Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, tous les trois jours, une femme meurt du fait des violences qu’elle subit.
Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été développés notamment par Mme Michèle André et M. Roland Courteau. Je partage leurs interrogations, leurs analyses. Leur réquisitoire a été fort et douloureux ; ne pas s’attaquer de manière concrète à cet épineux problème serait lourd de conséquences sociales et humaines.
Je saisis l’occasion de ce débat pour élargir notre approche et l’étendre aux violences sociales que subissent les femmes.
L’accroissement des inégalités constatées entre les hommes et les femmes n’est pas un symptôme mineur, la queue de comète d’un combat achevé ou le dernier soubresaut d’un monde ancien. Il traduit malheureusement un renforcement des pressions et des contraintes qui pèsent sur les femmes et qui nous obligent, en tant que parlementaires, à regarder la situation en face et à nous mobiliser pour inverser la tendance.
Les chiffres sont là, les faits divers sont révélateurs, les témoignages des femmes éloquents, et pourtant le sujet n’est pas au cœur de nos préoccupations. La question se pose même de savoir si notre société a encore conscience de l’importance de ce combat.
Or la violence sociale que subissent les femmes est sensible dans tous les domaines : travail, carrière, statut, vie quotidienne, mais aussi perspectives d’émancipation, liberté de choix de vie et épanouissement individuel.
En matière d’emploi, ce sont les femmes qui alimentent en masse le vivier des travailleurs sous contrats précaires ou à temps partiel. Elles représentent 82 % des actifs à temps partiel et occupent 78 % des emplois non qualifiés. Sachant que moins les emplois sont qualifiés, moins le temps partiel est choisi, cela donne une idée de la situation de nombre de femmes au regard tant de la nature de leur emploi que de la rémunération de leur travail !
Loin de se résorber, ces inégalités s’accentuent depuis les années quatre-vingt-dix : la part des femmes parmi les salariés les moins bien rémunérés et occupant des emplois à temps partiel est de dix points supérieure à celle qui était constatée à l’époque. Et avec la crise, cette situation ne fera qu’empirer ! Il serait bon de garder cela présent à l’esprit chaque fois que, dans cette enceinte, on légifère pour durcir les conditions de travail et développer le recours aux emplois précaires. Il y a eu, au cours des deux dernières années, pléthore de textes allant dans ce sens.
L’existence de telles inégalités, et surtout leur cumul, constituent une véritable violence faite aux femmes.
À cet égard, le cas des « familles monoparentales » est édifiant. Cette expression neutre masque hypocritement une situation monolithique puisque, neuf fois sur dix, il s’agit de femmes élevant seules leurs enfants. Certaines d’entre elles sont en grande difficulté. Ce sont des femmes souvent jeunes qui, au-delà de l’absence du père de leurs enfants, cumulent tous les facteurs de la précarité : solitude familiale, rupture affective, isolement social, horaires inadaptés, travail précaire et fins de mois impossibles.
Ces situations sont largement passées sous silence et n’émergent souvent qu’à travers des événements dramatiques dont, en général, l’enfant est la victime. Ces femmes sont soumises à une pression qui jamais ne se relâche. Leur vie est un véritable combat pour survivre, qui nous rappelle de manière cuisante notre incapacité à réduire la violence sociale.
Pourtant, il est possible d’agir pour lutter contre l’isolement de ces femmes, dont les enfants sont également victimes. En repérant les situations de détresse au moment de l’accouchement ou du suivi de grossesse, on pourrait mettre en place un accompagnement à domicile et, ainsi, entourer ces femmes d’un réseau de professionnels qui conseilleraient, rassureraient, aideraient et rompraient leur solitude.
Lorsque j’ai débuté ma carrière professionnelle, dans les années soixante, le suivi de jeunes mères à domicile fut ma première mission. Ce n’était pas si mal ! §Remettre à l’ordre du jour ce mode d’intervention serait une initiative pertinente. Cela vaudrait mieux que de réduire insidieusement les subventions aux associations qui interviennent dans ce domaine.
Par ailleurs, la liberté des femmes et leur émancipation n’échappent pas à la violence sociale, notamment dans les quartiers sensibles.
Les droits des femmes sont récents, pourtant ils ne cessent d’être insidieusement remis en cause. Au travers des faits divers et de leur cortège de drames, ce sont les tensions de notre société qui nous sont révélées. Dans les cas de « crime d’honneur », de viol collectif, de mariage forcé, de fille brûlée pour avoir refusé de se soumettre à la loi des hommes, c’est le caractère exceptionnel des faits qui frappe d’abord, puis c’est leur répétition qui inquiète.
Ces exemples extrêmes dévoilent la violence quotidienne que subissent les femmes dans ces banlieues que l’absence de mixité sociale a transformées en ghettos. Les débats qui en découlent montrent la résurgence d’un discours obscurantiste sur la place des femmes et leur soumission à un ordre présenté comme naturel.
En France, le poids du sexisme, de la religion et de la tradition est une réalité dont pâtit un nombre croissant de femmes, qui se trouvent assignées à résidence dans un statut inférieur, voient leurs faits et gestes contrôlés, subissent une restriction de leur liberté d’aller et venir, ne peuvent pas s’habiller comme elles le souhaitent et sont entravées dans leurs choix de vie. Dans ce cadre, toute tentative d’émancipation est vécue comme une trahison envers la famille, la culture d’origine, l’identité sociale.
Pour ces femmes, s’affirmer en tant qu’individus revient alors à rompre toutes les solidarités, ce qui est souvent impossible. Il ne leur reste plus qu’à intérioriser la norme et à participer à l’oppression, à la fois victimes consentantes et actrices de leur propre enfermement et de celui des autres.
C’est une situation que peu de responsables politiques dénoncent, dans cette enceinte ou ailleurs. Le travail d’un mouvement comme « Ni putes ni soumises » a eu le mérite de révéler le problème. Mais, concrètement, la situation des femmes de ces quartiers n’a guère évolué, si ce n’est dans le mauvais sens.
Dans son livre Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Didier Lapeyronnie dresse un tableau très sombre de la situation des quartiers de relégation sociale. Il décrit un univers où le racisme est fortement lié au sexisme. Il explique comment, au fur et à mesure que le racisme et la ségrégation se sont renforcés, le contrôle des femmes est devenu un principe central d’organisation de la vie du quartier. Cela se traduit par une séparation nette des genres, par une pression forte sur les femmes, non seulement par la violence, mais aussi par les rumeurs et les réputations.
Cette étude sociologique démontre ainsi que, lorsqu’une population est placée dans une situation de pauvreté à laquelle s’ajoute la relégation, elle se replie sur des définitions très traditionnelles des rôles sociaux, notamment familiaux, et sur une morale rigide et souvent bigote.
Ce constat, qui nous interpelle, reflète l’explosion des inégalités sociales en France et les échecs en matière d’intégration. Nous le faisons aussi dans nos quartiers : ce n’est pas un cas d’école, mais il est largement absent du discours politique.
Cet abandon est d’autant moins acceptable qu’il repose également sur la crainte de vexer des communautés dont l’emprise sur leurs membres est jugée telle que l’on agit davantage en fonction de leur capacité à mobiliser des votes que du respect des valeurs sur lesquelles nous avons construit notre idéal social. Il est d’autant moins justifié qu’en abandonnant ces femmes à leur sort, on abandonne, plus largement, ces territoires à leur misère éducative et sociale.
À travers ce prisme, ce sont les effets d’une politique de gribouille menée dans les banlieues que nous observons. Le refus de faire de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, une vraie arme pour faire vivre la mixité sociale et arrêter de concentrer l’exclusion et la misère dans les mêmes territoires a de terribles conséquences.
L’abandon de la parole politique et du discours laïque a indiqué aux intégristes de tout poil que ceux qui sont chargés d’incarner et de porter les valeurs de notre société avaient déserté ce combat.
Enfin, l’absence de réflexion, en France, sur les politiques de genre, alors que l’Europe du Nord travaille sur ces questions pour faire avancer concrètement la cause des femmes, est dommageable dans notre situation.
Analyser les violences faites aux femmes sous cet angle est rare. Pourtant, travailler pour faire évoluer les mentalités et mettre en œuvre les solutions concrètes qui permettront de changer la donne est la mission du politique. Il s’agit là d’un enjeu non seulement pour les femmes, mais pour la société tout entière.
Madame la secrétaire d’État, vous me direz peut-être que je suis peu ou prou hors sujet, et j’en prendrai alors acte.