Intervention de François Marc

Réunion du 23 février 2010 à 14h30
Jeux d'argent et de hasard en ligne — Discussion d'un projet de loi

Photo de François MarcFrançois Marc :

... slogan qui risque – hélas ! – d’illustrer les comportements suscités en France par le texte gouvernemental.

Monsieur le ministre, l’État italien a précédé la France dans la mise en œuvre d’une libéralisation contrôlée. Or beaucoup parlent aujourd’hui d’échec à propos de cette libéralisation, on le voit, ratée. Il est donc encore temps pour nous de surseoir à l’adoption d’un tel projet de loi. Je vais m’efforcer de vous convaincre de revoir totalement votre stratégie en la matière.

Dans le passé, l’attitude des pouvoirs publics français à l’égard des jeux a, à juste raison, toujours été limitative, selon le triptyque suivant : prohibition, exception, exclusivité.

Dans notre pays, le jeu n’est à ce jour autorisé que par exception. Il est organisé dans le cadre de la Française des jeux, du PMU et des casinos, avec autorisation du ministère de l’intérieur, avis de la Commission supérieure des jeux et protection de la police des jeux.

Quand on regarde l’histoire des jeux, on note que des tentatives de libéralisation ont été engagées dans le passé, parfois certes lointain. Chaque fois, cela a entraîné des troubles pour l’ordre public et une accentuation des addictions, d’où le retour à des lois très restrictives et à la référence obligée à la vieille loi de 1836.

Ces enseignements du passé ne peuvent aujourd’hui être ignorés.

Le projet de loi prévoit de maintenir le principe de l’interdiction du jeu, sauf exception. Pourtant, en rendant possible le jeu de masse, ce texte, s’il est voté, marquera la fin d’une longue tradition française de restriction de l’offre de jeux d’argent. Est-il utile de préciser que les jeux d’argent ne sont pas des produits comme les autres et que, de ce fait, ils ne peuvent obéir à la seule loi de l’offre et de la demande ? Comme moi, vous savez qu’il ne s’agit pas d’une activité commerciale totalement inoffensive.

La France, nous dit-on, est l’élève docile de l’Union européenne. Avec ce texte, elle respecterait le principe de la libre prestation des services. Elle lutterait contre la prolifération des sites illégaux. Au nom du réalisme, elle mettrait en place un dispositif de régulation du marché.

Il faut savoir qu’en Europe vingt États membres autorisent les jeux en ligne, contre sept qui les interdisent. Treize États ont un marché des jeux en ligne libéralisé. Six États ont un monopole public. Un État a agréé un monopole privé.

La réalité européenne est donc multiforme : le droit communautaire n’impose pas tel ou tel dispositif et abandonne aux États la fixation des règles. La Cour de justice des Communautés européennes l’a répété à l’occasion de l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa. Comme tout État membre, la France peut ainsi librement soit interdire les jeux et paris en ligne, soit en conférer le monopole à une entité, soit retenir un nombre restreint d’opérateurs, soit libérer totalement le marché.

Avec ce texte, la France a clairement choisi son camp en optant pour la libéralisation.

Les raisons invoquées à l’appui de cette option ne sont guère convaincantes. Nous savons, en revanche, que les effets pervers peuvent être redoutables : ce texte n’améliorera ni la santé des joueurs, ni leurs conditions de vie, ni, bien sûr, leur pouvoir d’achat ; il leur donnera seulement le droit de jouer toujours plus pour perdre toujours plus ! Ce seront d’ailleurs souvent les plus faibles, les plus démunis, les plus surendettés qui seront désormais pressés de se ruiner sur internet.

S’agissant du profil des joueurs, un sondage TNS/SOFRES de décembre 2009 souligne, par exemple, que 40 % des personnes relevant des catégories socioprofessionnelles supérieures déclarent jouer de temps à autre à des jeux d’argent, contre 62 % pour les catégories socioprofessionnelles inférieures.

Pour ces populations, le hasard et le gain potentiel assorti symbolisent une forme de « possible » vers un quotidien meilleur.

L’INSEE rappelle que le moral des Français reste bas, ce qui explique le succès des jeux d’argent auprès des personnes à revenus faibles ou modestes et majoritairement inactives.

Le rôle de la loi ne doit pas être de suivre ces personnes vulnérables ni même de les accompagner. La loi doit viser à réduire les risques sociaux en limitant, notamment, la possibilité de pertes.

En définitive, le projet de loi vise surtout à servir au plus rapidement les intérêts des nouveaux opérateurs. Aller très vite pour que ces opérateurs puissent être prêts à toucher la manne publicitaire de la Coupe du monde de football 2010 : tel est le discours qui se propage depuis des semaines et que nous venons de nouveau d’entendre aujourd'hui. Voilà l’une des obsessions du projet gouvernemental : il y a des centaines de millions d’euros à gagner pour les opérateurs, qui attendent impatiemment que le fromage leur tombe en partage !

Depuis l’annonce de la libéralisation du marché, nous notons que les partenariats, les accords et les opérations de rachat se multiplient dans ce secteur présenté comme le nouvel Eldorado.

L’ouverture des jeux en ligne à la concurrence pose la question de l’ordre public. Les nouveaux opérateurs européens – Interwetten, Bwin, Betfair, Sportingbet, Unibet, et j’en passe – s’efforcent d’afficher leur honorabilité, mais les scandales ont été nombreux, notamment en Italie ou au Royaume-Uni.

Le Gouvernement est-il armé pour mener sérieusement toutes les négociations liées à l’attribution des licences ? Rien n’est moins sûr !

Loin de moraliser le capitalisme, le texte prévoit une « économie de casino », à cent lieues des soucis de « la France qui se lève tôt ».

Un peu plus d’un an après le naufrage de la finance spéculative, ce texte encourage une économie spéculative qui met en avant les revenus du hasard au détriment des revenus du travail.

Le projet de loi met en danger les circuits traditionnels de financement des filières hippique et sportive. En développant des paris sportifs en ligne, le PMU risque de changer de vocation. Il ne sera plus simplement un organisateur de paris tourné vers toute la filière hippique.

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