Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 23 février 2010 à 14h30
Jeux d'argent et de hasard en ligne — Discussion d'un projet de loi

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis plus d’un an que j’ai l’honneur de siéger à la Haute Assemblée, je me suis impliqué dans de nombreux projets de réforme présentés et défendus par le Gouvernement. Dans tous les textes où nos établissements et services publics étaient en cause, j’ai vu des intérêts privés commerciaux profiter des réformes, sans garantir la moindre retombée positive pour la collectivité.

Il en va ainsi de la « mutation », pour ne pas dire de la suppression, à terme, du service public hospitalier, de l’abandon du fret de proximité aux opérateurs privés, ou encore de la « transformation » du statut de La Poste, c'est-à-dire la prochaine ouverture aux fonds privés, pour ne citer que ces exemples.

À chaque fois, ces réformes ont été menées tambour battant, sous couvert de RGPP et d’efficience, à chaque fois également pour « sauver » un organisme public asphyxié par le désengagement de l’État.

Or telle n’est pas la raison d’être de ce nouveau projet de loi. Si ses promoteurs se proposent d’ouvrir le monopole actuel des jeux d’argent et de hasard aux opérateurs privés, le texte ne répond à aucune nécessité curative pour nos opérateurs historiques. Le PMU et la Française des jeux se portent bien, alimentent les recettes de l’État, participent au financement de la filière sportive, créent des emplois, contribuent à l’aménagement du territoire, préservent le tissu économique

Vous avez avancé, monsieur le ministre, successivement il est vrai, d’autres raisons pour justifier cette réforme.

Vous avez d’abord argué d’un impératif européen de libéralisation du marché, mais vous avez été démenti par la Cour de justice des Communautés européennes qui, dans un arrêt du 8 septembre 2009, nous confirme que les raisons impérieuses d’intérêt général priment celles du marché et autorisent les États nationaux à maintenir une organisation monopolistique des jeux d’argent.

Changement de pied, vous avez alors plaidé que seule l’ouverture serait à même « d’assécher » l’offre illégale de jeux en ligne. C’est mathématiquement impossible : que pèseront 50, 100, voire 500 opérateurs agréés par l’ARJEL face aux 25 000 sites illégaux actuels ? Il est au surplus totalement illogique de prétendre que l’ARJEL sera à même de réaliser ce que l’État ne fait pas lui-même. L’argument est donc doublement irrecevable.

De mauvais esprits ont prétendu établir un lien rétrospectif entre les dirigeants de grandes entreprises privées, notamment des médias et télécommunications, qui spéculent déjà sur la manne des paris en ligne, et un groupe de dîneurs anodins réunis autour du Président de la République un soir de mai 2007. Mais seul le hasard n’en doutons pas a permis que ces dirigeants et ces convives soient en réalité les mêmes. Il suffit de surcroît de ne plus clairement faire la part entre le domaine public et le domaine privé pour n’y voir aucun conflit d’intérêt.

Mais la représentation nationale mérite de meilleures explications que ces faux-semblants et, hors cette dernière hypothèse farfelue – celle de satisfaire aux intérêts privés de quelques-uns –, aucun motif d’intérêt général ne vient expliquer et justifier la nécessité que nous aurions de légiférer en faveur d’une libéralisation des jeux d’argent et des paris en ligne.

J’entends bien le discours rassurant qui nous est tenu d’une ouverture encadrée et limitée, un discours ambitieux même qui n’exclut pas de « servir de modèle à une régulation européenne des paris en ligne ».

À cet égard, l’article 1er A de ce projet de loi emporterait l’adhésion s’il n’était le reflet d’un double langage. L’encadrement « strict » qu’il prévoit sur les jeux d’argent et de hasard, au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé, suffit en lui-même à inscrire dans la loi le principe du monopole actuel. L’adjectif « strict » signifie en effet, si l’on regarde la définition dans le Larousse, « qui ne laisse aucune liberté ».

La conséquence nécessaire et logique de cette stricte condition serait de confier l’organisation des jeux d’argent et des paris aux opérateurs historiques. Eux seuls seraient à même de garantir la mise en place d’un encadrement effectivement strict. Nous matérialiserions ainsi ce qui n’est pour l’heure qu’une pétition de principe, dont le propre est de n’être pas normative.

En réalité, le moins que l’on puisse dire est que les modalités proposées pour cette ouverture suscitent de fortes inquiétudes.

Elle présente, en premier lieu, le risque évident « d’assécher », non pas le jeu illégal, cela est illusoire, mais bien plutôt le seul qui soit autorisé actuellement, et ce au détriment de la filière hippique et de la Française des jeux. Ce risque est tel qu’il a suscité l’ajout unanime par nos collègues députés d’un cinquième alinéa à l’article 1er destiné à « éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ».

Monsieur le ministre, la régulation que ce projet de loi met en place nécessitera d’être encore enrichie par d’autres garanties pour devenir aussi « crédible et équilibrée » que vous le dites. Je pense au pari à cote fixe, dont il faut proposer la suppression ; à la volonté d’être opérationnels pour la Coupe du monde de football – merci Henry ! - qui risque d’entraîner l’attribution d’agréments « allégés » par l’ARJEL ; et à l’ouverture « amnistiante » que pourrait entraîner l’entrée en vigueur de la loi pour tous ceux qui opèrent aujourd’hui illégalement.

En second lieu, mon inquiétude tient au fait que la multiplication des opérateurs, d’une part, la viabilité et la rentabilité des agréments, d’autre part, emportent nécessairement une augmentation constante du nombre de joueurs en ligne, à laquelle ils sont conditionnés, et donc une augmentation corrélative des risques d’addiction. De même, baisser encore le taux de prélèvement implique, pour compenser la perte de recettes, d’élargir l’assiette, donc le nombre de joueurs.

À cet égard, je citerai simplement le professeur de psychiatrie Michel Lejoyeux, chef de service à l’hôpital Bichat, qui estime « qu’il existe une règle simple pour toutes les addictions : l’augmentation de l’offre augmente le risque qu’une personne potentiellement dépendante le devienne ». Il se dit particulièrement inquiet de l’impact des nouvelles publicités qui vont apparaître. Nous y reviendrons à l’article 4 bis.

Vous ne pouvez, sans contradiction flagrante, prétendre prévenir l’addiction avec de telles mesures qui sont précisément la cause du phénomène.

Ce projet de loi marque une rupture importante. Quel avenir trace-t-il ? Au regard des exigences européennes, une ouverture du marché, même régulée, amoindrit automatiquement, par contrecoup, le caractère impérieux de l’intérêt général. En d’autres termes, une ouverture mesurée abaisse nécessairement les impératifs d’ordre public et social que le monopole reconnu au PMU et à la Française des jeux avait placés en haut de l’échelle.

La perspective est donc celle d’une régulation toujours moins justifiable à Bruxelles et il faudra céder toujours plus aux opérateurs jusqu’à l’ouverture complète. Ce projet de loi signe inéluctablement la disparition, à terme, de nos opérateurs historiques.

Est-il besoin d’exposer les conséquences économiques et sociales qu’entraînerait l’étouffement de notre filière hippique, dont le financement est assuré par les paris ? Les paris financent les courses, qui en sont le support. Dans mon département, la filière du trot illustre bien l’ancrage dans le territoire et dynamise son développement économique.

J’exprimerai ici encore une crainte ultime. Sans rien méconnaître de l’utilité, de la nécessité aujourd’hui d’internet – ce serait idiot ! – et parce que nous en connaissons aussi les méfaits, il est de notre responsabilité d’en limiter si possible l’usage dans certains domaines.

Internet est un plaisir solitaire, alors que les jeux d’argent et de hasard « en dur » obligent encore le joueur à sortir de chez lui pour se rendre au PMU ou au café-tabac du coin. Au-delà des risques de « la toile » pour la santé publique, une autre question se pose également à nous, qui vraisemblablement nous sépare : celle du vouloir faire vivre ensemble. Nous nous opposerons donc à ce projet de loi.

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