Je n’aurai pas la prétention, à cet instant, de retracer l’histoire républicaine de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Depuis 1790, ces deux ordres sont séparés et la République ne s’en est pas plainte.
Le code de l’entrée du séjour des étrangers et du droit d’asile est de nature administrative et les services chargés de son application sont placés sous le contrôle du juge administratif. Le droit français a toujours reconnu à l’autorité administrative, dans des cas limités mais parfaitement définis, la possibilité de prendre des décisions entraînant des mesures privatives de liberté, en l’occurrence, s’agissant d’un étranger qui demande l’accès au territoire et dont la situation devrait être vérifiée, une mesure de rétention.
Le Conseil constitutionnel, reprenant une jurisprudence relative au rôle du juge judiciaire gardien des libertés, estime impensable qu’un juge judiciaire n’intervienne point dans un délai d’au moins sept jours. Il ne porte pas d’autre jugement et donne la possibilité à l’administration d’exercer sa responsabilité.
Je propose donc, en déposant cet amendement, de permettre à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif, d’assurer une mission de service public au bénéfice de la collectivité tout entière.
Cette initiative s’inspire des conclusions de la commission présidée par Pierre Mazeaud, ancien parlementaire et juge de l’ordre judiciaire, qui avait su parfaitement restituer, dans ses propositions, la distinction entre le rôle de l’autorité administrative, placée sous le contrôle du juge administratif, et le rôle du juge judiciaire, qui peut être saisi au-delà d’un délai de cinq jours. Mais à quoi servirait-il de donner des responsabilités à l’autorité administrative, placée sous le contrôle du juge administratif, si les décisions de cette autorité étaient contrecarrées, dans les faits, par des décisions judiciaires ? Ces dernières décisions sont d’ailleurs d’une autre nature, puisqu’elles portent sur le principe de la rétention et non sur l’application du droit d’accueil.
Nous risquerions donc d’aboutir à des situations d’une grande complexité, sources de contradictions incompréhensibles, à la fois pour les malheureux qui sont candidats à l’accueil et, le cas échéant, pour ceux qui veulent les défendre ou les soutenir.
C’est la raison pour laquelle, en déposant cet amendement qui tend à rétablir l’article 37, je ne fais que marcher dans les pas d’un juriste éminent, Pierre Mazeaud, et restituer leurs responsabilités respectives aux autorités administrative et judiciaire.
L’autorité administrative est placée sous le contrôle du Conseil d’État, tout aussi respectueux de la liberté individuelle que le juge judiciaire – la jurisprudence du Conseil d’État le prouve, et vous le savez ! Nous voulons ensuite donner au juge judiciaire la possibilité d’examiner les situations individuelles, au terme d’un délai de cinq jours qui permet à l’administration de fonctionner, car c’est elle qui doit faire appliquer ce code. Ma démarche vise donc un objectif de clarification.
Je comprends parfaitement les oppositions, mais nous devons faire fonctionner un système, dans un pays où le juge administratif est un juge à part entière, placé sous l’autorité du Conseil d’État, juridiction ô combien exigeante et responsable en matière de respect de la liberté individuelle.
Nous ne pouvons pas accepter ce procès d’intention qui est instruit contre l’amendement de rétablissement : ne pas le voter reviendrait à désorganiser le fonctionnement d’un service qui travaille au bénéfice de la collectivité nationale tout entière, et d’abord des étrangers en situation régulière, qui sont les premières victimes de l’entrée d’étrangers en situation irrégulière.