Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 19 mars 2009 à 9h30
Libertés et responsabilités des universités — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Car il n’y a pas que le fond : c’est aussi la forme qui a creusé un fossé entre votre gouvernement et la communauté scientifique. Il faudra alors bien plus et bien mieux que des propos qui se veulent rassurants et des pseudo-négociations sur des sujets parcellaires pour regagner leur confiance.

Le premier signe fort attendu réside, me semble-t-il, dans l’annulation des suppressions nettes de postes prévues dans les organismes, mais aussi des suppressions indirectes à travers les chaires mixtes. Il devra s’accompagner d’un plan pluriannuel de programmation de l’emploi scientifique.

À cet égard, je me réfère à la position exprimée par François Fillon, actuel Premier ministre : « Il faut rendre plus lisible la politique de recrutement dans les universités et les organismes de recherche et donner aux acteurs de la recherche plus de visibilité sur le recrutement et le déroulement des carrières. C’est pourquoi je considère qu’il est nécessaire de mettre en place un plan pluriannuel de l’emploi scientifique ».

Rassurez-vous, madame la ministre, cette déclaration n’est pas récente. Elle remonte à 2004, quand M. Fillon était ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est ainsi qu’il s’exprimait aux assises nationales des états généraux de la recherche. Pourtant, cette déclaration n’a jamais autant été d’actualité, et je lui dis : chiche !

Avec ce préalable, vous construiriez assurément les conditions d’un retour de la confiance et d’un dialogue apaisé sur l’avenir de notre recherche et sur son organisation institutionnelle, afin de permettre un partenariat équilibré entre universités et organismes.

Devra également être mis sur la table un vrai bilan du crédit d’impôt recherche. Il est inadmissible de continuer à arroser le sable, avec des sommes qui semblent devoir être de plus en plus démentielles, et dans des conditions de plus en plus souples. Désormais, les entreprises pourront bénéficier, dans le cadre du plan de relance, d’un remboursement anticipé du crédit d’impôt recherche. Dans le même temps, on nous signale des effets d’aubaine caractérisés.

L’entreprise Rhodia, par exemple, a bénéficié d’un crédit d’impôt recherche de 7 millions d’euros en 2007 et celui-ci devait atteindre 20 millions d’euros en 2008. Comment Rhodia envisage-t-elle d’utiliser ces 13 millions d’euros supplémentaires ? En investissant dans la recherche et développement ? Pas du tout ! Elle prévoit la suppression de 23 postes de recherche et développement en équivalent temps plein et la marge dégagée par l’abaissement du coût de la recherche grâce au crédit d’impôt recherche sera affectée à la réduction de la dette du groupe.

Pendant ce temps-là, les modalités d’évaluation du CNRS sont vilipendées par le Président de la République. Si ce n’était pas aussi grave pour l’avenir de notre pays, ce serait risible !

Que le Président de la République, si prompt à regarder de l’autre côté de l’Atlantique et à prendre les États-Unis comme modèle, observe donc les engagements pris par Barack Obama en matière de recherche !

Premièrement, doubler le financement fédéral – donc le financement d’État – de la recherche fondamentale : pas de l’innovation ni de la recherche industrielle, mais bien de la recherche fondamentale en science physique, biologie, mathématiques et ingénierie.

Deuxièmement, faire en sorte que la recherche scientifique et technologique soit présente et accessible dans toutes les universités et facultés, grandes ou petites, riches ou moins influentes.

Troisièmement : améliorer considérablement les connaissances et les compétences de la grande majorité de la population dans les domaines scientifique et technologique.

On pourrait y ajouter la récente décision de permettre le financement public de recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Qu’a proposé M. Nicolas Sarkozy dans son plan de relance en matière d’enseignement supérieur et de recherche ? Des travaux immobiliers et une anticipation du crédit d’impôt recherche… Quelle inventivité ! Rien, on ne trouve absolument rien sur la recherche publique ! Quant à la recherche fondamentale, c’est à se demander si le Président de la République sait qu’elle existe et qu’elle présente un grand intérêt.

On aurait tout à fait pu imaginer que, face au caractère exceptionnel du contexte que crée la crise actuelle, le Gouvernement négocie avec les entreprises ayant réalisé des bénéfices record – comme Total, avec ses 13, 92 milliards d’euros de profit pour 2008, grâce à l’augmentation faramineuse des cours du pétrole – en réinvestissent une partie de ces bénéfices dans la recherche publique fondamentale, dans les énergies alternatives ou sur la biodiversité marine, thématique choisie par la fondation Total pour redorer son image d’entreprise polluante. Je serais d’ailleurs curieux de connaître le montant dont bénéficiera Total au titre du crédit d’impôt recherche pour 2008 !

À vous qui semblez apprécier la pensée de Jacques Derrida, madame la ministre, puisque vous avez utilisé une courte citation de L’Université sans condition, « professer, c’est s’engager », en guise de conclusion d’une tribune intitulée « Ce que je veux dire aux enseignants-chercheurs », je propose de clore mon propos sur une citation issue de cette même conférence de Derrida : « Nous devons réaffirmer, déclarer, professer sans cesse l’idée que cet espace de type académique doit être symboliquement protégé par une sorte d’immunité absolue, comme si son dedans était inviolable [...] Cette liberté ou cette immunité de l’Université, et par excellence de ses Humanités, nous devons les revendiquer en nous y engageant de toutes nos forces. »

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