Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon analyse de la situation actuelle en matière de violences subies par les femmes est la suivante : un dispositif législatif fort, une prise de conscience politique affirmée, mais des violences persistantes.
Je m’attacherai à développer ce constat et ma collègue Catherine Morin-Desailly insistera sur les moyens qu’il nous semble important de mettre en œuvre.
À titre liminaire, je souhaite insister sur le fait que les violences faites aux femmes constituent une violation des droits humains que sont le droit à la sécurité, le droit à l’égalité, le droit à la liberté et, surtout, le droit à la vie.
Je tiens également à replacer cette violence dans le contexte plus large de la discrimination. En effet, la violence envers les femmes est étroitement liée à une discrimination, qui perdure et qui se fonde uniquement sur l’appartenance sexuelle. Elle s’exerce contre les femmes parce qu’elles sont femmes. La substance même de la discrimination est l’exercice d’une différence de traitement arbitraire. Le sexisme, comme le racisme, c’est nier à un autre son statut d’alter ego.
Les violences faites aux femmes restent entretenues par un système de discrimination qui conforte celles-ci dans une position de subalternes. La discrimination constitue un terreau propice à des manifestations de violence. Elle engendre des rapports de force et de domination et se traduit par un sentiment de propriété du corps et de l’esprit de la femme.
Ces vingt dernières années, notre dispositif législatif a beaucoup évolué, et ce en accord avec les principes du droit international et des droits humains en matière de lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes.
Depuis 1994, quand les violences criminelles ou délictuelles au sein du couple sont le fait du conjoint ou du concubin, elles sont sanctionnées par l’introduction d’une circonstance aggravante.
La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a marqué une étape fondamentale. Plusieurs de ses dispositions constituent de réelles avancées. Tel est le cas de l’élargissement au partenaire lié à la victime par un PACS de la circonstance aggravante précitée. Cette extension vaut aussi à l’encontre des « ex » et s’avère tout à fait adaptée. En effet, la période consécutive à la rupture est souvent le moment où la violence se manifeste de manière exacerbée. Ainsi, l’Observatoire national de la délinquance affirme que si seulement 9 % des femmes déposent plainte quand elles sont victimes d’un conjoint, elles sont 50 % à le faire quand l’agresseur est un ex-conjoint.
Au titre des avancées de la loi du 4 avril 2006, je citerai également l’incrimination spécifique du viol et des autres agressions sexuelles au sein du couple, l’interdiction du domicile conjugal ou familial et l’injonction de soins pour le conjoint violent, la prévention des mariages forcés, avec notamment le relèvement de l’âge légal du mariage, le contrôle du consentement des époux et les nouvelles règles de l’action en nullité du mariage pour vice de consentement.
Dans la lutte contre les violences subies par les femmes, le dispositif législatif constitue un cadre normatif essentiel, mais insuffisant. La responsabilité de l’État est également essentielle. Ce dernier doit continuer à se donner les moyens nécessaires pour que ces droits soient véritablement respectés, garantis et protégés. Cela implique non seulement de sanctionner les auteurs de ces violences, d’offrir des réparations adéquates aux femmes, mais aussi de prendre toutes mesures pour prévenir ces violences. Il s’agit d’une véritable obligation de diligence.
L’État doit prendre toutes les mesures ad hoc pour prévenir les préjudices potentiels à l’égard des femmes. Cela signifie qu’il a l’obligation de lutter par tous les moyens contre les comportements sexistes, notamment en intégrant cette démarche dans ses vecteurs éducatifs et dans les cursus scolaires, en soutenant des campagnes d’information régulières, en formant ses agents dans une optique égalitaire.
Madame la secrétaire d'État, vous avez affirmé cette volonté politique, mais les résultats ne semblent pas tout à fait à la hauteur de vos ambitions. Pourtant, à l’occasion des dernières campagnes de sensibilisation, vous avez indiqué vouloir sonner l’heure de la réaction. La campagne d’octobre 2008, avec son ton inhabituellement grinçant et une accroche au second degré, voulait provoquer un déclic, susciter l’action aussi bien auprès des femmes et de leur entourage, trop souvent muet, que des auteurs de violences.
Le label « campagne d’intérêt général » attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes va également dans le bon sens, puisque les associations pourront travailler ensemble à une communication qui sera mieux relayée par les médias.
La mise en place d’une plateforme téléphonique d’aide aux victimes – le 39 19 – est aussi une bonne initiative. Le nombre important d’appels – plus de 7 000 par mois – prouve qu’elle répond à une vraie demande.
Toutefois, en dépit d’un dispositif législatif fort, d’une vraie prise de conscience politique, les violences subies par les femmes ne régressent pas.
Les dernières statistiques ne sont guère encourageantes à cet égard. Il ressort d’une enquête récente de l’INSEE, réalisée auprès de 17 500 personnes, qu’une femme sur cinq victime de violences physiques au sein de sa famille n’a ni porté plainte ni parlé à un professionnel, policier ou médecin. Pour les violences sexuelles, la proportion de victimes murées dans leur silence est même de une sur trois.
Au total, toujours selon cette enquête, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans disent avoir été l’objet d’injures sexistes, 2, 5 % avoir été agressées physiquement et 1, 5 % avoir subi un viol ou une tentative de viol en 2005 ou en 2006.
Madame la secrétaire d'État, beaucoup reste à faire. Notre arsenal législatif est un premier pas vers l’éradication des violences faites aux femmes, encore faut-il que nos lois soient bien appliquées sur l’ensemble du territoire. Très souvent, elles ne le sont pas, faute de moyens suffisants.
Nos lois doivent aussi s’accompagner d’une véritable évolution des mentalités. Cette évolution-là, beaucoup plus lente, est celle qui fera la différence dans la pratique. Sur ce plan, les maîtres mots sont prévention, sensibilisation et formation.
Je laisse ma collègue Catherine Morin-Desailly développer ces différents points, notamment celui de la sensibilisation des plus jeunes au respect de leur corps et de celui de l’autre, à la sexualité et à la prévention des comportements sexistes.
Madame la secrétaire d'État, tels sont notre rapide constat et notre analyse. Nous serons attentifs à vos propositions.