Madame la ministre, je compte revenir sur la réforme de la formation des enseignants ; mon propos s’adressera donc aussi, à travers vous, à M. Darcos, et je vous laisserai faire le tri des reproches qui s’adressent à l’un et à l’autre.
Madame la ministre, quel talent ! Réaliser pareille unanimité, contre vous, de tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à l’éducation n’est pas à la portée de tout le monde !
Ainsi en va-t-il de votre projet de réforme : des étudiants à la Société des agrégés en passant par les enseignants et leurs syndicats, les présidents d’université, les directeurs d’IUFM, les sociétés savantes, les associations de spécialistes et j’en passe, l’opposition est générale. Seul varie le niveau de langage.
Vos intentions étaient pourtant pures puisque, selon M. Darcos, il s’agissait d’assurer aux enseignants français « une formation universitaire comparable à celle de l’ensemble de leurs collègues européens au terme de cinq années d’études », de mettre en place « une meilleure qualité de la formation des enseignants pour assurer une meilleure qualité de l’enseignement délivré à nos élèves ». Et, sublime effort, d’augmenter leur rémunération !
Malheureusement, c’est du bluff !
Actuellement, si l’on totalise formation universitaire, préparations spécifiques aux concours de recrutement et formation professionnelle en IUFM, quels enseignants, des professeurs des écoles aux professeurs agrégés, n’ont pas déjà au minimum cinq années d’études supérieures derrière eux ? Beaucoup d’ailleurs, y compris parmi les professeurs des écoles, en ont bien plus !
Alors, si votre objectif est de donner un sésame européen aux enseignants français, pourquoi ne pas vous contenter, au lieu de cette réforme dont personne ne veut, d’une simple reconnaissance par un mastère des années de formation initiale des enseignants, comme le demandent unanimement et depuis longtemps les directeurs d’IUFM ? Accessoirement, d’ailleurs, vous pourriez augmenter leurs salaires !
C’est à se demander si l’objectif final n’est pas l’organisation d’un vaste marché des étudiants demandeurs d’emplois, selon le modèle anglo-saxon, grand marché dans lequel les établissements d’enseignement pourront puiser directement. Il deviendra alors possible de recruter sur la base de CDI, voire de CDD, une main-d’œuvre qui n’aura plus rien à voir avec les fonctionnaires de l’éducation nationale d’aujourd’hui. Belle modernisation !
Je caricature ? Mais alors, comment interpréter cette réponse de DRH faite par le ministre de l’éducation nationale aux présidents d’université réticents : « On va les trouver, les gens pour passer nos concours. […] Donc moi, je n’ai pas absolument besoin d’entrer dans des discussions sibyllines… » – je pense qu’il voulait dire « byzantines » – « …avec les préparateurs à mes concours. Je suis recruteur. Je définis les concours dont j’ai besoin. Je garantis la formation professionnelle des personnels que je recruterai. Après, chacun nous suit, ou pas. »
Vous garantissez la formation professionnelle des personnels que vous recrutez ; mais peut-on appeler formation professionnelle des bouts de stage et des remplacements dispersés sur les deux années de mastère sans la cohérence d’ensemble que pourraient assurer les IUFM ? Particulièrement fâcheuse est la disparition de l’actuelle année de formation professionnelle après la réussite au concours de recrutement. Les nouvelles recrues seront immédiatement mises devant une classe. Ah ça, ils ne seront pas dans un simulateur ! Ce luxe est désormais réservé aux pilotes de ligne et de chars Leclerc, qui, il est vrai, manipulent des engins coûteux !
Critiquable, la formation professionnelle des IUFM ? Certes ! Mais l’absence de formation professionnelle, est-ce mieux ? Disons que cela coûte moins cher !
À ces défauts rédhibitoires de la réforme s’ajoutent deux effets pervers moins immédiatement visibles.
D’abord, repousser d’une année l’accès aux concours de recrutement de l’éducation nationale, c’est demander un effort financier supplémentaire aux étudiants issus des classes populaires, pour qui ces concours représentent un débouché professionnel traditionnellement important, et cela sans véritable plus-value en matière de formation académique. C’est particulièrement vrai des futurs professeurs des écoles, par définition polyvalents. Une année de plus dans leur discipline d’origine ne leur donnera pas plus de compétence dans celles qu’ils ne maîtrisent pas, mais qu’ils devront néanmoins enseigner ! Tous les cautères, sous forme de bourses ou de rémunérations accessoires des stages, n’y changeront rien.
Ensuite, le projet signifie aussi, à terme, la disparition des IUFM, en tout cas de leurs antennes départementales, maintenues à bout de bras par les collectivités locales parce qu’elles sont l’une des rares institutions universitaires du département. La réforme n’est pas encore passée dans les faits que le déménagement du territoire a commencé !
C’est en tout cas ce que j’observe dans mon département, le Var, avec la suppression de la moitié des postes de professeur des écoles maître-formateur associés au centre IUFM de Draguignan. J’aimerais, madame la ministre, que vous me répondiez sur ce point : la disparition des IUFM et de leurs antennes départementales est-elle programmée ?
Madame la ministre, pour conclure, je vous proposerais bien de méditer les propos que Mme de La Fayette, si admirée du Président de la République, prête à la princesse de Clèves lorsqu’elle prend congé de Nemours : « Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. »
Madame la ministre, la sagesse commande de remettre votre projet de réforme des formations en chantier. Si vous ne le faites pas par conviction, faites-le au moins pour votre repos !