Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les médias ont essentiellement insisté, parmi les revendications du mouvement actuel, d’abord sur le statut des enseignants-chercheurs, puis sur la formation des enseignants, les revendications liées plus spécifiquement à la recherche ont été moins mises en exergue.
Or, madame la ministre, vous ne pourrez pas faire l’impasse sur le volet « recherche » pour dénouer la crise. Pourtant, jusqu’à maintenant, c’est la stratégie du saucissonnage qui a prévalu, le Gouvernement tablant sur le pourrissement du conflit. Vous laissez ainsi une direction du CNRS largement discréditée seule face à la colère légitime des chercheurs.
Le secteur de la recherche subit depuis plusieurs années attaques répétées, mépris, dénigrement ! C’est particulièrement vrai pour les organismes de recherche, au premier rang desquels le CNRS. Les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années se sont en effet appliqués à développer un discours « décliniste » sur la recherche française, pour mieux vendre à l’opinion publique leur casse de notre système de recherche.
Pourtant, le classement de Shanghai, cité à tout va dans notre pays, reste confidentiel dans les colloques scientifiques internationaux. La France semble être un des rares pays à lui avoir conféré autant de crédit, une telle aura ! Si notre recherche était aussi médiocre que l’on a bien voulu nous le dire, pourquoi une telle fuite des cerveaux ? Pourquoi nos chercheurs sont-ils si appréciés à l’étranger, si ce n’est parce qu’ils sont bien formés ?
Depuis 2004, la communauté scientifique a montré qu’elle était prête à évoluer, notamment avec les états généraux de la recherche. Elle a mis sur pied un ensemble de propositions, mais elle n’a pas été écoutée ; pis, certaines de ces propositions ont été détournées, voire dévoyées.
Depuis maintenant sept semaines, elle est à nouveau mobilisée dans le mouvement du monde académique pour défendre l’indépendance du savoir et de la connaissance, pour lutter contre son inféodation aux lois du marché et de la concurrence.
Le 12 mars dernier, plus de cinq cents délégués de laboratoires de toutes disciplines se sont réunis à Paris. Ils se sont organisés en coordination nationale des laboratoires en lutte pour appeler à l’arrêt du démantèlement des organismes de recherche et de l’affaiblissement de notre potentiel de recherche ainsi qu’à la création d’emplois dans la recherche publique.
Le 14 mars, ce sont plus de deux cent cinquante directeurs de laboratoires qui ont décidé d’amplifier leur action.
Hier, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, a été occupée en tant que symbole de la conception gouvernementale purement managériale de l’activité universitaire et scientifique, conception selon laquelle la bibliométrie et les classements internationaux constituent l’alpha et l’oméga de l’évaluation.
En ce qui concerne la marchandisation de la recherche, le témoignage de l’assemblée des personnels de l’université de technologie de Troyes, déjà passée à l’autonomie, est édifiant :
« La logique du retour sur investissement entraîne l’inversement quasi mécanique de l’ordre de priorités des trois missions de notre université, à savoir l’enseignement, la recherche et le transfert de technologies. Certes, le transfert était un objectif dès la création de l’université de technologie de Troyes. Les personnels adhèrent à ce point de vue et nombre d’entre eux collaborent déjà avec les entreprises. Mais aujourd’hui, le transfert est devenu “la” priorité. [...] les enseignants-chercheurs sont désormais considérés comme des exécutants, devant se conformer aux missions de la direction de la valorisation et des partenariats industriels. Ces missions sont sans lien direct avec les besoins réels du terrain et ne mènent pas à la production de connaissances originales. À titre d’illustration, le dépôt des dossiers auprès de l’Agence nationale pour la recherche est désormais validé par la direction de la valorisation et des partenariats industriels, en regard de bénéfices financiers attendus, hors les retombées scientifiques possibles.
« Dans l’esprit des nouvelles réformes, notre université est désormais gérée comme une entreprise. Ses finalités deviennent : recherche de rentabilité et marge. En appliquant chez nous des recettes qui ont prouvé leur inefficacité, le directeur peut désormais manager seul, sans contre-pouvoir, une organisation qui n ’a de publique que... plus de 90 % de son budget. »
Madame la ministre, voilà ce qui se profile pour l’ensemble de notre recherche : la soumission totale à des intérêts strictement économiques. Ce n’est pas notre vision de la recherche ni celle des chercheurs.
On comprend bien, dès lors, pourquoi le statut des enseignants-chercheurs en particulier – et celui des fonctionnaires en général –, avec son corollaire, la garantie de l’indépendance et la liberté d’enseignement et de recherche, doit être réformé. Ils constituent en effet un rempart contre les pressions économiques sur la définition de la recherche, contre les instructions du pouvoir politique et administratif.
La réduction du nombre des fonctionnaires prend ainsi tout son sens doctrinal, toute sa dimension idéologique. L’indépendance, voilà bien ce qui heurte le plus notre hyper-Président !
Il n’y a qu’à se reporter à son discours du 22 janvier dernier, dont les déclarations méprisantes envers les chercheurs, le dénigrement des valeurs du métier de scientifique, au premier rang desquelles figure l’éthique, ont légitimement heurté l’ensemble de la communauté scientifique.
Il faut dire que cette piètre caricature des chercheurs a fait énormément de mal : « mauvais, non performants, archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, aveugles, refusant de voir la réalité, immobilistes, ayant des mentalités à changer, installés dans le confort de l’auto-évaluation, travaillant dans des structures obsolètes, archaïques et rigides. »