Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 9 février 2011 à 21h45
Immigration intégration et nationalité — Article 37

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article prévoyait de reculer de deux à cinq jours l’intervention du juge judiciaire dans la procédure d’éloignement.

Nous l’avons souvent souligné au cours du débat, selon le Conseil constitutionnel, la rétention administrative doit être placée sous le contrôle du juge en vertu de l’article 66 de la Constitution, qui fait de l’autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle.

Actuellement, l’étranger en instance d’expulsion est présenté successivement au juge des libertés et de la détention puis au juge administratif. Le juge des libertés et de la détention intervient donc dans un délai de quarante-huit heures avant le juge administratif.

Or le Gouvernement tient absolument à inverser le déroulement actuel des recours pendant la rétention. Cette réforme de la procédure d’expulsion est, pour lui, l’une des bases du projet de loi.

Le texte initial prévoyait donc de repousser de quarante-huit heures à cinq jours le contrôle de la rétention par le juge des libertés et de la détention. Le juge administratif serait intervenu dans un délai de cinq jours et, au terme de ce délai seulement, le juge des libertés aurait pu décider de prolonger ou non la rétention.

Cette inversion, qui entraîne donc un allongement considérable du délai de privation de liberté avant toute intervention du juge judiciaire, a été votée par l’Assemblée nationale.

Sur l’initiative des sénateurs socialistes, la commission des lois du Sénat s’est cependant opposée à la mesure en décidant d’en revenir à ce qui prévaut actuellement : d’abord intervient le juge des libertés et de la détention, et ensuite seulement le juge administratif.

La commission a, en effet, estimé que l’intervention de l’autorité judiciaire était une nécessité constitutionnelle et a adopté l’amendement en ce sens de notre collègue Richard Yung.

À travers cet amendement, le contrôle de la légalité de la rétention par un juge du siège, indispensable au rétablissement des droits, avait été réintroduit.

C’était sans compter, cependant, l’entêtement du Gouvernement et celui de certains de nos collègues, dont M. le rapporteur, qui s’est déclaré, à titre personnel, favorable à ce dispositif.

L’un des motifs officiels serait la clarification, l’enchevêtrement des procédures administrative et judiciaire rendant – paraît-il – de nombreuses mesures d’éloignement quasi inexécutables.

L’étranger, nous dit-on également, pourra toujours déposer un référé-liberté auprès du juge administratif pour être remis en liberté.

En réalité, le vrai motif est que la politique suivie par le Gouvernement, la politique du « chiffre », toujours elle, qui ne change rien en profondeur, mais qui complique la vie de beaucoup de personnes et oblige les policiers à accomplir un travail qu’ils apprécient de moins en moins – nous le savons par leurs syndicats –, serait mise à mal par les juges des libertés et de la détention, suspectés d’ordonner trop souvent des remises en liberté pour non-respect des procédures.

Comme s’il n’était pas important que les procédures soient respectées !

Si l’intervention du juge des libertés et de la détention est repoussée à cinq jours, les étrangers risquent d’être expulsés avant même d’avoir été présentés à un juge judiciaire. Le report de l’intervention du juge des libertés et de la détention chargé, notamment, de contrôler la régularité des procédures permettra d’éloigner très rapidement des étrangers.

Le juge administratif va pouvoir, ainsi, juger du bien-fondé d’une privation de liberté alors que la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel assigne cette compétence au juge judiciaire dont le contrôle doit intervenir « dans le plus court délai possible » ou « dans les meilleurs délais », c'est-à-dire certainement pas au bout de sept jours !

Pour le groupe socialiste, rétablir l’ordre des interventions de l’un et de l’autre juge ne constitue pas une mesure de défiance à l’égard du juge administratif, dont nous apprécions le travail dans le sens de la défense des libertés, mais vise à rappeler le rôle prépondérant du juge des libertés et de la détention, chargé de se prononcer sur le principe de l’incarcération, constitutionnellement garant de la liberté individuelle, qui est une exigence dans un État civilisé.

Les juges administratifs, qui seront en grève le 10 février prochain pour manifester leur opposition à ce texte et pour d’autres raisons, notamment pour dénoncer le manque de moyens, ne sont pas non plus ravis de cette « inversion ». Ils craignent d’être débordés, cette mesure, indiquent-ils, « impliquant une intervention beaucoup plus rapide – quarante-huit à soixante-douze heures – et plus fréquente du juge administratif, qui va non seulement entraîner une surcharge de travail très importante, mais également désorganiser significativement les juridictions puisqu’il est acquis qu’aucun renfort ne leur sera accordé pour la mettre en œuvre ».

La situation des tribunaux administratifs est semblable à celle de tous les tribunaux en France : manque de moyens, de greffiers, de matériels, de photocopieuses, d’ordinateurs. Nul n’ignore le délabrement considérable dans lequel se trouve le système judiciaire français.

Pour conclure, retarder l’intervention du juge judiciaire représenterait un profond recul, de nombreux étrangers pouvant, pendant ce délai de cinq jours, être reconduits à la frontière, même s’ils ont fait l’objet d’une procédure irrégulière que seul le juge judiciaire aurait pu apprécier et annuler.

Ainsi l’étranger en séjour irrégulier, comme le fait observer la Commission nationale consultative des droits de l’homme, disposerait-il de moins de garanties que la personne suspectée du plus grave des crimes. Celle-ci, dès qu’elle est placée en garde à vue, voit cette mesure contrôlée par le procureur de la République et la décision de prolonger sa privation de liberté au-delà de quarante-huit heures est prise par un magistrat du siège.

C’est dire à quel point le rétablissement de l’article 37 serait préjudiciable à la liberté et aux droits élémentaires des étrangers !

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