Vous conviendrez que ce n’était pas le meilleur endroit pour faire des économies !
Puisque j’en suis aux épineuses questions financières, je souhaite évoquer les difficultés rencontrées par les associations en matière d’hébergement des victimes. Les places manquent dans ce domaine, tout comme elles manquent en « accueil d’urgence de nuit ».
Nous ne pourrons appliquer correctement cette loi du 4 avril 2006, en matière d’éviction, d’obligation de soins, d’hébergement de l’agresseur et de protection des victimes que si des moyens sont corrélativement mis en place. À défaut, certaines mesures resteront lettre morte.
Pardonnez-moi de le dire ainsi, madame la secrétaire d’État, mais dès lors qu’il s’agit de solidarité nationale, la balle est dans votre camp.
On ne peut décemment laisser les associations, les salariés et les élus bénévoles, se débattre dans d’inextricables problèmes de financement, alors qu’elles s’efforcent de rendre effectif l’essentiel des mesures que nous avons décidées. Prenons garde qu’à trop tirer sur la corde elle ne finisse par casser…
Une autre question concerne la formation des différents intervenants, à commencer par celle des professionnels de santé, souvent en première ligne face aux violences physiques, sexuelles ou psychologiques. Ceux-ci considèrent que le dépistage ou le conseil aux victimes pour prévenir les drames humains n’est pas chose aisée et se disent pris entre le devoir de protection de la santé de leurs patientes et les impératifs du secret professionnel.
Ils leur arrivent même, parfois, de solliciter les associations. Or, dans l’hypothèse de poursuites, la rédaction d’un certificat médical et l’évaluation de l’incapacité temporaire de travail, l’ITT, sont essentielles, d’où la nécessité d’une formation et d’une information approfondies des professionnels de santé.
En fait, sur ce sujet, de nombreux intervenants ont un rôle majeur à jouer en matière de détection, de repérage, d’accompagnement et de prise en charge.
C’est la raison pour laquelle il nous était apparu nécessaire de poser, d’abord dans la proposition de loi, ensuite par voie d’amendement, le principe de la formation initiale et continue de tous les acteurs sociaux, médicaux et paramédicaux : personnels de la police et de la gendarmerie, magistrat, avocats, enseignants.
Il a manqué un consensus pour introduire ces dispositions dans la loi, mais le Gouvernement a pris des engagements. Si j’ai pu vérifier qu’un effort avait été réalisé en matière de formation des policiers et des gendarmes, pour le reste, sauf erreur de ma part, je n’ai rien vu venir. La charte d’accueil ainsi que les instructions interministérielles ont effectivement permis de mobiliser les acteurs de la sécurité. Cependant, en ce qui concerne les autres intervenants, l’essentiel reste à faire en matière de formation.
Ne pourrait-on pas introduire la problématique des violences conjugales dans les programmes des étudiants qui se destinent aux carrières d’avocats, de magistrats, d’enseignants ou de médecins ?
Encore une fois, si les attentes sont fortes et les besoins évidents, les professionnels ne sont pas toujours sensibilisés à la problématique des violences conjugales. À quelques exceptions près, j’ai le sentiment que ce terrain est encore en friche.
Je veux évoquer également le sujet de l’aide juridictionnelle qu’il conviendrait d’accorder, sans condition de ressources, aux victimes de violences conjugales. Celles-ci sont souvent en état de choc et il faut leur faciliter la tâche, notamment dans les moments difficiles où elles décident de réagir. Leur dépendance financière risque aussi de constituer un frein dans la recherche d’un avocat, et il est inutile de compter sur le concours du conjoint ou du partenaire pour faire face à ce type de dépenses.
Une autre priorité serait de permettre aux victimes de violences conjugales d’obtenir, sans condition de ressources, la réparation intégrale des dommages subis, en intégrant, de manière explicite, dans l’article 706-3 du code de procédure pénale, les infractions les plus graves commises au sein du couple. Cette possibilité existe déjà pour certaines infractions.
L’accès au logement social constitue un autre problème. Il s’agit d’une mesure essentielle pour permettre aux femmes de se reconstruire et de se retrouver en sécurité. La solution du centre d’hébergement spécialisé ne peut durer qu’un temps ; ces établissements manquent d’ailleurs de places, je le répète. Il existe une pénurie de logements adaptés aux ressources de ces personnes. On note même, de la part de certains propriétaires, une forte réticence à reloger ces familles monoparentales à revenus faibles.
Il est capital que les femmes victimes de violences conjugales soient véritablement prioritaires dans l’accès au logement social, en particulier celles qui sortent des centres spécialisés. Le logement et l’insertion professionnelle jouent un rôle essentiel dans le retour à l’autonomie. Et même si la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion présente quelques avancées sur ce point, je suggère que, chaque année, des propositions de logements sociaux soient faites aux associations spécialisées.
Je veux enfin m’attarder sur un point capital, que nous n’avons que très rarement évoqué : l’incidence des violences conjugales sur les nourrissons et les jeunes enfants. Ils en sont en effet les spectateurs et les victimes collatérales et, lorsqu’ils sont exposés à des violences domestiques, leur cerveau ainsi que leur développement moteur et cognitif peuvent subir des dommages sévères liés au stress émotionnel ressenti. Ces enfants peuvent présenter des troubles du sommeil ainsi que des troubles du comportement et de la personnalité tels que des dépressions, des tendances suicidaires, une énurésie ou des maladies psychosomatiques.
Certaines études ont par ailleurs révélé que 40 % des adolescents très violents ont eux-mêmes été exposés à ce genre de violences lorsqu’ils étaient jeunes enfants.
Bref, les violences conjugales constituent une redoutable machine à fabriquer et à reproduire de la violence. Les enfants exposés aux violences ont souvent tendance à considérer celles-ci comme un moyen habituel de résoudre les problèmes interpersonnels. Une prise en charge de ces enfants s’impose donc si l’on veut limiter l’impact psychique que peuvent avoir sur eux les violences conjugales. C’est pourquoi certaines associations comme le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles, le CIDFF, du département de l’Aude envisagent de mettre en place des « lieux d’écoute ». Je souhaiterais savoir si vous entendez encourager et, surtout, soutenir de telles initiatives, madame la secrétaire d’État.
Je ferai encore une remarque sur un point soulevé, voilà quelque temps, par notre collègue Raymonde Le Texier. Il a été reproché à une femme battue par son mari, ainsi qu’à l’association qui l’hébergeait, d’avoir dissimulé au père l’adresse réelle de la mère et des enfants. L’affaire a été jugée voilà environ deux ans. Or, s’il est légitime de veiller aux droits du père, il importe aussi d’assurer la protection de la mère et des enfants. Cela soulève le problème du cloisonnement entre le pénal et le civil. C’est pourquoi nous suggérons la création de « lieux neutres » ou d’« espaces de rencontre » où le parent exclu du domicile et tenu de rester éloigné de sa compagne pourra rencontrer ses enfants. Je me permets de vous signaler qu’un tel projet pourrait prochainement voir le jour, en terre d’Aude, sur l’initiative du CIDFF.
Cela me conduit à plaider pour une véritable cohérence entre les procédures pénales et civiles, ce qui rejoint d’ailleurs l’une de vos préoccupations, madame la secrétaire d’État. Plusieurs associations me faisaient remarquer que les juges aux affaires familiales n’étaient pas toujours informés des faits de violences conjugales et des procédures en cours. Je pense aussi que les avocats devraient saisir plus souvent le juge aux affaires familiales dans les cas de violences commises à l’encontre d’une mère.
Il me semble également qu’il conviendrait de compléter l’article 220-1 du code civil, qui permet au juge aux affaires familiales de statuer tout à la fois sur la résidence séparée des conjoints et sur l’exercice de l’autorité parentale. Comme chacun l’aura remarqué, cette disposition ne vaut que pour les couples mariés. Or, à l’instar des magistrats, des associations et des avocats, il me paraît indispensable de l’étendre également aux couples qui vivent en concubinage ou à ceux qui sont liés par un pacte civil de solidarité.
Je ne vous cache pas, madame la secrétaire d’État, que nous essaierons, avec le groupe socialiste, de faire avancer certaines de nos propositions au travers de différentes initiatives législatives à venir.
En tout état de cause, je crois que le Sénat peut être fier d’avoir joué, dès 2005, un rôle de précurseur dans un domaine qui, aujourd’hui encore, nous mobilise, sur l’initiative de Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, par nos initiatives respectives, passées, présentes et futures, nous pouvions contribuer à éradiquer les violences au sein du couple par une vraie révolution des mentalités, nous ferions alors vraiment œuvre utile. Certes, la tâche sera ardue... Raison de plus pour la poursuivre et l’amplifier.