Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question financière demeure toujours une source de forte tension au sein de l’Union européenne.
L’adoption, pour le moins laborieuse, des perspectives financières 2007-2013 par les chefs d’État ou de gouvernement, lors du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005, en témoigne parfaitement.
Ce n’est qu’à l’issue de près de deux ans d’âpres négociations – Denis Badré l’a rappelé dans son rapport fait au nom de la commission des finances –, que l’Union européenne s’est enfin dotée d’un cadre financier pluriannuel couvrant la période 2007-2013.
Toutefois, les perspectives financières ainsi fixées dissimulent mal le vide politique de l’Union européenne, que le traité de Lisbonne ne comble aucunement.
Je rappellerai que, durant ces négociations calamiteuses, les intérêts des États membres sont entrés en conflit au point de créer une situation inédite dans l’histoire des négociations budgétaires européennes. En effet, c’était la première fois qu’un « paquet final » mis sur la table par une présidence était rejeté !
Dès décembre 2003, on se souvient qu’un groupe de six États membres, dont la France, avait exprimé son opposition à une forte croissance du budget européen. Il s’agissait d’une position frileuse, significative de la crise traversée par l’Union européenne, incapable de se rassembler et d’agir en faveur de l’intérêt des peuples européens, qui sont ainsi tenus à l’écart d’un budget communautaire parfaitement inintelligible.
Pourtant, nul n’est censé ignorer le budget communautaire, car il s’agit de l’instrument financier traduisant les choix politiques, l’action et l’ambition européenne. Sa dimension tant quantitative que qualitative est donc porteuse de sens.
Le niveau du budget communautaire, mais surtout la répartition entre les différentes actions communautaires, permettent, hélas ! de pointer le sens de la construction européenne.
Or force est de constater au-delà des discours et des effets d’annonce que, pour 2007-2013, le budget de l’Europe s’inscrit simplement dans la continuité des précédents.
Les perspectives financières pour 2007-2013, ainsi que cela a été rappelé, prévoient 864, 3 milliards d’euros en crédits d’engagement, soit 1, 048 % du RNB de l’Union, et 820, 780 milliards d’euros en crédits de paiement, soit 1 % du RNB.
Il s’agit là, il faut le reconnaître, d’un pourcentage peu ambitieux, qui ne représente que 30 % du budget américain de la défense !
Ainsi limité à 1 % du revenu national brut européen, ce budget est incontestablement insuffisant pour répondre aux besoins collectifs de l’Union européenne.
En d’autres termes, mes chers collègues, le budget de l’Europe ne permet pas de relever les défis considérables qui lui sont posés tels que la solidarité dans le contexte de l’Union à vingt-sept, l’affirmation d’une Europe plus forte, d’une Europe agissant pour un monde plus solidaire et plus sûr, ou encore le progrès de la citoyenneté et de la participation des peuples et la résorption du déficit démocratique de l’Union.
Au reste, si nos concitoyens demeurent écartés des choix budgétaires européens, on peut également s’interroger sur le rôle de notre propre assemblée et sur un certain nombre de fictions.
Je dénonce de manière récurrente, chaque année, à l’occasion du débat sur la loi de finances, l’hypocrisie de notre Parlement quant à la mise à disposition des ressources propres.
Le mythe de la souveraineté parlementaire pourrait laisser croire que le Parlement procéderait à un vote d’autorisation de prélèvements sur recettes de l’État membre au profit de l’Union européenne. Malheureusement, comme on le sait, la réalité juridique et politique est moins favorable à la représentation nationale.
Si l’article 6, alinéa 4, de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, consacre le vote du Parlement sur un article spécifique relatif au prélèvement communautaire, en fait cette disposition n’introduit pas une innovation considérable. La LOLF se contente de suspendre formellement le versement des ressources propres au bon vouloir des parlementaires et réduit les Communautés européennes à de simples bénéficiaires d’une libéralité de l’État.
Pourtant, le système des ressources propres et les obligations communautaires qui en découlent ôtent au Parlement une part non négligeable de son pouvoir d’autorisation budgétaire.
L’éventualité d’un vote négatif est inhérente à toute mise aux voix : elle est politiquement envisageable et juridiquement possible au regard de la rédaction de l’article 6, alinéa 4, de la LOLF.
Au vote, se trouvent consubstantiellement liées la possibilité de débat et la capacité d’amender ou, à tout le moins, de rejeter ce sur quoi porte le vote.
Compte tenu des engagements communautaires de la France en la matière, la mise à disposition des ressources propres présente un caractère obligatoire, et tout manquement est systématiquement sanctionné.
Les obligations de l’État membre placent le Parlement dans une situation de compétence liée, qui exclut tout pouvoir d’autorisation parlementaire.
En cas de vote négatif, c’est-à-dire dans l’hypothèse d’un refus parlementaire du versement des ressources propres, l’État membre français n’en est pas moins tenu de verser la contribution due.
À défaut, il s’expose à une procédure contentieuse communautaire susceptible d’aboutir à une condamnation par la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette situation dénote l’absence de liberté de choix laissée au Parlement, et donc à la représentation nationale.
Elle symbolise également le déficit politique qui continue de marquer la construction européenne, y compris dans sa dimension financière.
Quant à la décision du Conseil du 7 juin 2007, dite « ressources propres », qui vise à mettre en œuvre le volet relatif aux recettes du budget communautaire des perspectives financières, elle s’inscrit dans la lignée de la précédente décision « ressources propres » de 2000, dont elle reprend les grands principes.
Le système de financement du budget communautaire reste composé des ressources propres traditionnelles – droits de douane, prélèvements agricoles et cotisations sucre et isoglucose –, de la ressource TVA et de la ressource RNB.
Ces ressources sont plafonnées, cela a également été rappelé, à 1, 24 % du revenu national brut de l’Union en crédits de paiement et à 1, 31 % en crédits d’engagement.
La décision du Conseil, d’une part, modifie en revanche le taux d’appel de la ressource TVA – qui s’établit à 0, 50 % depuis 2004, passe à 0, 30 % pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne, à l’exception de quatre États qui bénéficient d’un régime dérogatoire, l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède –, et consacre, conformément aux conclusions de la présidence du Conseil européen de décembre 2005, un certain nombre de régimes dérogatoires en matière de ressources TVA et RNB en vue de prendre en compte la situation de certains États membres considérés comme figurant parmi les principaux contributeurs nets au budget de l’Union européenne.
Ainsi, les Pays-Bas et la Suède bénéficient d’une réduction brute de leur contribution annuelle calculée en fonction du RNB qui atteint respectivement 605 millions d’euros et 150 millions d’euros, valeur 2004.
Une fois de plus, force est de constater, mes chers collègues, que l’adoption du système de financement communautaire résulte d’un marchandage entre États membres soucieux de leur position à l’égard du budget de l’Union européenne. Les bénéficiaires veillent à le rester, tandis que les contributeurs s’efforcent de réduire leur contribution. Bel esprit de solidarité !
Par ailleurs, conformément aux conclusions de décembre 2005, la décision du 7 juin 2007 amorce une évolution du système des ressources propres de la Communauté européenne – Denis Badré disait tout à l’heure : « Enfin ! » –, à travers la remise en cause progressive et définitive de la correction accordée au Royaume-Uni.
La remise en cause de la correction dont bénéficie le Royaume-Uni depuis 1984 constitue, certes, une avancée. Il s’agit même d’une rupture dans le système de financement de l’Union qui constituait un objectif majeur de la France, principal financeur de ce dispositif, de l’ordre de 27 %, avec 1, 5 milliard d’euros en 2008.
L’accord conclu lors du Conseil européen de décembre 2005 met fin également au paradoxe suivant lequel le Royaume-Uni, fervent promoteur de l’élargissement et pays qui, il faut aussi le rappeler, est classé parmi les États les plus prospères de l’Union, était l’un des États membres qui contribuait le moins à son financement.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous considérons qu’il s’agit là d’une décision importante, nous désapprouvons néanmoins les calculs comptables des dépenses des États membres et des retours nationaux, qui déprécient les discussions et contreviennent à l’esprit de solidarité devant animer la construction européenne.
Nous l’avons plusieurs fois exprimé, la contribution des États membres devrait être présentée comme une ambition, et non pas simplement comme un coût.
Aujourd’hui, alors que le budget général des Communautés européennes est censé être alimenté par un système dit de « ressources propres » – tel est l’objet de l’article 269 du traité communautaire –, les prélèvements communautaires s’apparentent bien plus à un système de contributions budgétaires qu’à un transfert de produit fiscal spécifique aux Communautés.
Or la prééminence des contributions nationales entretient la logique du « taux de retour » – Denis Badré a rappelé, et je partage son avis, qu’il s’agit là de l’abnégation même de l’esprit communautaire –, suivant laquelle chaque État membre ne consent à contribuer au budget communautaire qu’à la condition de se voir garantir des retours nets suffisants au titre des diverses politiques communes mises en œuvre sur son territoire.
Les États déterminent ainsi leurs contributions au budget en fonction de ce qu’ils peuvent recevoir en retour de l’Union, dans une logique purement comptable.
Le système des « ressources propres » est donc défaillant, comme l’attestent non seulement l’absence de lien entre les contribuables et les ressources communautaires, mais aussi la part prépondérante de la ressource RNB dans l’ensemble des ressources de l’Union européenne.
Alimenté principalement par les contributions nationales, le budget européen se trouve confronté au « poison du juste retour », comme le qualifie le professeur d’économie, Jacques Le Cacheux.
Pour autant, on ne peut penser que l’instauration d’un impôt européen – au-delà de l’impopularité assurée d’une telle mesure dans l’opinion publique européenne – résoudrait la question du financement de l’Union. Mais encore faut-il lancer le débat !
Pourtant, l’Europe mériterait un budget digne de ce nom, ce qui supposerait d’en augmenter le niveau et surtout de le répartir entre les différentes actions communautaires d’une façon qui réponde aux besoins accrus de cohésion et accorde la priorité à la lutte contre l’accroissement des déséquilibres, des inégalités, du chômage et de la pauvreté au sein de l’Union européenne. Or, il faut le reconnaître, tel n’est pas le cas aujourd'hui : l’Europe n’est toujours pas sociale ; elle reste, pour l’essentiel, un marché économique.
La clause de réexamen, prévue pour 2008-2009 par la décision du 7 juin 2007, devrait être l’occasion d’aborder cette question cruciale des recettes de l’Union européenne. En effet, madame la secrétaire d'État, ce réexamen interviendra alors que l’Union européenne sera présidée par la France, qui devrait donc poser clairement la question du budget durant cette période.
C’est bien Nicolas Sarkozy qui faisait la déclaration suivante, lors de son discours du 8 septembre 2006 à Bruxelles : « L’Union n’a pas seulement besoin de nouvelles règles. Elle a besoin d’un minimum de moyens financiers. L’accord obtenu en décembre 2005 sur le budget européen pour les années 2007-2013 prévoit une clause de rendez-vous en 2008-2009. Nous devons saisir cette occasion pour procéder à une réforme ambitieuse du budget européen. »
Madame la secrétaire d'État, saisissez cette occasion ! À la veille de la présidence française de l’Union européenne, pouvez-vous nous détailler les engagements qui seront pris en ce sens ? Je me joins à la demande de notre collègue Marc Massion : quel rendez-vous parlementaire prévoyez-vous pour associer la représentation nationale à ce débat ?
Au terme de mon intervention, vous comprendrez que les sénateurs du groupe CRC s’abstiennent sur le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres des communautés européennes.