Intervention de Philippe Marini

Réunion du 28 novembre 2007 à 15h00
Loi de finances pour 2008 — Débat sur l'évolution de la dette

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Paul Girod a dit l'essentiel et je voudrais, à sa suite, formuler quelques observations.

Tout d'abord, monsieur le ministre, la situation est bien paradoxale, puisque le besoin de financement atteint un niveau record de 145 milliards d'euros, tandis que le plafond de variation nette de la dette négociable de l'État, sur lequel nous allons voter, est, quant à lui, en baisse et s'établit à 16, 7 milliards d'euros.

Cette baisse résulte d'un effet d'optique et représente simplement la préférence de l'agence France Trésor - pour des raisons que nous pouvons comprendre - pour des refinancements à court terme d'échéances d'emprunts qui sont remboursées les unes après les autres.

Je voudrais, à partir du constat que Paul Girod nous a présenté, en revenir, monsieur le ministre, au respect de la loi organique relative aux lois de finances. En effet, je souhaite appeler votre attention sur le point suivant : la LOLF est ici respectée dans sa lettre, mais pas dans son esprit.

La lettre, c'est l'article 34, et le plafond correspond effectivement à la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an. On opère une soustraction, en déduisant du montant des émissions d'emprunts prévues en 2008, soit 119, 5 milliards d'euros, l'amortissement de la dette à moyen et long termes, soit 102, 8 milliards d'euros : le résultat, 16, 7 milliards d'euros, est le plafond sur lequel nous allons nous prononcer.

Cependant, l'esprit de la LOLF n'est pas respecté. Pourquoi ? Je voudrais rappeler quelle était l'intention du législateur. Cette intention a été éclairée, dans le courant de l'année 2002, par des échanges, en particulier de correspondance, entre, d'un côté, Jean Arthuis et moi-même, et, de l'autre, les ministres de l'époque, Francis Mer et Alain Lambert.

J'avais accepté, le 26 juillet 2002, la définition de la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an proposée par les ministres. À la suite d'échanges que nous avions eus, Jean Arthuis et moi-même précisions, le 3 octobre de la même année, que le fait que le « bleu » budgétaire prévoie une marge de manoeuvre de 5 milliards d'euros pour fixer le plafond de la dette, souhaitée à l'époque par les gestionnaires de l'agence France Trésor, n'était pas conforme à la loi organique relative aux lois de finances et que, par ailleurs, le plafond de la variation de la dette avait un statut juridique analogue à celui du solde budgétaire : s'il peut être dépassé en cours d'année, il ne peut l'être en fin d'année qu'à la condition expresse qu'un collectif budgétaire l'autorise.

Il y avait là l'expression d'une double préoccupation, qui reflétait les débats antérieurs.

Le premier point de vue, qui avait déjà été formulé par Alain Lambert lorsqu'il rapportait au Sénat le projet de loi organique relatif aux lois de finances, était le suivant : « Il s'agit, en quelque sorte, de donner un contenu à l'autorisation d'émettre des emprunts en la liant au besoin de financement révélé et exprimé par le tableau de financement. »

L'autre point de vue avait été exprimé, lors de la discussion du projet de loi organique précité, par Florence Parly, qui était alors secrétaire d'État au budget. Je voudrais citer les propos qu'elle avait tenus, parce qu'il y a une grande constance dans les positions de nos technostructures administratives : « S'il devait y avoir un plafond d'emprunt, cela ne devrait pas placer le Gouvernement dans une situation d'incapacité brutale à financer ses dépenses, parce qu'il y aurait une rupture de trésorerie et un retard dans l'encaissement d'une recette importante, par exemple. »

Nous pouvons très bien comprendre cela, et nous avons intégré ces points de vue dans un amendement de compromis voté lors de la discussion du projet de loi organique relatif aux lois de finances, puis lorsque nous avons interprété, par le biais d'un échange de lettres, ce que signifie le plafond d'appel à l'endettement.

Or, monsieur le ministre, qu'en est-il aujourd'hui ? On peut dire qu'il n'est plus possible de distinguer de manière simple emprunts et trésorerie. Les préoccupations du Gouvernement, telles qu'elles avaient été formulées par Mme Parly, à savoir éviter toute rupture de trésorerie, ont bien été prises en compte, mais celles du Parlement ne le sont plus. En 2008, le lien entre besoin de financement et emprunts n'apparaît plus clairement.

En d'autres termes, le plafond de variation de la dette ne constitue plus la sanction politique et juridique du déficit du budget de l'État. L'esprit de la LOLF n'est plus respecté, les émissions d'emprunts de court terme liées au financement du déficit et à l'amortissement de la dette à moyen et long termes se trouvent fondues, diluées au sein des mouvements de trésorerie de l'État. Il faut donc faire le constat d'une impossible distinction, aujourd'hui, entre emprunts et trésorerie.

Monsieur le ministre, je m'arrêterai là quant à ces considérations qui sont aussi bien juridiques que financières, mais voyons leur incidence économique et leur traduction en termes de décisions politiques.

Lorsque le législateur organique a voulu ce débat qui précède le vote de l'article d'équilibre, qu'a-t-il réellement souhaité ?

Premièrement, il s'agissait d'établir une liaison entre besoin de financement et recours à l'emprunt ; or, ce lien est aujourd'hui dilué.

Deuxièmement, compte tenu de l'ampleur et des conséquences de nos déficits, la représentation nationale devait s'engager de façon solennelle, par un vote, sur les nouveaux appels à l'emprunt.

Force est de constater que ce montant de 16, 7 milliards d'euros sur lesquels nous allons nous prononcer n'a de signification que technique et qu'il représente un support vraiment très contestable pour un vote dont la valeur d'engagement politique devrait être une préoccupation essentielle.

Sur ces sujets, nous devons nous remettre au travail. Nous devrions pouvoir reprendre les interprétations qui ont été données de la LOLF, voire rédiger différemment les dispositions concernées.

J'achèverai mon propos par un point technique. J'ai évoqué la question des reprises de dette dans mon rapport écrit. Je crains qu'il n'y ait là parfois un point de fuite permettant à l'État de créer de la dette sans passer par la « case déficit ». Nous en avons vu un exemple avec la question du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles.

La Cour des comptes a, pour sa part, relevé ce risque. Elle est dans son rôle lorsqu'elle évoque, par exemple, dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2007, l'opération d'apurement partiel des dettes de l'État à l'égard du régime général de la sécurité sociale mise en oeuvre en octobre 2007.

En conclusion, au-delà de ces considérations techniques auxquelles nous appelle le débat spécifique sur la dette, à ce stade de notre discussion budgétaire, nous devons retenir que notre pays connaît une grande vulnérabilité financière. Nous la constatons en observant les conditions de détermination des taux d'intérêt et le spread, l'écart de taux, qui nous sépare de l'Allemagne. Rendons hommage à l'agence France Trésor pour son professionnalisme, car elle agit du mieux qu'elle peut pour financer l'État au niveau requis par le tableau de financement. Mais elle ne saurait faire des miracles. La réalité économique et financière reste ce qu'elle est.

Nous ne pouvons rester inertes face à la montée de la dette qui traduit, d'une certaine manière, une incapacité à faire des choix difficiles et une propension à en reporter la charge sur les générations à venir.

Le projet de loi de finances que nous examinons est un budget de stabilisation qui doit nous permettre de faire preuve de maîtrise et de respecter l'équilibre primaire.

Il n'en reste pas moins que, au-delà du solde stabilisant, il faudrait réellement revenir à un véritable solde positif de nos finances publiques, qui serait un élément essentiel d'attractivité de notre pays et un facteur de crédibilité.

En effet, un pays est crédible lorsqu'il se finance à bon compte et que la soutenabilité de ses finances publiques ne peut être mise en cause par aucun observateur ou acteur des marchés financiers.

Monsieur le ministre, la commission des finances vous encourage dans le travail considérable qui est le vôtre. Vous avez montré votre persévérance à rompre les cercles vicieux de la dépendance financière. Ce vote sur la dette est une occasion de rendre hommage à vos efforts, notamment en matière de réforme de l'État mais aussi de préservation et de maîtrise des grands équilibres.

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