Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, fidèle à mon habitude, je vous ai écoutés avec une grande attention. Vos propos étaient incontestablement agréables. Vous avez souligné des aspects intéressants que je ne contesterai pas, soit parce qu'ils ont fait l'objet d'amendements que j'ai votés lors de la discussion du texte, soit parce qu'ils correspondent à des idées que certains de mes collègues et moi-même avons fait prévaloir.
Vous avez néanmoins omis de mentionner, et je le dis avec sincérité, car je vous estime, une référence capitale, qui a joué et qui va continuer de jouer un rôle décisif : je veux bien entendu parler de l'industrie culturelle.
Le travail d'Apple, de Microsoft ou de Google a été considérable et continue de l'être. Je reviendrai tout à l'heure sur la copie privée.
Le MEDEF représente une forme d'industrie qui n'est pas que culturelle, qui est même minoritaire dans le domaine culturel. Pourtant, il parle comme s'il était majoritaire. M. le ministre est bien placé pour savoir que, en dépit des efforts que l'on peut déployer, quand le MEDEF tient, il tient bien ! Cette observation méritait d'être faite.
Nous voilà donc parvenus au terme de la première étape provisoire de la tentative du Gouvernement, malheureusement influencée par les industries de la culture financiarisées, de mettre le droit français en conformité avec la directive européenne de 2001 traitant du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
Je considère qu'il s'agit d'une première étape provisoire parce que, après une déclaration d'urgence, il a fallu sept mois pour aboutir à un texte épais, que vous avez qualifié de « touffu », monsieur le rapporteur. Je dirais pour ma part qu'il s'apparente à un maquis. Il ne ménage pas plus les auteurs que les internautes. Il cède même devant la pression du copyright et mutile l'avenir de la copie privée puisque Apple, par exemple, conserve son droit d'accaparement d'oeuvres ou de chasse gardée de programmes. C'est pourquoi il faut parler des industries culturelles !
Monsieur le ministre, j'ai, comme vous sans doute, rencontré de nombreux juristes. Nombre d'entre eux considèrent que ce texte ne sera vraiment pas facile à appliquer.
Le coeur stratégique de cette première étape provisoire, même assaisonné d'économie administrée, a, je le dis très fort, appartenu quasi exclusivement aux prédateurs économiques. C'est mon appréciation générale.
Dans son livre Éloge des voleurs de feu, Dominique de Villepin cite avec gourmandise Aimé Césaire :
« Qu'y puis-je ?
« Il faut bien commencer.
« Commencer par quoi ?
« La seule chose au monde qu'il vaille la peine de commencer :
« La Fin du monde, parbleu ! »
Il est vrai que nous sommes, d'une certaine manière, à la fin d'une étape du trajet du monde. Georges Balandier, je ne cesserai jamais de le répéter, appelle précisément pour cela à « l'obligation de civiliser les nouveaux Nouveaux Mondes issus de l'oeuvre civilisatrice ». Il faut donc bien les connaître, puis se jeter dans un nouveau commencement.
Or, cette tâche civique, sociale et culturelle, nationale et internationale à la fois, nous conduit à nous demander si nous entrons, oui ou non, dans une société où pensée, imagination, création sont devenues des données centrales ? Cette tâche n'a pas été traitée. Le Premier ministre est gourmand de Césaire, mais la première étape provisoire nous laisse surtout sur notre faim.
Le Gouvernement est pourtant habité par la certitude qu'il tient la vérité. Anatole France disait que cela « rend les hommes cruels » et René Char écrivait : « Quand quelques esprits sectaires proclament leur infaillibilité, [...] ainsi commencent les grands malheurs. »
Délibération tumultueuse à l'Assemblée nationale ; délibération plus calme, plus sage, comme l'on dit, mais peureuse au Sénat ; délibération avec une démocratie en veilleuse à la commission mixte paritaire.
Les conditions dans lesquelles s'est tenue cette commission méritent une vraie incidente. Monsieur le ministre, dans le tumulte roboratif de l'Assemblée nationale, vous aviez envisagé, et vous aviez même pris l'engagement, dans le cas où il y aurait une grande différence entre le texte des sénateurs et celui des députés, de procéder à une deuxième lecture.
Cette éventualité a sans aucun doute été discutée après le vote du Sénat puisqu'il a fallu quarante-trois jours, du 10 mai au 22 juin, pour prendre la décision de recourir à la commission mixte paritaire.
Le jour de la réunion de la CMP - j'étais absent pour raison de santé, mais on me l'a dit -, les deux rapporteurs ont déposé cinquante-cinq amendements.