Intervention de Yvon Collin

Réunion du 23 février 2010 à 14h30
Jeux d'argent et de hasard en ligne — Discussion d'un projet de loi

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années maintenant, notre pays est confronté au problème de la régulation des jeux et des paris en ligne, conformément du reste aux normes communautaires.

Plus exactement, la France doit faire face à une très importante offre illégale de jeux d’argent et de hasard sur internet.

On dénombre, ainsi, près de 25 000 sites illégaux de jeux, dont un quart seulement en langue française.

Cette situation n’est évidemment plus admissible. Les conséquences de la prolifération de ce marché sauvage sont pour le moins malheureuses. Les « joueurs-consommateurs » jouent sur des sites n’offrant aucune garantie et présentant des risques avérés de tricherie.

Par manque de contrôle, l’intégrité même des compétitions est mise à mal. C’est ainsi que les opérateurs illégaux profitent financièrement de la situation au détriment de l’État, bien sûr, mais également des organisateurs de compétitions sportives, particulièrement de compétitions hippiques.

L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de révoquer le monopole de la Française des jeux et du PMU en habilitant des sites à mettre en place des jeux de hasard et des paris en ligne dans les domaines du sport en général et du sport hippique en particulier, et du poker virtuel.

Nous le savons tous : les jeux d’argent peuvent être dangereux. Ils présentent un risque important d’addiction et peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les familles des joueurs. Ils sont susceptibles, également, de favoriser le blanchiment de l’argent sale.

Mes chers collègues, le jeu existe et personne dans cet hémicycle ne le condamne en tant que tel. Il n’est ni bon ni mauvais. Il s’agit simplement d’un divertissement. Le bon ou le mauvais côté du jeu dépend ici plus que jamais de l’usage qui en est fait, des limites que nous nous fixons et de celles que posent la loi et le législateur. Tel est l’objet de notre discussion.

On estime à près de 3 % ceux de nos compatriotes qui sont des joueurs pathologiques ou problématiques. Les mesures dites de « jeu responsable » visant à encadrer l’offre de jeux, mesures mises en place le plus souvent par les opérateurs eux-mêmes, sans fanatisme excessif, n’ont à aucun moment démontré leur efficacité.

Des mesures de ce type n’améliorent en rien la vie des joueurs et des parieurs, pas plus que leur santé ou leur pouvoir d’achat. Elles offrent simplement aux joueurs la possibilité de jouer toujours plus pour perdre toujours plus, mais dans un cadre légal préétabli !

Reste donc à tenter de canaliser la demande des joueurs vers des prestataires licenciés et responsables, sous le contrôle de l’État. Néanmoins, celui-ci disposera de marges de manœuvre étroites, car il devra très vite faire face à deux types de situations : d’une part, une augmentation légalisée de l’addiction au jeu, avec l’illusion collective de l’amélioration du pouvoir d’achat ; d’autre part, un renforcement des sites illégaux, du fait de la non-compétitivité fiscale du système prochainement mis en place.

C’est pourquoi, avec un certain nombre de membres de mon groupe, nous souhaitons que soit imposé au taux de 25 % le produit brut des jeux. En effet, ce produit brut est neutre vis-à-vis de la forme et du type de jeu et correspond au chiffre d’affaires effectif des opérateurs. Cette forme de taxation est la plus compétitive, nous semble-t-il, pour lutter contre le marché noir, mais aussi pour canaliser la demande des joueurs vers des sites européens agréés.

Concernant les opérateurs, le vrai problème consiste aujourd’hui à mettre fin à l’offre illégale, soit en prenant des mesures de caractère répressif, soit en faisant entrer cette offre, aujourd’hui illégale, dans le cadre d’une parfaite régulation reposant sur les opérateurs nationaux déjà existants.

Quant aux exploitants de casinos, il importe également de les faire bénéficier du développement des jeux en ligne, en particulier le poker, dont ils pourraient légitimement être les prestataires dans un cadre légal et régulé. Il est évident que nous devons lutter contre les dizaines de milliers de sites illégaux qui ponctionnent l’argent des joueurs au détriment de la filière sportive, de la filière hippique et des rentrées fiscales de l’État, ce détournement représentant d’ailleurs à nos yeux le dysfonctionnement le plus grave aujourd’hui.

L’existence d’une fiscalité d’État sur les jeux est donc tout à fait légitime et il devient de plus en plus intolérable que des sites illégaux soient créés juste pour y échapper : monsieur le ministre, cette fraude doit cesser !

Depuis plus de dix ans, nous sommes nombreux au Parlement à réfléchir, mais aussi à agir, pour qu’internet ne soit pas un espace hors du droit : les lois républicaines, et notamment la loi pénale, doivent s’y appliquer, ce qui ne signifie pas que cette application soit facile sur un réseau mondial.

Nous sommes également nombreux à considérer que l’État de droit ne doit pas être dégradé sous prétexte qu’il concerne internet, qui serait alors un espace de non-droit. Sa régulation est donc nécessaire et notre devoir de législateurs consiste à énoncer des règles justes et signifiantes.

Fort de ce constat, et tirant les enseignements de la jurisprudence de la Cour de justice, ce projet de loi conforte le modèle français d’organisation des jeux et des paris, et canalise l’offre aujourd’hui illégale, pour permettre une égalité stricte en termes de taux de retour aux parieurs, de respect des conditions d’éthique, ainsi que de critères de lutte contre les fraudes et le blanchiment.

Derrière la volonté affichée du Gouvernement de contrôler et d’assécher l’activité illégale, se cache en fait une inquiétante propension à sous-estimer a priori les méfaits d’un libéralisme et d’une déréglementation excessifs. C’est en ce sens que j’ai déposé un amendement tendant à la suppression de l’article 52 du projet de loi, article qui reconnaît aux fédérations sportives un droit de propriété en matière de paris. Ces derniers sont d’autant plus dangereux qu’ils échappent totalement à la sphère sportive.

La tentation de se doper pour améliorer ses propres performances, la tentation de corrompre pour amoindrir les performances des autres et le recours à de petits arrangements vont produire un trouble supplémentaire dans un monde pas toujours aussi vertueux qu’il en a l’air. Les cibles sont connues : les joueurs, mais aussi les arbitres, les dirigeants, les entraîneurs, les intermédiaires ou les gens d’influence.

En outre, cet article 52, s’il devait être adopté en l’état, ne profiterait en réalité qu’aux équipes sportives les plus puissantes, au risque de créer des trésoreries parallèles.

Mes chers collègues, n’acceptons pas le mélange des genres entre sportifs et opérateurs ! N’ouvrons pas de nouvelles vannes, sans mesurer les enjeux de ce que nous aurons décidé. Le dispositif actuellement envisagé rapportera gros à quelques-uns, mais coûtera très cher à beaucoup ! N’instillons pas de doutes supplémentaires sur la sincérité des compétitions sportives ni sur leurs résultats, car le risque de suspicion généralisée est dangereux pour le sport, pour son image et pour ses valeurs.

Le téléspectateur parieur se retrouverait ainsi devant son poste de télévision pour regarder un match exclusivement diffusé par la chaîne qui aurait acquis les droits audiovisuels du championnat, tandis que la même chaîne diffuserait une publicité pour une société de paris en ligne qu’elle détiendrait partiellement ou totalement, puisque le projet de loi, me semble-t-il, ne comporte aucune disposition anti-concentration.

L’incitation à jouer sera énorme et fera courir un véritable danger au sport. La vision du sport ne sera plus la même, elle ne sera plus désintéressée, ni tournée vers l’exploit sportif : ce dernier sera désormais remplacé, hélas, par l’appât du gain. On est loin des valeurs de l’éthique sportive !

Monsieur le ministre, en matière de régulation des jeux en ligne, les sénateurs du groupe du RDSE ne souhaitent ni l’immobilisme ni le statu quo, pas plus qu’ils ne veulent céder à l’aventurisme. C’est pourquoi, si la rédaction du projet de loi proposée par le Gouvernement, malgré les améliorations apportées par la commission des finances éclairée par son excellent rapporteur, ne devait pas évoluer, ou très peu, la majorité des membres du RDSE, inquiète des risques inhérents à la prolifération des jeux de hasard en ligne et non convaincue de l’efficacité absolue des dispositifs proposés, n’aura d’autre choix que de s’abstenir lors du vote final.

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