que le présent texte permettra d’améliorer la situation actuelle.

Les membres du groupe CRC-SPG ignorent-ils la situation dramatique de ces personnes qui, oubliant que le jeu est un divertissement, ont sombré dans une addiction catastrophique ? Endettement, familles détruites, pertes d’emploi, délits, voire pis encore ! Ces « accidentés du jeu » sont particulièrement vulnérables face au jeu en ligne : c’est une raison de plus pour légiférer dans ce domaine, par exemple en prévoyant que le fichier des interdits de jeu volontaires du ministère de l’intérieur soit dès le premier jour opérationnel et opposable aux opérateurs. Le projet de loi apporte, sur ce point précis, des solutions extrêmement précieuses et faciles à mettre en œuvre.

Entendez-vous rejeter un texte qui, pour la première fois, prend en compte officiellement l’addiction au jeu et prévoit des moyens puissants de prévention et de soins ? Le groupe CRC-SPG n’estime-t-il pas comme nous que la protection des mineurs à l’égard du jeu doit être renforcée ? Le Gouvernement a raison de craindre que l’informatique, internet, les nouvelles technologies n’offrent aux enfants et aux jeunes gens, qui sont particulièrement à l’aise dans ce domaine, d’amples moyens de contourner impunément la loi et les consignes parentales – quand celles-ci existent !

Le projet de loi prend en compte ce problème. Il contient de nombreuses dispositions indispensables, visant à remédier aux difficultés rencontrées par les pouvoirs publics dans ce domaine. Monsieur Foucaud, comment pouvez-vous supporter la mise en place et le développement d’un marché du jeu en ligne complètement illégal, qui ne respecte aucune loi, aucun règlement de notre pays, qui n’exclut pas les mineurs, ignore le fichier des interdits de jeu, ne paye aucune taxe, aucun impôt et n’apporte à ses clients aucune aide pour les protéger de l’addiction, ou du moins des conséquences les plus graves de celle-ci ?

Pour notre part, nous voulons tenter de réguler, d’encadrer, de moraliser ce secteur d’activité. Si l’État ne le faisait pas, il serait coupable ; si le Parlement se dérobait, ce serait inacceptable. Même le groupe socialiste, par la voix de M. Marc, a reconnu qu’il était nécessaire de faire quelque chose, étant entendu qu’il ne partage pas les options du Gouvernement.

La majorité de la commission des finances estime donc que le présent projet de loi est indispensable et elle demande au Sénat de rejeter la motion du groupe CRC-SPG tendant à opposer la question préalable.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Je suis évidemment de l’avis de M. le rapporteur : il serait impensable de rejeter sans débat ce projet de loi, car il est nécessaire de donner de nouvelles règles d’organisation au secteur des jeux d’argent et de hasard. Pourquoi avoir peur d’agir dans ce domaine ? La crainte est mauvaise conseillère, il convient au contraire d’être positif pour remédier à une situation inacceptable, qui voit les jeux illégaux se développer partout dans le monde. Chaque État essaie de trouver une solution : ni l’interdiction ni le laisser-faire ne donnant de résultats satisfaisants, nous avons beaucoup travaillé et consulté pour définir une voie équilibrée, consistant en une libéralisation maîtrisée de ce marché.

Il est à l’évidence urgent d’agir, d’autant que se dérouleront bientôt des manifestations sportives qui draineront beaucoup d’argent, comme ce fut le cas pour certains récents tournois de tennis ou matchs de football. En outre, certains de nos présidents de club sont ébranlés par des pressions auxquelles d’autres pays ont déjà cédé depuis bien longtemps. La France, quant à elle, a essayé de faire respecter son cadre légal, avec toutes les difficultés que cela peut supposer ; il est maintenant nécessaire de l’adapter aux nouvelles technologies.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Bien sûr, il faut faire quelque chose ; nous-mêmes l’avons affirmé. Nous reviendrons au cours de la discussion des articles sur les propos de M. le rapporteur et de M. le ministre. Pour l’heure, je m’en tiens là, puisque j’ai dépassé mon temps de parole en présentant cette motion…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je mets aux voix la motion n° 163, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

La motion n'est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je suis saisi par MM. Marc, Lozach, Bérit-Débat et Daudigny, Mme Blondin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 32, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des finances le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (210, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Claude Bérit-Débat, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Le texte dont nous allons débattre est important à plus d’un titre. Légiférer sur les paris en ligne, c’est en effet intervenir sur un sujet qui recoupe des problématiques connexes touchant à une multitude de domaines complémentaires.

Ce texte concerne d’abord, bien sûr, la définition du jeu en France, sa légalité et, par là même, notre conception de l’intérêt général. Il nous amène également à nous interroger sur la dimension morale de l’action publique et sur les dispositifs de lutte contre les addictions. Enfin, il nous invite à repenser le financement du sport.

Bref, ce projet de loi soulève des questionnements multiples, qui appellent des réponses soigneusement pesées.

Pourtant, le contexte dans lequel s’inscrit cette discussion est tel que nous avons l’impression que les jeux sont faits et que le résultat est connu d’avance. N’y a-t-il pas déjà près de 5 000 sites illégaux ? Plusieurs millions de Français ne parient-ils pas d’ores et déjà en ligne, en toute illégalité ? Surtout, les paris en ligne représentent un chiffre d’affaires de près de 2 milliards d’euros, une croissance à deux chiffres étant attendue pour les années à venir : il serait tout de même dommage de se priver d’une telle manne…

Puisque nous sommes mis devant le fait accompli, il n’y aurait donc plus qu’à se résoudre à l’inévitable ! Il faudrait ouvrir le secteur des jeux en ligne à la concurrence et tenter, dans la mesure du possible, de le réguler. On a même l’impression que le Parlement est considéré comme un empêcheur de tourner en rond : au fond, puisque tout est prêt, qu’attend-il pour légiférer ?

Au nom du pragmatisme, le Gouvernement nous propose donc de libéraliser les jeux et paris en ligne. Plutôt que de pragmatisme, je parlerais d’ailleurs de renoncement de l’État à exercer ses missions fondamentales, et ce au nom d’intérêts économiques bien connus, dans le domaine des médias notamment. Pis, on nous demande d’agir dans la précipitation, en nous imposant de délibérer d’un texte comportant beaucoup trop de zones d’ombre et d’incertitudes pour qu’il puisse être examiné à la va-vite.

Tout cela amène le groupe socialiste à demander le renvoi à la commission de ce projet de loi.

Officiellement, la précipitation dans laquelle nous débattons est justifiée par le fait que, à l’heure des sociétés en réseau et alors que des millions de Français jouent et parient en ligne, il serait incongru que la France ne se dote pas en urgence d’un dispositif normatif de régulation.

La situation actuelle est effectivement ubuesque : le jeu est interdit, mais les Français peuvent jouer en ligne en toute impunité, dans la plus parfaite illégalité. Cependant, il n’y a là rien de nouveau !

À la vérité, cette précipitation tient plutôt au fait que la perspective de la prochaine Coupe du monde de football aiguise les appétits des opérateurs en ligne, pressés de profiter de l’aubaine, opérateurs qui ont bien de la chance puisque, pour leur permettre de développer leur activité, l’État a décidé de revenir sur un principe historique du droit français !

C’est bien là le plus surprenant : en droit français, le principe était l’interdiction du jeu et son autorisation l’exception ; avec ce texte, ce sera désormais l’inverse, et je ne suis pas sûr que cela constitue vraiment un progrès.

Je trouve d’ailleurs quelque peu surprenant ce discours résigné devant l’évolution des techniques : en promouvant la loi HADOPI, le Gouvernement s’est montré autrement plus volontariste et coercitif ; c’est ce volontarisme qui manque au présent projet de loi. J’en veux pour preuve le fait que la libéralisation des jeux en ligne nous a été présentée comme une exigence européenne, alors que la Cour de justice de l’Union européenne, par une décision récente – le fameux arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa du 8 septembre 2009 –, a seulement rappelé qu’il n’est possible d’instaurer un monopole que de manière proportionnée et non discriminatoire, si des raisons impérieuses d’intérêt général le justifient. Au fond, cela signifie que chaque État a le droit d’adopter la législation qu’il souhaite à condition qu’elle soit cohérente avec les principes invoqués. La Cour de justice de l’Union européenne exige donc non pas qu’il soit mis fin au monopole de la Française des jeux et du PMU, mais que ce monopole soit justifié.

Or, dans le même temps, le Gouvernement affirme lutter contre l’addiction, tandis que l’offre de jeux s’accroît continuellement. Il y a là un décalage entre les mots et les actes qui place la législation française en porte-à-faux.

Vous auriez pu, monsieur le ministre, vous inspirer d’une tout autre philosophie en élaborant votre projet de loi : vous auriez pu considérer que, même en ligne, les monopoles existants pouvaient demeurer. Vous avez fait le choix inverse, celui de la libéralisation.

Ce choix a une conséquence majeure. Comme tout marché qui se crée, celui des jeux est appelé à se développer de façon très importante, ce qui veut dire que, directement ou indirectement, la libéralisation des jeux en ligne encouragera la pratique du jeu. Est-ce bien conforme à l’intérêt général ?

Cette question est fondamentale. Elle est au cœur du débat : s’il est plus facile de jouer grâce à internet, la pratique du jeu est-elle pour autant profitable à la société ? Le présent texte répond à cette question par l’affirmative, de manière dogmatique. Au fond, il serait socialement acceptable d’encourager le jeu, pour autant que l’on dresse quelques garde-fous. Je parle de dogmatisme à dessein, car la libéralisation des jeux et paris en ligne n’offre pas de garanties suffisantes au regard du respect de l’intérêt général.

Ce texte souffre de plusieurs carences, notamment de l’absence d’une véritable étude d’impact. Je me permets d’ailleurs de rappeler que, depuis la révision de juillet 2008 de la Constitution, et selon la loi organique du 15 avril 2009, les projets de loi doivent faire l’objet d’une étude d’impact. À mon sens, l’absence d’une telle étude est révélatrice de la précipitation dans laquelle le texte a été rédigé, quoi que M. le ministre ait pu en dire tout à l’heure.

On ne sait rien des conséquences qu’entraînera l’application du dispositif présenté, si ce n’est qu’elle sera très profitable, sur le plan économique, à certains, et particulièrement désastreuse pour beaucoup d’autres ; on cherche à maximiser les avantages économiques du jeu en ligne, sans s’attaquer à ses inconvénients.

Même en l’absence d’étude d’impact, il nous faut pourtant essayer d’analyser ce projet de loi. Le bilan est très mitigé…

Je commencerai par évoquer la lutte contre l’addiction.

Avec les jeux en ligne, nous allons assister à l’augmentation mécanique et massive du nombre des cas d’addiction. Les dispositifs proposés pour combattre cette dernière sont clairement insuffisants : une fenêtre d’avertissement sur un écran d’ordinateur n’a que peu d’effet sur un joueur « accro ».

De même, à quoi bon limiter le montant des mises si rien n’est prévu contre la répétitivité de l’acte de jeu, qui est aussi un facteur important d’addiction ?

Surtout, les solutions préconisées sont toutes a posteriori. Il aurait été préférable de prévoir de vraies solutions a priori, afin d’éviter que les Français ne tombent dans l’engrenage infernal du jeu.

À ce titre, on peut regretter que des études plus approfondies n’aient pas été réalisées sur la question et que cette dimension de la lutte contre l’addiction soit à ce point délaissée.

Le plafonnement des prélèvements distribués à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé est, à cet égard, révélateur : la somme prévue ne représente qu’une goutte d’eau par rapport aux profits que les jeux en ligne vont engendrer ! Dans le texte, le coût social de la libéralisation du jeu n’est envisagé que de façon marginale. Cela est d’autant plus préjudiciable que le modèle économique des jeux en ligne sera redoutablement efficace pour inciter les Français à jouer. Un triptyque télévision-publicité-jeux en ligne se crée autour d’opérateurs engagés dans les médias, et on peut craindre un véritable conditionnement des esprits.

Le danger est réel ; le Gouvernement prendra peut-être sa mesure lorsqu’il constatera que, comme en Australie, les coûts de l’addiction sont supérieurs aux recettes fiscales !

Le volet fiscal constitue un deuxième aspect particulièrement inquiétant de ce texte.

L’objectif étant surtout de ne pas pénaliser économiquement les opérateurs, la fiscalité prévue pour les jeux en ligne est substantiellement réduite par rapport à celle des jeux en dur. L’essor du jeu sur internet engendrera un effondrement des recettes fiscales liées à ces derniers ; il en résultera, pour l’État, un manque à gagner estimé à près de 2 milliards d’euros. On aboutit donc au paradoxe suivant : pour compenser ces pertes, l’État devra s’en remettre à l’effet volume. Autrement dit, il aura tout intérêt à ce que les Français jouent toujours plus.

C’est un choix discutable, qui mérite pour le moins un examen plus attentif, examen auquel, contrairement à ce qu’a affirmé M. le ministre, il n’a pas été procédé.

J’en viens à l’autorité de régulation des jeux en ligne. Sur ce sujet encore, une réelle impréparation transparaît.

La commission des finances du Sénat a estimé que le coût annuel de fonctionnement de l’ARJEL serait de 10 millions d’euros par an. Or, du fait de la baisse des prélèvements opérés sur la Française des jeux et le PMU, il faudra trouver 5 millions d’euros pour financer ce coût. En d’autres termes, et aussi surréaliste que cela puisse paraître, soit le contribuable sera sollicité, soit on incitera les Français à jouer davantage pour financer le manque à gagner ! Peut-on honnêtement prétendre, après cela, vouloir lutter contre l’addiction ?

La régulation des jeux en ligne se fait donc a minima, comme en témoigne aussi la définition très large des jeux de cercle figurant dans le projet de loi, pourtant censée ne s’appliquer qu’au poker. Est-ce à dire que l’on autorise aujourd’hui le poker en ligne pour mieux autoriser demain toute la gamme des jeux de cercle ? Il est nécessaire d’apporter une précision sur ce point.

Dans tous les cas, on le voit, c’est l’offre de jeux qui est favorisée plutôt que son encadrement.

Le texte devrait également être beaucoup plus précis sur le financement du sport amateur. En effet, le Centre national pour le développement du sport, le CNDS, est doté d’un budget de 227 millions d’euros pour 2010, 154 millions d’euros provenant d’un prélèvement hors paris sur la Française des jeux. Le basculement du jeu physique vers internet entraînera mécaniquement une baisse correspondant à la moitié de ce montant. Autrement dit, le maintien à niveau constant du financement du sport amateur exigera, lui aussi, un accroissement du nombre de joueurs en ligne, alors que, pour bien fonctionner, le sport amateur doit pouvoir s’appuyer sur une concertation, ainsi que sur des mesures de financement solides et –n’ayons pas peur de le dire – moralement acceptables. Ce n’est pas le cas en l’occurrence.

Le problème de la solidarité dans le sport est donc une nouvelle fois posé. Il y aura une inégalité entre les petits clubs et les gros, doublée d’une inégalité entre petites et grosses fédérations. Cela illustre l’absence de prise en compte des intérêts du mouvement sportif en général, au profit des gros clubs, notamment de football ou de rugby.

Enfin, le texte consacre une pratique tout à fait pernicieuse : celle des crédits extrabudgétaires. Le Centre des monuments nationaux sera ainsi doté du produit d’un prélèvement de 10 millions d’euros sur les jeux et paris. La commission de la culture nous a invités à nous en réjouir. Hier, des crédits extrabudgétaires étaient prévus pour le sport ; aujourd’hui, la culture et le patrimoine en bénéficient : demain, à qui le tour ?

Au total, au vu de tous ces éléments, on comprend mieux pourquoi le Gouvernement souhaite aller vite. Certes, il y a des impératifs, tels que la prochaine Coupe du monde de football. Mais il y a une autre raison : condamné à aller plus vite, le Parlement n’aura pas le temps de corriger tous les défauts et approximations de ce texte.

J’ai commencé cette intervention en disant que le Parlement était en quelque sorte l’empêcheur de tourner en rond des paris en ligne. En tant que législateurs, nous devons surtout agir de manière responsable, après avoir apprécié les implications du texte, qu’elles soient économiques, sociales ou, surtout, relatives à la santé publique.

Le Sénat ne doit pas être mis devant le fait accompli ; il incombe au Gouvernement de prouver le bien-fondé de ses choix. Nous sommes malheureusement encore loin du compte ! C’est pourquoi je demande à la Haute Assemblée, en vertu de l’article 44 du règlement, de décider le renvoi à la commission des finances du projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Je suis atterré par les propos de M. Bérit-Débat. J’ai bien noté que seule la commission des finances du Sénat aurait mal œuvré : celles des affaires sociales et de la culture ne sont pas mises en cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Pourtant, nous avons beaucoup moins travaillé que vous !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

La commission des finances n’a donc pas été à la hauteur de la tâche qu’on lui avait confiée. Je voudrais pourtant apporter la preuve de notre bonne volonté, sinon de notre talent…

Les 136 auditions que j’ai conduites personnellement seraient insuffisantes. Dans l’objet de sa motion, M. Marc va d’ailleurs jusqu’à affirmer que la commission des finances n’a pu procéder à ces auditions. Il faut donc croire que c’est pour rien que nous avons consacré plus de 400 heures à entendre quelque 300 personnes : quel gaspillage ! Les enquêtes et les expertises ont été tout aussi inutiles, les interminables séances de travail avec les ministères n’ont servi à rien. Ridicules et bons pour la poubelle, les deux volumes du rapport de la commission !

Un renvoi du texte à la commission signifierait aussi que, outre l’insuffisance notoire du travail de son rapporteur, la commission des finances n’a pas su défendre son point de vue face au Gouvernement et qu’aucun de ses soixante-cinq amendements n’avait la moindre utilité.

Mais, à ce propos, quel a été le comportement du groupe socialiste ? A-t-il participé au travail de la commission ? En fait, il a refusé de présenter ses amendements devant elle, préférant les réserver à la séance publique. J’entends encore Mme Bricq nous expliquer que, pour l’opposition, présenter des amendements en commission était un piège. Mais de quelle sorte de piège s’agit-il là ? Défendre ses idées en commission, est-ce tomber dans un piège ? Affronter les discussions au sein de l’instance saisie au fond, est-ce un piège ?

En vérité, par son attitude, le groupe socialiste a délibérément gâché une chance d’améliorer le travail en commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. C’est pour cela qu’ils veulent retourner en commission !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Vous n’avez pas voulu participer à la discussion en commission, celle qui compte le plus, parce qu’elle est exempte des effets de manche, des déclarations théâtrales et péremptoires, du formalisme et de l’ennui dans lesquels nos séances publiques s’enlisent trop souvent, il faut bien le dire.

Pis encore, mes chers collègues, la commission n’a pu connaître que trop rarement votre avis sur les dispositions du projet de loi et sur les amendements. Lors de l’examen des cinquante-huit articles du texte par la commission, le groupe socialiste nous a opposé cinquante-huit silences !

Essayons de comprendre cette attitude ; ce n’est pas commode.

Devant la commission, M. Marc, que je cite respectueusement, a tenu les propos suivants : « Il y a dans ce texte, qui était sans doute nécessaire, un certain nombre de dispositions qui sont aujourd’hui nécessaires du fait que l’internet a ouvert complètement le champ. » Il a ensuite ajouté : « Oui pour la protection accrue, pour la sauvegarde apportée en matière de santé publique et de lutte contre l’addiction. » Nous sommes donc d’accord ! Pourquoi ne pas en discuter ? Où est cette libéralisation de l’accès aux jeux que vous dénoncez ? Pensez-vous vraiment que les activités de la Française des jeux et du PMU ne relèvent pas du libéralisme, fût-il éclairé ? En revanche, il est vrai que le projet de loi vise à mettre fin à l’existence de la jungle illégale qui s’est développée en matière de jeux en ligne.

M. Marc craint enfin que les opérateurs ne soient « pas toujours très regardants sur les questions d’ordre public ». Vous avez raison d’être exigeant à l’égard des opérateurs, mon cher collègue, mais si vous examinez le texte avec davantage d’attention, vous constaterez qu’il comporte une multitude de dispositions tendant à encadrer strictement leurs activités.

Au fond, votre attitude est tactique et n’a pas grand-chose à voir avec le texte et les objectifs qui le sous-tendent. Parce qu’elle estime que le travail en amont a été effectué correctement et qu’il est maintenant indispensable de débattre du projet de loi, la commission des finances demande au Sénat de rejeter cette motion.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Même avis, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je mets aux voix la motion n° 32, tendant au renvoi à la commission.

La motion n'est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

CHAPITRE IER

Dispositions relatives à l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard

Les jeux d’argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ; dans le respect du principe de subsidiarité, ils doivent faire l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 153 rectifié bis, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les jeux d'argent et de hasard ne sont ni un commerce de droit commun, ni un service de droit commun ; dans le respect du principe de subsidiarité, ils font l'objet d'un encadrement strict au regard des enjeux d'ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé.

Cet amendement n'est pas soutenu.

L'amendement n° 49, présenté par MM. Marc, Lozach, Bérit-Débat et Daudigny, Mme Blondin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après les mots :

service ordinaire

insérer une phrase ainsi rédigée :

Leur organisation est confiée, par l'État, à des personnes morales titulaires de droits exclusifs en matière d'offre publique de jeux et de paris, conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux, de l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 portant fixation du budget général de l'exercice 1933 et de l'article 42 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985.

La parole est à M. François Marc.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Ayant été cité à l’instant par M. le rapporteur, je me permettrai de lui répondre tout à l’heure, en présentant un amendement relatif à l’absence d’étude d’impact, qui nous laisse dans le brouillard.

S’agissant de l’amendement n° 49, je soulignerai que, depuis un siècle, les jeux en dur relèvent d’un monopole et que ce système a constitué la garantie la plus efficace contre toute dérive : blanchiment, corruption, concurrence déloyale…

Récemment, l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa de la Cour de justice de l’Union européenne a permis d’éclairer, mais seulement de façon partielle, les États membres sur la possibilité qui pouvait leur être accordée de maintenir, au nom de l’application du principe de subsidiarité, rappelé à l’article 1er A, un monopole pour les jeux et paris, y compris en ligne.

Cette jurisprudence autorise le législateur français à étendre le monopole d’État aux jeux d’argent et de hasard en ligne. À nos yeux, une telle solution présenterait l’avantage de garantir le mieux possible l’intérêt général, la protection des citoyens et les impératifs de santé publique.

Alors que nous n’avons eu de cesse de dénoncer l’existence de sites illégaux, nous nous apprêtons à octroyer à ces derniers une base légale au nom de la libre concurrence, en faisant fi des objectifs d’ordre public que le législateur doit pourtant toujours garder à l’esprit.

Cet amendement a donc pour objet de confier l’organisation des jeux et paris en ligne et en dur aux seules sociétés déjà titulaires d’un droit d’organisation exclusif des jeux et paris en dur, la Française des jeux et le PMU, qui ont fait leurs preuves et détiennent un réel savoir-faire dans ce domaine.

Il est en outre quelque peu surprenant de laisser des sociétés gagner énormément d’argent en exploitant précisément les savoir-faire élaborés au fil des ans par ces deux organismes dotés de droits exclusifs. Un tel phénomène s’apparente à une pratique de concurrence abusive.

Cette argumentation nous semble suffisamment solide. La situation qui prévaut en Europe nous conduit à considérer que tout est possible dans ce domaine, les États européens ayant des pratiques totalement différentes : sept d’entre eux s’appuient sur un monopole public, tandis qu’un autre l’a délégué au secteur privé.

Enfin, M. Barnier, nouveau commissaire européen pour le marché intérieur et les services, a annoncé voilà quelques jours qu’un texte d’orientation européen sur les jeux en ligne serait présenté d’ici à la fin de l’année. Dans ces conditions, il aurait été sans doute souhaitable d’attendre d’avoir connaissance de ces orientations européennes avant de légiférer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L'amendement n° 164, présenté par M. Trucy, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Remplacer les mots :

doivent faire l'objet

par les mots :

font l'objet

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

M. François Trucy, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel : il convient d'employer l'indicatif législatif à valeur impérative. M. Charasse avait déposé un amendement ayant le même objet, mais il n’a pu venir le défendre, étant pris par d’autres occupations…

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L'amendement n° 50, présenté par MM. Marc, Lozach, Bérit-Débat et Daudigny, Mme Blondin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par les mots :

et des mineurs

La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

À défaut d’avoir été entendus quant au bien-fondé de l’octroi de droits d’organisation exclusifs, dispositif qui nous paraît globalement satisfaisant, nous présentons cet amendement de repli visant à rappeler l’une des finalités de l’encadrement des jeux d’argent et de hasard.

L’article 1er A fait référence à des « enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé ». Il nous semble également très important de mentionner la protection des mineurs.

Nous constatons en effet que les jeunes, surtout les garçons, sont très attirés par certains jeux, en particulier le poker. Ces jeux sont pour eux sources d’addiction et de pratiques pathologiques, notamment lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes face à un écran. Ils perdent alors parfois toute notion du temps et du monde réel.

Les mineurs, on le sait, constituent l’une des cibles privilégiées des publicités très agressives pour ce type de jeux. Les opérateurs proposent, en guise de produit d’appel, une première mise gratuite et des bonus dont les effets incitatifs sont prouvés.

Certains représentants d’associations de lutte contre les addictions aux jeux ou de protection de l’enfance face aux nouveaux médias que nous avons rencontrés nous ont indiqué que très souvent les enfants jouaient en ligne dès l’âge de 13 ans, mais que leurs parents ne commençaient à prendre conscience de leur dérive que lorsqu’ils avaient atteint l’âge de 16 ans, c’est-à-dire souvent beaucoup trop tard pour qu’il soit possible de remédier à des années de pratiques nocives. On nous a signalé tout un ensemble de cas absolument tragiques, certains enfants jouant quelquefois jusqu’à dix heures par jour !

Le phénomène est en train de s’amplifier dans une mesure considérable avec le développement d’un jeu comme le poker en ligne, valorisé de surcroît par des people et fondé sur le bluff, pour ne pas dire sur le mensonge !

Une politique d’ouverture à la concurrence doit donc d’abord être inspirée par un souci de protection des mineurs : tout doit être mis en œuvre pour les préserver de ces pratiques. Les casinos leur sont d’ores et déjà interdits ; il est de bon sens de rappeler que la protection des mineurs doit guider le législateur dans l’élaboration de sa politique d’encadrement des jeux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 112, présenté par MM. Vera et Foucaud, Mme Beaufils et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

En conséquence, un monopole public est chargé de l'exploitation des jeux donnant lieu à des paris d'argent.

La parole est à M. Bernard Vera.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

En application du principe de subsidiarité, la France se doit d’appliquer, en matière de jeux d’argent et de hasard, les règles les plus protectrices de l’ordre public, de la sécurité et de la santé publiques qui soient, d’autant que la jurisprudence européenne le permet. Nous ne sommes donc pas contraints, dans ce domaine, de subir sans broncher une ouverture à la concurrence que nous serions tenus de transposer dans notre droit.

Cela est d’autant plus vrai que nous affectons les prélèvements fiscaux et sociaux sur les enjeux au financement d’activités et de services d’intérêt collectif et général : sport de masse, adduction d’eau, promotion de l’élevage équin, sécurité sociale… Réduire les recettes des casinos aboutirait en outre à contraindre les collectivités territoriales concernées à augmenter les impôts locaux, une partie de leurs ressources étant constituée de prélèvements sur le produit brut des jeux.

Notre pays a une longue tradition d’utilisation de la fiscalité pesant sur les jeux pour financer de nombreux services d’intérêt général, qui ne saurait être remise en cause, sauf à remettre en partie en question ces services. Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de réaffirmer le monopole d’exploitation accordé aux opérateurs de jeux existants.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Les amendements n° 49 et 112 sont tout à fait semblables.

Il est très réconfortant d’entendre dire autant de bien de l’église catholique portugaise : c’est une grande preuve d’ouverture d’esprit de la part de nos collègues !

Sourires sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Il est tout aussi surprenant d’entendre dire autant de bien des monopoles. Ou peut-être ai-je vieilli en perdant le contact avec les réalités économiques de notre pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

MM. Adrien Gouteyron et Philippe Marini. Mais non !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Plus sérieusement, ces deux amendements visent non seulement à maintenir les monopoles, mais à leur rattacher les nouveaux jeux, y compris les jeux en ligne, ce qui est en complète contradiction avec l’esprit du projet de loi. La commission émet donc un avis défavorable.

L’amendement n° 50 tend à faire explicitement référence à la protection des mineurs. Pourquoi pas ? Je souhaiterais connaître, sur ce point, la position du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

S’agissant des amendements n° 49 et 112, nous nous sommes également posé la question d’une régulation du secteur des jeux par l’intermédiaire du monopole, et nous avons attentivement étudié les implications juridiques et économiques d’une telle démarche. Toutefois, cette solution ne nous est pas apparue très sûre sur le plan juridique, c’est le moins que l’on puisse dire, en dépit de l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa de la Cour de justice de l’Union européenne.

D’ailleurs, cet arrêt concerne un cas très particulier, lié au contexte portugais. M. le rapporteur a très bien expliqué qu’il s’agissait, en l’espèce, d’une institution de jeux officielle finançant des œuvres sociales, mais que les deux tiers des jeux en ligne se pratiquent sur des sites illégaux, non régulés. Telle est la réalité.

On ne peut donc ignorer le fait que la puissance des opérateurs et des sites internet rend inopérante une politique de prohibition, reposant sur un monopole. Mieux vaut réguler les jeux en ligne que les interdire : les Allemands, par exemple, ont totalement prohibé les jeux d’argent en ligne ; or ces jeux y sont aussi répandus qu’en France ! Les Italiens, quant à eux, ont régulé le secteur d’une manière assez comparable à celle que nous proposons au travers de ce projet de loi. Dans ce pays, 95 % des jeux en ligne sont aujourd’hui contrôlés : les citoyens jouent sous la protection de la loi et de l’ordre moral, républicain, social.

Défendre purement et simplement le monopole est donc une fausse bonne idée, c’est pourquoi je suis défavorable aux amendements n° 49 et 112.

Je suis favorable, en revanche, à l’amendement n° 164 de la commission, ainsi qu’à l’amendement n° 50, qui vise à faire référence dans la loi à la protection des mineurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote sur l’amendement n° 49.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Nous avons obtenu deux réponses quelque peu différentes : si M. le rapporteur a cru bon d’ironiser, M. le ministre a fait preuve d’une plus grande ouverture, avant d’affirmer que nous faisions tout de même fausse route.

Nous considérons qu’une autre voie que la libéralisation est possible pour le secteur des jeux en ligne. Il ne s’agit pas, pour nous, de nous arc-bouter à tout prix sur la défense du monopole et d’opposer l’État aux entreprises. La libre concurrence est une réalité, liée à la mondialisation, et la Commission européenne se chargerait de nous le rappeler si nous étions tentés de l’oublier…

Cela étant, il s’agit en l’espèce d’un cas très particulier : les jeux ne sont pas un secteur économique comme les autres. Je trouve pour le moins curieux que ce qui relevait de l’évidence pour les jeux en dur, notamment pour les casinos, paraisse incongru s’agissant des jeux en ligne. La question est non d’être pour ou contre la libre concurrence, mais de faire respecter au mieux l’ordre public et de veiller aux intérêts de nos concitoyens.

De ce point de vue, on ne peut pas affirmer de manière péremptoire, comme vous le faites, que des opérateurs de jeux surveillés par une autorité sont fondamentalement préférables à un monopole concédé par l’État. Dans un cas, on se conforme à la stricte logique économique, dans l’autre on reconnaît l’existence d’autres obligations et l’on se donne les moyens d’y satisfaire.

On peut toujours écarter, comme vous venez de le faire, monsieur le ministre, la jurisprudence Santa Casa au motif qu’elle concerne un cas très particulier et ne saurait s’appliquer à la situation française, mais cet arrêt signifie bien, néanmoins, que recourir au monopole est possible, à condition que cela soit justifié. Là est toute la question !

Votre position est très cohérente, monsieur le ministre : dès lors que l’État a pour politique de favoriser le développement des jeux pour accroître les rentrées fiscales y afférentes et n’assigne pas d’objectifs précis à la Française des jeux et au PMU en matière de lutte contre l’addiction, il est logique que vous ne défendiez pas le monopole…

On peut pourtant voir plus loin et avoir une autre conception de l’intérêt général, plus soucieuse, par exemple, des conséquences de l’addiction au jeu pour nos concitoyens. On peut refuser la « société casino » qui se dessine. Dans cette optique, le monopole sur les jeux est non plus un dogme, mais un moyen de réaliser d’autres ambitions pour la société.

Si votre ambition est de favoriser la « société casino », il est logique que vous entendiez libéraliser ce secteur. Quant à moi, je m’oppose à cette conception. C’est la raison pour laquelle je voterai l’amendement n° 49.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Nous sommes convaincus, pour notre part, que la France a beaucoup plus à perdre qu’à gagner avec l’ouverture du secteur des jeux à la concurrence.

Monsieur le ministre, votre argument selon lequel il serait illusoire de vouloir poursuivre les contrevenants aux règles et lois applicables aux jeux d’argent et de hasard ne tient guère. Il ne vise en fait qu’à légitimer l’objectif que vous vous êtes fixé : offrir un cadre légal suffisamment souple aux opérateurs de jeux en ligne, en échange d’un complément de recettes fiscales dont vous ferez l’un des instruments de débudgétisation de vos futures lois de finances.

Votre opposition au monopole n’a pas d’autre justification. Vous entendez libéraliser le secteur des jeux, quand bien même l’emploi devrait souffrir dans l’ensemble de la filière hippique ou dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, pour lequel les points-courses ou les guichets de vente de jeux constituent souvent un complément d’activité.

Or les sommes que les Français consacrent au jeu semblant avoir atteint un palier, ce n’est sans doute que par la captation de parts de marché de l’un ou l’autre des opérateurs institutionnels que le développement des jeux en ligne demeure envisageable. L’instauration d’un monopole public des jeux en ligne, si tant est que l’on veuille développer cette pratique, nous semble donc souhaitable.

L’amendement n’est pas adopté.

L’amendement est adopté.

L’amendement est adopté.

L’amendement n’est pas adopté.

L’article 1 er A est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L'amendement n° 1, présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Est un jeu de hasard un jeu, payant ou gratuit, où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain.

La parole est à M. Nicolas About, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Il est apparu nécessaire à la commission des affaires sociales de définir les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le présent projet de loi, afin d’éviter que n’échappent à la régulation les multiples loteries présentées comme des jeux d’intelligence mais qui n’en sont pas.

Cela étant, pour ne pas laisser à penser qu’un encadrement strict est aussi réclamé pour les jeux gratuits, je rectifie cet amendement en supprimant les mots « ou gratuit ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je suis donc saisi d’un amendement n° 1 rectifié, présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales, et ainsi libellé :

Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain.

Quel est l’avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Il est important de bien définir les termes. C’est pourquoi la commission est tout à fait favorable à l’amendement présenté par M. About.

L’amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er A.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L'amendement n° 93, présenté par MM. Marc, Lozach, Bérit-Débat et Daudigny, Mme Blondin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement présente, dans les plus brefs délais, une étude d'impact du présent projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

La parole est à M. François Marc.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Les jeux d’argent et de hasard constituent un secteur d’activité très particulier, et modifier son équilibre n’est pas anodin.

L’existence d’un monopole se justifie par d’impérieuses nécessités d’ordre public et social. Par conséquent, les conséquences de l’application du présent texte en matière de protection des joueurs, en particulier mineurs, de prévention, d’addiction au jeu et de lutte contre le blanchiment d’argent devraient être évaluées précisément.

De même, il est nécessaire de connaître aussi exactement que possible les conséquences de l’adoption du dispositif présenté sur les recettes de l’État, des organismes de sécurité sociale et des territoires concernés.

En outre, depuis le 1er septembre 2009, une étude d’impact doit obligatoirement être jointe à tout projet de loi présenté au Parlement. Certes, on nous objectera que celui qui nous est soumis aujourd’hui a été déposé avant cette date, mais si le Gouvernement entend voir s’appliquer les dispositions qu’il a lui-même demandé au Parlement de voter dans le cadre de la réforme constitutionnelle, on peut raisonnablement attendre qu’il ne s’arrête pas à de telles arguties juridiques et qu’il nous présente une étude d’impact.

Aux termes de la Constitution, cette étude doit notamment préciser l’articulation du projet de loi avec le droit européen, l’état d’application du droit, les modalités d’application des dispositions du texte dans le temps, ainsi que leurs conditions d’application aux collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.

L’étude d’impact doit également comporter une évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales de l’application des dispositions envisagées, ainsi que de leurs coûts et bénéfices financiers attendus pour chaque catégorie d’administration publique.

Elle doit enfin contenir une évaluation des conséquences de la mise en œuvre du texte sur l’emploi public, retracer les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État et inclure la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires.

Je suis au regret de constater que, en l’occurrence, aucune de ces informations n’a été fournie au Parlement.

Je rappelle que, la semaine passée, lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative pour 2010, on nous a annoncé que le déficit de l’État serait de l’ordre de 150 milliards d’euros : record battu ! Or, malgré cette situation financière extraordinairement difficile, on nous soumet aujourd’hui un texte qui prévoit de fait une perte de recettes de 2 milliards d’euros, sur les 5, 5 milliards d’euros actuellement apportés à l’État par le PMU et la Française des jeux, sans que l’on soit capable de nous dire comment sera compensé ce manque à gagner !

Ce seul élément, qui doit nous inciter à la circonspection, suffirait à légitimer notre demande d’une étude d’impact, dont l’absence constitue une grave lacune.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Je répondrai précisément à M. Marc, qui a soulevé une question importante.

Le principe de la réalisation d’études d’impact a été introduit par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, mais il n’est cependant applicable que depuis l’adoption de la loi organique du 15 avril 2009, alors que le présent projet de loi a été adopté par le conseil des ministres et déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale antérieurement, le 30 mars 2009. Il n’est donc pas, juridiquement, soumis à l’obligation de présentation d’une étude d’impact.

Cela étant, la commission des finances souligne qu’une clause de revoyure est explicitement prévue par le projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

En outre, une étude d’impact accompagnant un projet de loi vise simplement à établir un état des lieux. Or le rapport de la commission des finances, que je vous engage à lire attentivement, mon cher collègue, présente sur soixante-dix pages tous les éléments permettant de mesurer l’incidence des dispositions du projet de loi.

La commission vous invite donc à retirer votre amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Comme l’a très bien dit M. le rapporteur, une étude d’impact préalable n’est pas obligatoire en l’occurrence, puisque le présent projet de loi a été déposé antérieurement à l’adoption de la loi organique.

Cependant, ce texte, comme tous les projets de loi, a fait l’objet d’un travail très approfondi. Nous avons beaucoup observé et écouté. Nous avons ainsi rencontré les opérateurs, les représentants du monopole, les associations familiales, les responsables des filières sportives, de la filière équestre, les casinotiers et les médecins spécialistes des addictions. Nous avons également étudié ce qui se passait à l’étranger. Bref, nous avons vraiment essayé de faire la part des choses.

A priori, nous y sommes parvenus, car si certains considèrent que nous allons trop loin, les opérateurs, quant à eux, nous reprochent d’être trop timides. Il semble donc que nous ayons trouvé un équilibre à peu près satisfaisant…

En tout état de cause, le dispositif a fait l’objet d’une analyse très circonstanciée, comme en témoigne par exemple le rapport de M. Trucy. En outre, le texte prévoit une clause de rendez-vous dans les dix-huit mois, qui nous permettra, le cas échéant, de rectifier le plus vite possible d’éventuelles erreurs, sur la base d’une évaluation.

Je pense donc que vous devriez pouvoir être rassuré quant à la qualité et au sérieux du travail qui a été accompli, monsieur Marc.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Je tiens à rassurer à mon tour M. le ministre et M. le rapporteur : nous n’avons pas l’intention de remettre en cause le travail d’analyse de la situation présente et passée qui a été effectué.

Nous disons simplement qu’il existe suffisamment d’éléments nouveaux et de points d’interrogation concernant l’avenir des jeux en ligne pour que le Parlement prenne le temps de tout étudier en détail. Depuis plusieurs décennies, les évolutions de la législation ont été introduites de façon très prudente dans un domaine économique qui n’est pas comme les autres. Il convient donc de prendre beaucoup de précautions.

Que l’on n’invoque pas la proximité de la Coupe du monde de football pour nous inciter à aller vite et à bâcler l’examen de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

M. Barnier a annoncé qu’un texte d’orientation européen sur les jeux serait présenté d’ici à la fin de l’année. Il ne serait peut-être pas inutile d’attendre d’en avoir connaissance pour nous assurer que nous sommes « dans les clous ».

En outre, nous n’avons pour l’heure pas de vision claire de l’équilibre financier global du dispositif. Nous savons simplement que 2 milliards d’euros de recettes sur 5, 5 milliards vont être perdus, mais nous ignorons comment cette perte sera compensée : c’est là une question grave.

Enfin, j’ai énuméré à l’instant les éléments devant figurer dans une étude d’impact. J’appelle l’attention sur certaines études alarmantes publiées ces derniers jours, notamment celle du professeur Mark Griffiths, de l’université de Nottingham, qui indique que le taux d’addiction passe de 0, 5 % à 5 % lorsque le jeu est en ligne. Cela devrait nous conduire, par application du principe de précaution, à être très attentifs aux risques que courent nos concitoyens, surtout les plus modestes et les plus fragiles d’entre eux, qui sont souvent ceux qui jouent le plus. Sur ce point aussi, il serait bon de disposer d’une étude d’impact.

Debut de section - Permalien
Éric Woerth, ministre

Contrairement à ce qui a été dit à plusieurs reprises, la Commission européenne ne présentera pas de texte d’orientation sur les jeux d’ici à la fin de l’année : elle étudie la situation à cet égard dans les différents États membres, situation qui est souvent intenable ! Un tel texte n’est donc pas d’actualité, d’autant qu’il n’y a même pas d’accord sur les grandes orientations. Il s’agit simplement d’établir un état des lieux.

Par ailleurs, monsieur Marc, les jeux en ligne existent déjà. Vous ne pouvez donc pas nous accuser de créer une addiction supplémentaire ! L’idée est de réguler une pratique actuellement anarchique, en fixant un cadre ouvert, mais qui permettra une certaine maîtrise. Le monopole actuel coexiste avec une offre abondante de jeux illégaux en ligne. Notre volonté est de prendre en compte cette réalité, mais en régulant les choses. C’est uniquement de cela dont il s’agit ! En effet, les phénomènes d’addiction sont bien pires lorsque le jeu est illégal.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Bernard Frimat.