Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai déjà exprimé, lors de la discussion générale en première lecture, les réserves que m’inspirait ce projet de loi. J’y reviendrai brièvement.
De par sa forme et les dispositions qu’il contient, ce texte ne constituera pas une avancée majeure dans la lutte contre les discriminations dans notre pays.
Comme l’indique d’ailleurs honnêtement l’exposé des motifs, ce texte ne vise en effet qu’à transposer dans notre droit des dispositions de directives dont l’absence de transposition a valu à la France plusieurs mises en demeure de la Commission européenne. Encore ne s’agit-il que d’une transposition a minima. Le Gouvernement n’a donc fait inscrire ce texte à l’ordre du jour du Parlement que pour répondre aux injonctions répétées de la Commission et éviter les risques de condamnation de la France pour carence à la veille de la présidence française de l’Union !
Si nous pouvons facilement comprendre ce souci, il ne me semble pas que cette transposition à la va-vite soit pour autant satisfaisante. Le texte qui nous est présenté se contente de répondre, point par point, aux observations de la Commission ; il n’est en aucun cas le fruit d’une volonté du Gouvernement de répondre concrètement au phénomène des discriminations.
Dans un pays qui a inscrit l’égalité dans sa devise, il est dommage qu’il faille attendre des menaces de condamnation par l’Europe pour légiférer sur cette rupture d’égalité massive que constituent les discriminations !
Cette absence d’approche globale en matière de lutte contre les discriminations est patente dans la forme même du texte, qui ne présente aucune cohérence. Il s’agit simplement d’un empilement de mesures hétéroclites. Le Gouvernement aurait dû, selon moi, saisir l’occasion de cette transposition pour légiférer de façon plus globale et plus cohérente sur les problèmes de discrimination et d’égalité, notamment pour reprendre les recommandations récemment formulées par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE.
En vérité, ce texte ne fait que complexifier encore notre droit en matière de discriminations.
Ainsi, en reprenant mot à mot les définitions communautaires, l’article 2 introduit un traitement différencié en fonction de la nature des discriminations. Ce « différentialisme » est parfaitement étranger à la conception française du principe d’égalité, qui se veut plus universaliste. De plus, ce texte introduit des définitions différentes des discriminations selon les codes, ce qui rendra encore plus illisible la législation en la matière.
Les discriminations constituent aujourd’hui un phénomène massif dans notre société, en ce qui concerne tant l’emploi que les loisirs ou le logement. Nombre de nos concitoyens sont quotidiennement « discriminés » en fonction de leur sexe, de leur origine, de leur religion, de leur orientation sexuelle ou de leur état de santé. Cet enjeu majeur de cohésion sociale aurait mérité une législation autrement plus ambitieuse que celle que vous nous proposez, madame la secrétaire d’État.
L’absence de volonté du Gouvernement de faire réellement progresser la lutte contre les discriminations et votre refus de voir le Parlement légiférer réellement à ce sujet sont encore plus évidents après les conclusions de la commission mixte paritaire. Le Gouvernement montre ainsi quelle considération il a pour les travaux de la représentation nationale !
En effet, certains amendements étaient compatibles avec les dispositions communautaires, mais vous avez cru bon de les ignorer. J’en veux pour preuve le rétablissement du 9e alinéa de l’article 2, prévoyant que le contenu des médias et de la publicité est exclu du champ d’application de l’interdiction de discriminations fondées sur le sexe dans la fourniture de biens et services. Vous nous dites, madame la secrétaire d’État, que vous avez engagé un travail sur cette question, mais nous aurions pu gagner du temps si ces amendements avaient été retenus.
La suppression de cet alinéa a pourtant été réclamée tout à la fois par la commission, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes et la majorité des groupes politiques, et elle a été adoptée à une écrasante majorité. Notre assemblée pensait, en effet, que cette disposition, qui ne répondait pas à une exigence communautaire, allait à l’encontre de notre souci de lutter contre les préjugés et les stéréotypes sexistes dans les médias et la publicité. Mais cette maigre avancée législative n’était pas de votre goût !
Outre ces réserves, votre texte m’inspire une autre inquiétude, madame la secrétaire d’État.
Comme je l’ai déjà dit, le Gouvernement a, de façon constante, présenté ce projet de loi comme un simple texte de transposition et s’est opposé aux amendements parlementaires qui allaient au-delà de cet objectif. Pourtant, votre texte contient une disposition que ne commandait aucune directive et dont personne ne sait pourquoi elle a été dissimulée dans ce projet – je m’étonne d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, que vous n’ayez pas évoqué ce point, qui a donné lieu à débat –, je veux parler de la disposition de l’article 2 du projet de loi qui autorise l’organisation d’enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe.
Étrangement, personne dans ce Gouvernement ne revendique cette disposition, et il a été impossible, lors du débat parlementaire, d’obtenir plus d’informations sur son objectif et sa visée.
Une fois de plus, l’Europe a bon dos ! En effet, contrairement aux allégations du Gouvernement, aucune des directives à transposer ne comportait de disposition de ce genre. Je soulignerai en particulier que le domaine de l’éducation a été expressément exclu du champ d’application des textes communautaires.
La réalité, c’est que cette disposition a été dissimulée dans ce texte par le Gouvernement, qui une fois de plus, pour éviter un débat parlementaire approfondi, s’est camouflé derrière de prétendues exigences européennes.
Vous savez bien, madame la secrétaire d’État, qu’aucun ministre de l’éducation n’aurait eu l’audace d’inscrire dans nos textes, même par voie de circulaire, une telle atteinte au principe de mixité scolaire. S’il l’avait fait, il se serait immédiatement exposé à la foudre des organisations laïques et des syndicats de l’enseignement.
Au Sénat, tous les groupes parlementaires, la délégation aux droits des femmes, ainsi que la commission étaient d’accord pour supprimer cette disposition. Or, contre toute attente, le Gouvernement a maintenu sa position, sans aucune explication.
Cet épisode en dit long sur la liberté de parole et d’amendement de la majorité et augure mal de la façon dont on entend donner plus de pouvoir au Parlement !
La mixité, madame la secrétaire d’État, est un acquis fragile et ses détracteurs invoquent principalement trois arguments.
Le premier, d’ordre pédagogique, met en évidence le frein que peut constituer la mixité aux performances respectives des filles et des garçons.
Le deuxième, d’ordre social, souligne la montée des violences dans les établissements, notamment les violences sexuelles.
Le troisième, enfin, que l’on peut classer, faute de mieux, dans la catégorie « morale », déplore l’indécence qu’il y aurait, pour les garçons et les filles, à suivre des cours en commun.
La délégation aux droits des femmes du Sénat s’était saisie de cette question en 2004. Elle avait conclu que les réponses aux problèmes soulevés se trouvaient non pas dans la ségrégation, mais dans la formation des enseignants, l’encadrement éducatif, le contenu des manuels scolaires et surtout dans la volonté politique d’accompagner les jeunes femmes dans des choix d’orientation professionnelle dont elles ont tendance à s’auto-exclure.