Nous voici parvenus à un moment décisif de la discussion de ce projet de loi. Nous sommes à nouveau placés devant un choix qui sera lourd de conséquences.
Monsieur le président, la presse a relevé que le Sénat s’honorait d’être le défenseur des libertés. Quelques interrogations se sont pourtant fait jour, ici ou là : le Sénat continuera-t-il à jouer ce rôle ? Oui, je le sais, car telle est sa raison d’être !
Lors de l’examen de ce projet de loi, nous avons vécu un premier moment important, lorsqu’a été abordée la question de la déchéance de la nationalité ; nous avons connu un deuxième moment très important, lorsque nous avons refusé de réduire l’accès des étrangers à la médecine, dans des conditions qui auraient placé des êtres humains en situation très difficile ; nous abordons maintenant la question du délai d’intervention du juge judiciaire. Mes chers collègues, vous savez que le vote qui sera émis ce soir aura des conséquences non négligeables.
Lors de l’examen de l’article 30, un vote a déjà été émis ; la conséquence logique de ce vote serait que l’article 37 ne fût pas rétabli.
Il n’aura échappé à personne que la commission des lois, comme l’a excellemment rappelé notre collègue Louis Mermaz, a d’abord refusé, sur l’initiative de Richard Yung, d’adopter cet article et qu’elle a confirmé sa position en rejetant, lors de sa dernière réunion, un nouvel amendement tendant à le rétablir.
La question est donc de savoir si, ce soir, le Sénat désavouera sa commission des lois. J’espère qu’il ne le fera pas.
Je souhaite également rappeler un élément que j’ai déjà évoqué lors de la discussion générale, mais qui me paraît important.
Le juge constitutionnel est très clair : il a toujours considéré comme inconstitutionnel le maintien en détention pendant sept jours sans intervention du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel rappelait alors que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Le plus court délai possible est celui qui est pratiqué aujourd’hui, à savoir quarante-huit heures, et aucune justification ne permet de l’allonger. Si le Sénat le faisait, il se placerait en contradiction avec la Constitution – je viens d’expliquer pourquoi : l’analyse du Conseil constitutionnel s’impose aux pouvoirs publics –, mais aussi avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui, dans son article 5, énonce de manière très précise : « Toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt » – l’adverbe n’est pas indifférent ! – « traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer les fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ».
Je souscris, bien sûr, aux propos de Louis Mermaz relatifs au malaise des magistrats de l’ordre judiciaire – tout le monde est au courant ! – ou à l’inquiétude des magistrats de l’ordre administratif – selon eux, si l’article 37 était voté dans sa rédaction d’origine, son application se heurterait à d’énormes problèmes de moyens.
Ces considérations doivent naturellement être prises en compte, mais, au-delà de la question des moyens, se pose la question du principe : une personne privée de liberté, dans la République française, a le droit d’avoir accès à un juge le plus vite possible ! Vouloir différer l’intervention du juge n’est pas justifiable et pose un problème de respect des libertés fondamentales.
Mes chers collègues, j’ai vraiment confiance dans le vote que le Sénat émettra ce soir !