Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 30 juin 2006 à 16h00
Immigration et intégration — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

Monsieur le ministre délégué, dans l'intimité de cette séance quasi confidentielle de fin de session, je veux vous donner, à mon tour, le sentiment du groupe socialiste sur les conclusions de la commission mixte paritaire.

Certes, à ce stade, nous n'en sommes plus aux effets de surprise. Et nous n'entendons pas recommencer un débat auquel nous avons participé avec suffisamment d'écoute et de correction, tout en gardant la vigueur nécessaire pour ne pas sombrer dans l'endormissement.

M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, fidèle à sa ligne de conduite, ne nous a pas honorés de sa présence ce soir, mais cela nous donne le plaisir de vous voir, monsieur le ministre délégué. Le ministre d'État se trouve actuellement en Guyane, nous avez-vous dit, pour étudier le problème spécifique que pose outre-mer l'immigration, problème dont nos collègues Georges Othily et Anne-Marie Payet nous ont entretenus et dont les membres de la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine ont bien pris la mesure sur place.

Cela étant, je vous fais observer que les dispositions relatives à l'outre-mer ne sont pas celles qui ont suscité le plus de discussions au sein de notre assemblée. En effet, à situation spécifique, réponses spécifiques. Cependant, la spécificité et l'intensité de la question migratoire dans les territoires ultramarins ne sauraient en aucun cas constituer un alibi pour traiter la situation en France hexagonale, pour reprendre la formule de Georges Othily, où le problème ne se pose pas de la même façon.

La presse nous rendant régulièrement compte des déplacements de M. le ministre d'État - sa communication est suffisamment armée à cet égard -, je présume que nous serons informés par les quotidiens du soir et les magazines de ce qui aura été consacré de cette visite au problème de l'immigration, mais aussi de ses autres aspects.

Je veux m'arrêter un instant sur le chiffre de 7 500 reconduites à la frontière. Je ne suis pas le mieux placé pour parler de la Guyane dans cette assemblée, mais quand on voit - et l'auteur de ces termes se reconnaîtra -, d'un côté, le Maroni et la savane, de l'autre, l'Oyapock et la forêt, lorsque l'on sait ce qu'est la culture du fleuve, il paraît quelque peu dérisoire d'afficher cette volonté chiffrée et de faire de ce résultat un critère pour juger de la politique menée. En effet, la perméabilité des frontières géographiques est telle que les allers et retours entre le Brésil, le Surinam et la Guyane sont incessants. C'est bien là tout le problème !

La commission mixte paritaire n'a fondamentalement rien changé au texte examiné. Dans une atmosphère courtoise, à l'issue d'un ballet bien réglé rythmé par les entretiens préalables, et nécessaires, entre les deux rapporteurs, la réunion de la commission mixte paritaire nous aura retenus moins d'une heure, mais il est vrai que le débat ne se déroule jamais en CMP.

Le texte n'a pas pris un ton différent après ses lectures au Sénat ; sa philosophie demeure dans le droit fil de sa conception originale, même si des améliorations ont été apportées, chemin faisant.

Certaines mesures que nos collègues députés avaient cru devoir ajouter ont été supprimées, en raison essentiellement de la crainte qu'elles ne soient censurées par le Conseil constitutionnel, ainsi que l'a souligné M. le rapporteur. Je pense à la modulation des ressources et à l'impossibilité faite aux étrangers de déposer un recours portant sur le pays de destination quand ils en ont la nationalité.

Malgré le travail qui a été effectivement accompli, ce texte reste, à nos yeux, sans originalité, certes, mais surtout détestable, déséquilibré, injuste, inhumain.

Ce n'est pas un texte de rupture, ce n'est pas une politique.

Lors de la discussion générale, je déclarais : « Réduire la politique d'immigration aux seuls durcissements législatifs, à la mise en cause permanente des étrangers et au recul de leurs droits fondamentaux ne constitue pas la solution au problème de l'immigration clandestine. Sous couvert de lutte contre celle-ci, votre projet de loi dégrade la situation des étrangers en situation régulière. Cette déstabilisation de la vie quotidienne peut aussi atteindre nos compatriotes qui, de par leur ascendance, sont susceptibles d'être identifiés comme étrangers et, au premier rang d'entre eux, nos compatriotes de l'outre-mer. »

Croit-on vraiment lutter contre l'immigration clandestine en déstabilisant l'immigration régulière ?

Car ce projet de loi, contre lequel nous voterons, et de toutes nos forces, avec détermination et conviction, est d'abord un texte de déstabilisation des étrangers en situation régulière. Il aura pour seul effet de créer de nouveaux clandestins, dont il va accroître le nombre total, et vous le savez bien, monsieur le ministre délégué.

Vous condamnez les étrangers titulaires d'un titre de séjour temporaire à vivre dans l'anxiété permanente et, de cette façon, vous favorisez une espèce de précarisation permanente des étrangers.

Pour ce qui est du regroupement familial, vous le rendez tout à la fois plus lent, en exigeant un délai d'attente de dix-huit mois, mais aussi plus difficile, en dressant sur le parcours des demandeurs toutes sortes de barrières administratives.

En outre, chacun le sait, ce texte ouvre la porte à des divergences d'interprétation au sein de l'administration. Il n'est pas dans mon intention de mettre en cause les fonctionnaires qui font leur métier avec honnêteté sur tout le territoire, mais il serait d'ores et déjà possible de dresser une cartographie des différentes appréciations.

Nous savons aussi que, au nom de la politique du résultat chère au ministre de l'intérieur, les préfets seront jugés sur les décisions qu'ils auront prises en la matière. Par conséquent, l'administration risque d'être dotée d'un pouvoir quasi discrétionnaire.

Pour ce qui est de l'intégration, le constat est le même et constitue pour nous une nouvelle raison de ne pas approuver un texte insusceptible de régler le problème de l'immigration, parce qu'il refuse de tirer les conséquences d'une intégration réelle, tout en la revendiquant. Curieux paradoxe !

Ainsi, on durcit l'ensemble des conditions de l'intégration, s'agissant notamment de l'allongement des délais d'acquisition de la nationalité française. De même, on supprime la possibilité d'obtenir un titre de séjour après dix ans de présence sur le territoire. Une personne qui s'est maintenue en France sur une période aussi longue n'a-t-elle pas de ce fait apporté la preuve suffisante de la force des liens qu'elle a su tisser dans notre pays ? L'aspect quantitatif - 3 000 personnes concernées chaque année - était-il si important ?

Quant au discours sur l'appel d'air que créerait cette mesure, vous n'y croyez pas vous-même !

Votre texte est détestable, monsieur le ministre délégué, parce que vous n'hésitez pas à choisir, pour régler le contentieux des étrangers, la solution de l'abattage, quitte à mettre en cause le principe de la collégialité et à réduire les voies de recours.

Conformément à notre rôle de membres de l'opposition, nous saisirons le Conseil constitutionnel, comme vous vous y attendez, sur les points que nous estimons contraires à la Constitution, et nous nous exprimerons quand il aura statué.

J'en viens à cette invention détestable, apparue au cours du débat au Sénat, qui, partant d'un projet de loi relatif à l'immigration choisie, nous fait arriver à un texte relatif au codéveloppement.

Nous vous l'avons dit, le codéveloppement, parce qu'il est important à nos yeux, mérite de vrais débats. Cependant, l'amendement adopté, dont nous avons salué le caractère sympathique, n'en demeure pas moins un cache-misère et n'a pas sa place dans un texte brutal et répressif.

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