Intervention de Yannick Bodin

Réunion du 19 mars 2009 à 9h30
Libertés et responsabilités des universités — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Yannick BodinYannick Bodin :

Madame la ministre, en préambule, je dois vous dire que je ne savais pas très bien si c’était à vous ou à votre collègue M. Xavier Darcos que je devais m’adresser ce matin.

J’ai choisi de m’adresser au Gouvernement, comme m’y invite votre déclaration commune en date du 12 mars, puisque je veux vous parler de la formation des maîtres.

La loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 vous a, en particulier, permis de lancer, madame la ministre, la réforme de la mastérisation de la formation des maîtres de l’enseignement primaire et des enseignants du secondaire.

Depuis plusieurs semaines maintenant, l’actualité est ponctuée par des manifestations d’étudiants et d’enseignants, ainsi que par les protestations de diverses organisations syndicales contre cette réforme.

La journée d’aujourd’hui en est d’ailleurs une nouvelle et spectaculaire illustration.

Vous venez, après des semaines d’immobilisme, de faire quelques propositions nouvelles sur certains points. Malheureusement, votre réforme n’est toujours pas acceptable en l’état et c’est l’objet de ma prise de parole aujourd’hui devant vous.

Lorsque, aux termes de la loi Fillon, les IUFM furent rattachés aux universités, nous avions, malgré les dénégations du ministre de l’époque, affirmé qu’il en résulterait à court terme la suppression pure et simple de ces instituts. Il fallait certes les réformer, mais certainement pas les supprimer, sauf à vouloir supprimer l’apprentissage professionnel du métier d’enseignant.

Jusqu’à maintenant, les futurs enseignants pouvaient intégrer les IUFM pendant deux ans. Au cours de la première année, ils recevaient des enseignements théoriques pour la préparation des concours et, au cours de la seconde, ils fréquentaient en alternance un établissement d’enseignement scolaire au sein duquel ils se trouvaient en situation, devant les élèves. Dans ce processus de formation, la pratique était reconnue comme évaluatrice et comme formatrice de la capacité d’enseigner.

Aujourd’hui, la « mastérisation » va vers la suppression de cette année d’alternance, qui disparaît au profit de la seule logique des savoirs. De surcroît, la réforme réduit de manière dramatique la possibilité d’organiser une formation continue des enseignants.

Devant les contestations émises par l’ensemble du monde enseignant, « un dispositif de stage », selon votre communiqué, va être mis en place. Il comprendra 108 heures de stages dits « d’observation » en première année de mastère et 108 heures de stages dits « en responsabilité » en deuxième année. Avouez que c’est vraiment très peu, madame la ministre, cela ne représentant que quelques semaines passées dans une classe à temps complet...

Ces stages seront certes rémunérés à hauteur de 3 000 euros, mais c’est sans aucune comparaison avec l’année en alternance passée au sein d’un IUFM !

Par ailleurs, vous octroyez généreusement 12 000 bourses supplémentaires, d’un montant maximum de 2 500 euros. Mais peut-on vivre une année entière avec 2 500 euros ? Même cumulée avec d’autres aides, cette bourse ne compensera en aucun cas l’année rémunérée de stage qui existait dans le cadre des IUFM.

Je m’interroge donc très sérieusement sur ces stages en responsabilité que vous prévoyez d’organiser pendant la formation des futurs enseignants. Seront-ils obligatoires pour passer le concours ? Il ne semble pas que ce soit le cas, si j’en crois votre communiqué du 12 mars dernier.

En matière de professionnalisation, le mastère « enseignement » ne doit pas être une simple couverture : les stages, qui pourront être effectués en cours d’année, seront réduits, juxtaposés et centrés sur une observation modélisante. Les concours seront prédominants et l’ouverture sur la recherche vraiment limitée.

La formation pédagogique, c’est l’apprentissage d’un savoir-faire et d’un savoir-être, des notions plus qu’indispensables quand on travaille avec des enfants. La pédagogie enseignée dans les IUFM permettait aux futurs enseignants d’acquérir une capacité à transmettre les savoirs, une culture professionnelle ainsi que les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier. Madame la ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’enseigner est un métier et, comme tous les métiers, ça s’apprend !

Quant au concours, votre réforme prévoit qu’il s’articulera dorénavant autour de trois types de savoirs : la connaissance des programmes du premier ou du second degré, l’adaptation théorique d’un savoir à une classe à travers une leçon modèle et la connaissance de l’institution scolaire. De la maîtrise de ces savoirs dépendra le droit d’enseigner. Faire la preuve de l’acquisition des savoirs tiendra lieu de mise à l’épreuve dans la classe. Or il est faux de laisser croire que savoir, c’est savoir enseigner.

Nous sommes là dans une logique d’enseignement qui omet la logique de l’apprentissage, celle des élèves comme celle des enseignants.

Au surplus, il ne me semble pas judicieux que les épreuves du concours se déroulent la même année que celles du mastère. Cette réflexion avait déjà été faite lors de la réforme, nécessaire, de la première année d’IUFM. En effet, quels résultats les étudiants pourront-ils obtenir au mastère alors qu’ils n’auront, bien légitimement, pensé qu’à réussir leur concours ? Votre mastère « enseignement » risque de devenir un sous-diplôme.

Votre réforme prévoit également l’exigence d’un mastère II pour devenir maître. Élever le niveau des connaissances des futurs enseignants peut être une bonne chose. Puissent-ils d’ailleurs tous connaître la Princesse de Clèves !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion